Décidément, le sort s’acharne sur le gouvernement. Après des semaines d’une crise allumée par le scandale de l’affaire Petro Tim, voilà que l’on apprend que le prix du carburant va augmenter. Passage nécessairement douloureux donc, à la station essence.
Mais au-delà de ce constat, ce qui demeure sidérant pour le travailleur sénégalais, employé direct du prince, pour être plus précis, c’est de voir que le gouvernement se refuse à augmenter les salaires des fonctionnaires. En effet, comme a tenu à le préciser le prince dans son adresse aux syndicats le 1er mai dernier, aucune augmentation des salaires ne pourrait être envisagée. A croire qu’en prenant cette décision, il n’avait nullement entrevu l’éventualité de l’augmentation du prix du carburant qui, incontestablement, entraînera celle des prix des denrées de première nécessité, ce qui risque d’atteindre la vie du fonctionnaire.
Face à ce constat d’une tension sociale sans précédent qui risque de s’installer, le dialogue social souhaité par le prince ne risque-t-il pas d’être bloqué, car le gouvernement lui-même donne l’impression d’amplifier la tension sociale, ce qui pourrait susciter des manifestations des syndicats ? Il est clair que la réaction du prince le jour de la remise des cahiers de doléances des syndicats des travailleurs est restée au travers de la gorge de ces derniers. Et l’argument relatif aux «lourdes charges sociales» que l’Etat déclare assumer, par la voix du prince afin de justifier du refus de l’augmentation des salaires, ne constitue nullement une raison pertinente, si l’on sait que le service public assure la prise en charge de la vie de l’Etat, au rythme de la hausse vertigineuse des impôts encore endossée par les pauvres fonctionnaires.
Ceci, pour signaler qu’au rythme où vont les choses, le dialogue risque de se détériorer sérieusement, car un véritable dialogue ne se constitue et ne s’enrichit qu’à mesure que les hommes (ici le Peuple) et les acteurs qui sont au sommet de l’Etat réinterrogent leurs rapports sur la base d’un certain équilibre. Or c’est justement à ce niveau que le problème se pose, car la fracture sociale consacre un gouffre sans précédent de nos jours.
Et pourtant, notre pays aspire à l’émergence économique à l’horizon 2035. Mais justement, interrogeons ce concept d’émergence économique à l’aune de notre système éducatif qui est très loin d’être performant ! En vérité, même si l’Etat a adhéré à la mise en œuvre de politiques éducatives, l’état du secteur de l’éducation n’est pas des meilleurs. Et le renforcement du capital humain comme stratégie dans l’élaboration du plan de développement économique va nécessairement de pair avec une revalorisation du statut de l’enseignant qui assure le rôle fondamental de l’éducation qui, disons-le, constitue le centre du succès des pays émergents.
Il importe ainsi au prince de revoir sa position pour ne pas s’inscrire dans le paradoxe consistant à vouloir tenir les assises du dialogue national alors même que le climat social est gangréné par une crise sans précédent qui affecte l’harmonie de la vie des acteurs sociaux. Car, rappelons-le, «le but de toute nation est d’accéder au stade du développement intégral et de permettre à chacun de ses citoyens de vivre la vie qui a de la valeur à ses yeux», pour reprendre les mots du prix Nobel Amartya Sen.
Et ajoutons à cela que le développement économique que subsume l’idée d’émergence consacre bien quelque chose de plus que la simple croissance économique définie comme l’évolution du Pib d’une année sur l’autre ; ce développement pourrait aussi se traduire par l’amélioration des attitudes et des valeurs, par un «mouvement haussier de l’ensemble du système social», de l’avis de Gunnar Myrdal (Le drame asiatique, 1968).
Au prince de travailler à la hausse d’un système social qui, pour l’instant, rappelons-le, consacre une crise sans précédent, gangrénée par des scandales de corruption au cœur même du système, ainsi que par une précarisation de la vie des travailleurs du service public.

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