Le «patron» dicte sa cadence

Sans doute que la composition du nouveau gouvernement dirigé par Mahammed Dionne n’a pas été de tout repos. Les difficultés tenaient essentiellement au fait que tout homme ou femme politique se croit investi d’un destin de ministre. Il y avait bien plus de candidats que de postes à pourvoir. Et pour afficher des prétentions, les candidats n’avaient pas besoin d’une quelconque légitimité, sinon leurs seules ambitions. Ainsi a-t-on vu de nombreuses annonces, plus farfelues les unes que les autres, faites dans la presse pour dire que telle ou telle personne était pressentie à tel poste ministériel. La précision et l’assurance avec laquelle de telles annonces étaient faites pouvaient laisser croire à leur véracité. On verra à la publication de la liste des membres du gouvernement que tous les nouveaux ministres annoncés par la météo politique des faiseurs de destins gouvernementaux n’ont pas été retenus. C’est comme si le Président Macky Sall n’a pas accepté de se faire dicter ses choix ou de se voir forcer la main par le biais de manœuvres de manipulation, un jeu auquel les médias se sont prêtés de bonne grâce parfois. Cette situation devra aider pour qu’à l’avenir les ministrables se montrent plus discrets, plus circonspects avant la publication de choix définitifs des membres du gouvernement.
Il faut dire que le Président Sall a semblé mettre un prix à la discrétion, pour ne pas dire à la confidentialité, des consultations qu’il avait engagées. On saura que même les ministres membres du gouvernement précédent et qui ont été reconduits aux mêmes postes ou qui se sont vus confier de nouvelles responsabilités n’avaient pas été mis au parfum de ce qui se préparait. A l’exception de quelques rares ministres qui, à la faveur du calendrier gouvernemental, pouvaient décrypter quelques signes du Président Macky Sall, tout le monde était resté dans le flou. Il a continué à entretenir le culte du secret et ne voulait laisser filtrer la moindre indication, au point que le doute s’était installé à tous les niveaux de l’Etat. La situation pouvait amuser de voir de grosses pontes du gouvernement ne pas savoir où donner de la tête. «A quelle sauce on sera mangé», s’amusaient à se dire certaines personnalités politiques. L’image était belle en ces périodes de fête de Tabaski. Justement, cette fête religieuse, la plus grande au Sénégal, et qui constitue une occasion pour visiter des amis et proches et communier avec eux, a été une autre opportunité pour le chef de l’Etat de dérouter davantage son monde. Les audiences étaient comptées et les entretiens étaient restés strictement dans le domaine des cordialités. On a vu des ministres sortir de la résidence du chef de l’Etat, plus ou moins dubitatifs sur leur sort pour ne pas dire avec l’air perdu.
Ces ministres qui ont eu la chance d’être reconduits peuvent désormais mieux mesurer les capacités du Président Sall à cacher son jeu.
Tout cela c’est pour dire que la formation du nouveau gouvernement, qui prend ses quartiers ce lundi 11 septembre 2017, a permis de restaurer une certaine tenue ou la règle qui doit prévaloir dans les plus hautes sphères de l’Etat. Depuis 2000, le Sénégal a été habitué à la disparition du secret et de la confidentialité dans les décisions les plus importantes de la vie de l’Etat. Tout s’étalait sur la place publique et dans les colonnes des journaux avant que la décision ne fût prise. Le Président Sall s’est imposé un exercice de restauration de la confidentialité et cela a pu conforter son autorité. L’expression de cela a été le temps marqué entre la démission du Premier ministre sortant Mahammed Dionne et sa reconduction. Tout le monde attendait une décision-reconduction immédiate. Le président de la République n’a pas voulu suivre la cadence qui semblait être inscrite dans le déroulement des choses, à savoir l’immédiateté et qui aurait pu donner l’impression que l’opération relevait d’une banale formalité. Son choix était clair et définitif qu’il allait reconduire son Premier ministre, mais Macky Sall a tenu à marquer un temps d’arrêt, un temps de battement ou de respiration. Un lourd silence s’était alors emparé de la République durant 48 heures. Plus personne n’osait pronostiquer sur les choix du «patron». Les médias ont fini par donner leur langue au chat. On peut même se demander si le Premier ministre lui-même n’avait pas commencé à douter de son propre sort. En tout cas, Mahammed Dionne a bien aidé le Président Macky Sall dans cet exercice. Au sortir de l’audience que le président de la République lui avait accordée mardi dernier pour acter de la démission formelle du gouvernement, Mahammed Dionne avait tenu à marteler : «Maintenant, c’est le temps du président de la République (…) qui fera ses choix librement, conformément aux règles constitutionnelles.» Il l’aura répété comme un leitmotiv, comme un écolier qui a bien appris à réciter sa leçon. Toute la République retenait son souffle. C’était un moment de communication important. Le Président Macky Sall avait voulu le «temps d’arrêt » et il l’a organisé comme sur du papier à musique. Cette situation a eu le mérite de recentrer l’opinion sur la personne du chef de l’Etat. Tout le Sénégal attendait et écoutait Macky Sall, seul et unique maître du jeu. La primauté de la fonction présidentielle a été démontrée pour ceux qui pouvaient en douter. Tous les membres du gouvernement et tous les responsables politiques ont pu mesurer que leur nomination ou reconduction dépendait exclusivement de la seule volonté du chef de l’Etat. Cette manière de procéder de Macky Sall a ressemblé étrangement aux circonstances de la nomination de Edouard Philippe comme Premier ministre par le Président Emmanuel Macron et aussi de l’enfantement du gouvernement français au lendemain des élections législatives du mois de juin dernier.
Seulement, d’aucuns ont pu voir à travers cette façon d’organiser les choses comme des atermoiements ou des hésitations, ou même une incapacité à trancher des situations. Mais au rendu de la liste du gouvernement, tout le monde a pu s’accorder que le chef de l’Etat est resté inébranlable dans ses choix, que ses choix avaient été réfléchis et pesés. Il reste que «tout choix procède d’un renoncement». Ainsi, tous les candidats ministres ne pouvaient naturellement pas être satisfaits, mais le Président Macky Sall devrait estimer tenir son équipe pour aller à la Présidentielle de 2019 et cette équipe devra être complétée par les choix qui seront faits pour réorganiser d’importants services de l’Etat. Les nominations au gouvernement ainsi que l’installation de l’Assemblée nationale devront entraîner les remplacements de certaines personnalités politiques qui étaient en activité dans d’autres institutions publiques. Aussi, devrait-on s’attendre à ce que le président de la République opère des changements qu’il devrait avoir déjà mûris au niveau de certaines structures de l’Etat. La même culture ou le culte du secret et de la confidentialité devraient être de mise. On ne le dira jamais assez, «plus un secret a des gardiens, mieux il s’échappe». On aura appris dans ce pays qu’il y a une autre façon de se tenir vis-à-vis des affaires de l’Etat. De même, les quelques soubresauts enregistrés après la formation du gouvernement et qui, il faut le souligner, sont très vite contenus, révèlent que les chantages et autres formes de pression qui avaient cours après la formation de chaque gouvernement n’émeuvent plus grand monde.