Le partage sans fin du butin

Les nominations au Conseil des ministres ont des allures de partage du butin. Après avoir secoué toutes les colonnes qui tenaient la maison Sénégal plus ou moins debout, l’heure est venue de récompenser toutes les figures qui auront contribué à ce combat. Les récompenses se donnent à coups de décrets en taillant sur mesure des costumes et robes, par moments, pour habiller d’honorabilité et donner une dignité dans le cirque sans artifice qu’est devenue notre République. Après tout, quand la politique devient un moyen d’ascension sociale, une clé miracle pour faire des carrières et une garantie d’accéder à tous les ors de la République, ça ne peut pas étonner que les nominations à tous les étages aient l’air d’un partage du gâteau.
Des postes, en veux-tu, en voilà. Le seul critère valable est d’avoir contribué d’arrache-pied dans la lutte «pour la libération» et le basculement de la roue. Au banquet du royaume des lions biscornus, toutes les contributions se valent, aussi ignobles puissent-elles être, et surtout, on n’y renie aucune amitié. On n’en a cure de l’embarras et de la gêne qu’inspirent certains compagnonnages. L’indignation ne durera pas le temps d’une semaine, avant de se faire balayer par une autre polémique. D’ici là, un autre saut vers l’abîme viendra encore éprouver notre capacité de sidération. Les appels à candidatures sont une promesse bien aux oubliettes après quatre mois d’exercice du pouvoir par l’Etat Pastef. Le népotisme qui a teinté certaines nominations à des positions-clés s’est effacé comme par enchantement des esprits après que l’opinion a valsé de grossièreté en grossièreté.
Comme dans toute chose dans ce pays, il se trouvera des militants convaincus de l’indéfendable, qui donneront des explications banales, frisant l’insulte à nos consciences, pour faire passer la pilule. Je lirai dans ce désordre ambiant les conseils d’un maître du pire demandant des arrestations d’anciens responsables politiques pour faire oublier les nominations controversées. La demande sociale se trouve à ce niveau, clame-t-il. Je me surprends toujours à tenter de comprendre comment certaines voix publiques peuvent tenir ces raisonnements scabreux, avec haine aveugle et partisannerie fanatique en œillères.
Ce sont des fils du Sénégal qu’on veut empêcher de servir leur pays alors qu’ils en ont tous le droit, entend-on. Personne ne renierait cette chance à tout Sénégalais, mais quand on a bâti sa carrière politique et son ascension dans la vie publique en vilipendant toutes les pratiques népotiques et en s’offusquant de la nomination de gens qu’on qualifierait «d’incompétents» comme Ousmane Sonko a pu le faire plus d’une fois, on ne peut se permettre d’envoyer certains signaux dans le choix des hommes et femmes qui sont supposés servir la République. L’ancien président de la République Me Abdoulaye Wade disait qu’il pouvait faire de n’importe qui un ministre. L’empereur Caligula fera de son cheval un consul à Rome. On va croiser les doigts et nous dire que nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises avec le tandem Diomaye-Sonko. On arrive à s’impatienter de voir la réorganisation que connaitra le personnel diplomatique de notre pays dans les semaines à venir.
A force de parler de tout ce qui ne va pas, on peut facilement être vu comme un aigri ou un frustré qui crache sa bile sur l’ascension de gens qui auront cru en un combat et auront donné pour cette cause du sang, de la sueur et des larmes. On ne peut néanmoins ne pas s’empêcher quelques observations. Le Sénégal reste un pays malade de la politique pour que les pratiques les plus invraisemblables se matérialisent. La politique s’y est professionnalisée, avec des entrepreneurs qui en ont fait la voie du salut. La haute administration se plie désormais à ce jeu d’influence et cette quête de places en déclassant la valeur du mérite, tout en se donnant pieds et mains liés aux maîtres de l’Exécutif. Par cette forme d’allégeance, elle y perd tout son pouvoir avec des gueules qui n’ont pas le profil de l’emploi qui sont aux commandes. La politisation de la société et sa nature clivante sont des réalités qu’on ne peut fuir. Face à ce qu’on sait absurde et qu’on doit condamner, les jugements sont validés ou combattus à l’aune du positionnement politique. On ne se parle pas, on ne se comprend pas, et le tout en détruisant notre Administration d’une nomination à l’autre.Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn