Lors de la présentation du Plan de redressement économique et social (Pres), le Premier ministre du Sénégal avait promis que ce fameux plan allait être financé à 90% par des nationaux, aussi bien les pouvoirs publics que le secteur privé, seuls 10% devant résulter de l’apport de l’étranger. Près de deux mois après l’annonce publique, le Premier ministre et le chef de l’Etat ont beaucoup voyagé, mais on n’a encore rien vu de concret en ce qui concerne la mise en œuvre de ce plan destiné à sortir le pays de l’ornière. Ce qui est encore plus déroutant, c’est de voir, le mercredi 3 septembre dernier, que Diomaye Faye, «le chef de l’Etat, a demandé au Premier ministre, maître d’œuvre, de veiller en permanence à l’exécution dans les délais de toutes les composantes du plan, assorties des réformes opérationnelles attendues. A ce titre, il a indiqué au Premier ministre, l’importance de finaliser, avec chaque ministère, les projets et réformes phares, et d’engager la programmation de l’adoption de l’ensemble des textes législatifs et règlementaires nécessaires à la réalisation des priorités et objectifs de l’Agenda national de transformation». Pourtant, lors de ce même conseil, le Premier ministre «a informé le conseil que, pour assurer une exécution rigoureuse et efficiente du Pres, il a été procédé, au sein de la Primature, à la mise en place de quatre groupes de travail spécialisés et complémentaires dont les mandats sont clairement définis et orientés vers l’action».
Bref, au moment où il a pour instruction de coordonner le travail des différents ministères impliqués dans la mise en œuvre du Pres, le chef du gouvernement a décidé de manière souveraine de mettre en place une équipe restreinte qui va travailler sous ses ordres directs pour la mise en œuvre opérationnelle de ce fameux plan. Et les 10% de financements seront négociés par lui-même, semble-t-il.
La chose qui en est ressortie à ce jour, est la tendance du chef du gouvernement à voyager, dans la volonté affirmée de chercher les ressources pour financer son projet. En juin dernier, il s’est rendu en Chine, pour profiter d’un Salon d’affaires organisé par l’Apix, dans le but d’attirer au Sénégal des investisseurs chinois. Le Premier ministre en a profité pour nous faire un scoop, en dehors de sa rencontre avec le Président Chinois Xi Jiping : il a rencontré sur place des représentants de la compagnie allemande Daimler Trucks, qui ont l’intention de monter au Sénégal, une usine d’assemblage de véhicules utilitaires de la marque allemande. La production devrait commencer en 2026, pour un début de livraison en 2027.
Les esprits chagrins se sont empressés de noter que le siège de la compagnie Daimler Truck est établi à Leinfelden, en Allemagne, et non en Chine. En plus, le protocole d’accord signé le 4 juillet dernier était négocié depuis 2019 !
Ce qui est dramatique avec ce projet, c’est qu’il risque de freiner pour longtemps encore, le projet d’usine d’assemblage d’automobiles mis sur pied par Serigne Mboup, le Pdg de Ccbm, à la sortie de Rufisque, sur le site de l’ancienne Bata. Déjà que cette structure peine depuis des années à décoller, on peut craindre qu’elle ne puisse tenir face à la toute-puissance de la technologie allemande !
Pour en revenir aux voyages de notre Premier ministre, l’avant-dernier, effectué au pays du Sultan Erdogan, a été le plus notable. Le Premier ministre nous a promis une flopée d’investissements qui ne devraient pas impacter la dette du pays, grâce à une garantie d’Eximbank Turquie. Au moment où ces lignes sont imprimées, il a pris une bonne partie de son gouvernement pour une rencontre à Abu Dhabi, avec l’Emir Al Nayyan, Président des Emirats. A l’issue de cette visite, il se rendra en Italie, pour retrouver ses militants de la diaspora.
En dehors de la longueur de ses voyages et du nombre de ses séjours à l’étranger, se pose une fois de plus la question du financement de ses voyages. M. Sonko a de moins en moins de scrupules à afficher sa propension à voyager, et dans des conditions les plus confortables au possible. Pour quelqu’un qui ne rate jamais une occasion pour affirmer qu’il a hérité d’une situation économique en totale déliquescence, du fait de la gabegie de ses prédécesseurs, le Premier ministre ne semble pas convaincu que l’exemple d’austérité de sa part pourrait servir de déclic dans la voie du redressement des finances du pays.
Le meilleur est que, de tous ses séjours à l’étranger, ou même dans les communiqués du Conseil des ministres, on n’a pas encore lu -en dehors de l’investissement de Daimler- mention d’un quelconque investissement national ou étranger, dans un quelconque domaine. Bien sûr, la présidence de la République a fait mention de l’audience accordée à la Pdg du pétrolier Woodside par le Président Diomaye. Le communiqué n’a rien dit sur l’objet de la visite, mais on a pu deviner que les deux partenaires avaient bien de dossiers sur le cœur, dont le moindre n’est pas le contentieux fiscal qui oppose le pays à la compagnie pétrolière. On sait que depuis la plainte de Woodside auprès du Cirdi, les revenus qui doivent être versés au Sénégal vont directement dans un compte séquestre jusqu’à la résolution du conflit. Ce qui fait que le pays a des revenus auxquels il ne peut accéder, pour s’être mis à dos son partenaire, dès que ce dernier a commencé à pouvoir lui rapporter des dividendes.
On se demande alors comment et par quelle alchimie le pays va pouvoir trouver au minimum les 4604 milliards de Cfa nécessaires au financement de son Pres. Ce chiffre est le plus bas, si l’on tient compte que le même document de présentation indiquait aussi 5667 milliards à trouver, «sans augmenter la dette, ni non plus brader les ressources nationales». Rien n’indique que ces deux promesses sont en voie d’être tenues, en sachant que le Sénégal est devenu l’un des clients les plus assidus du marché financier sous-régional. Tous nos besoins essentiels sont depuis un moment financés grâce à de l’emprunt. On peut aussi se poser la question de savoir si lors du discours de M. Sonko à Ankara, aux côtés de Erdogan, il n’était pas en train de négocier un soutien financier, tandis qu’en wolof, on nous assurait négocier des partenariats gagnant-gagnant avec un partenaire respectueux.
Une chose importante que le Peuple devrait savoir, c’est le coût des voyages et séjours du Premier ministre et des membres de sa délégation dans les pays étrangers. Même les séjours les plus profitables en termes de partenariat n’ont pas besoin de durer longtemps. Et l’on sait que nos dirigeants, depuis des décennies, ne voyagent pas comme des ermites, voyageant avec juste leur besace. Et l’on sait que la dernière délégation de Ousmane Sonko est particulièrement étoffée. Ne courons-nous pas le risque que tout le bénéfice de son voyage soit consommé avant même leur retour à Dakar ?
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn

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