Bon an, mal an, l’Etat du Sénégal renonce à une moyenne d’environ 500 milliards de francs Cfa de taxes dues par des entreprises. Des chiffres officiels montrent que ces exonérations n’ont fait qu’augmenter depuis de nombreuses années. Il s’agit essentiellement de taxes dues par des entreprises exportatrices, de subventions sociales destinées à appuyer la consommation des populations. Mais il y a aussi des exonérations pour des entreprises minières et du secteur extractif.

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L’année dernière, ces exonérations ont largement bénéficié aux entreprises du secteur de la pêche, du secteur agroindustriel, des services et des télécoms, ainsi qu’à certains évoluant dans la production industrielle proprement dite. En un mot, tout le monde productif sénégalais a, à travers certaines de ses composantes, bénéficié des largesses de l’Etat. Remarquable, quand on sait que l’Etat du Sénégal tire ses ressources essentiellement de la fiscalité. En dehors des taxes et droits de porte, nous sommes obligés de nous tourner vers l’endettement extérieur pour couvrir le manque à gagner des recettes non recouvrées.

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Pour 2019, selon les données du ministère des Finances et du budget, les exonérations fiscales ont représenté 750 milliards de Cfa, en augmentation constante depuis 2015, année où elles montaient à 648 milliards de francs. Les spécialistes de la fiscalité expliquent que ces exonérations fiscales sont «des outils économiques indispensables pour permettre à l’Etat d’appuyer certaines couches de la population ou certains secteurs d’activité. Elles permettent également d’instituer un environnement des affaires attractif qui incite à l’investissement direct étranger».

Ainsi, le concours de l’Etat sur les dépenses des ménages a coûté plus de 350 milliards en 2019. Une bonne partie est allée à la consommation des tranches sociales de l’eau et de l’électricité, comme dit plus haut, ou même la collecte des ordures ménagères. Il n’en reste pas moins que ce sont des entreprises qui «pompent» une bonne partie des exonérations fiscales. On peut se demander l’intérêt de l’Etat de continuer à exonérer un secteur comme celui de la cimenterie, quand on se rend compte que depuis des décennies qu’elles sont implantées dans le pays, les entreprises qui sont au Sénégal n’ont jamais vraiment aidé à un décollage du secteur des Btp. On pourrait même ajouter que malgré leur forte capacité à détériorer l’environnement, certaines de ces entreprises ne se distinguent pas par la qualité de leur Responsabilité sociale d’entreprise (Rse). Il suffit de se rendre aux lieux où sont implantées leurs usines pour se rendre compte de leurs effets néfastes de manière générale.

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Le même questionnement pourrait se poser aussi pour les nombreuses sociétés d’exportation des produits de pêche qui, outre le fait de priver les populations sénégalaises des protéines nécessaires à leur croissance, ne mettent même pas en place une structure de transformation locale des poissons et des ressources halieutiques, en privilégiant les exportations. Sur les 62 entreprises franches d’exportations exonérées de Tva en 2023, plus de 50% sont dans le secteur des ressources halieutiques. Quand les services du ministère de l’Economie maritime notent que la pêche crée près d’un million d’emplois, de manière directe ou indirecte, et que la majorité de ces emplois sont dans le secteur de la pêche artisanale, on peut se demander s’il y a, de la part des pouvoirs publics, une volonté de faire en sorte que les exonérations fiscales soient productives d’emplois et de préservation de la ressource.

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Les mêmes considérations peuvent être faites pour les autres entreprises et les autres secteurs ; mais dans l’ensemble, on peut estimer que les pouvoirs publics sénégalais pourraient mieux gérer les exonérations fiscales, pour permettre qu’elles ne constituent pas uniquement des ressources qui s’évaporent et ne profitent pas au pays. Au moment où l’Etat du Sénégal souhaite revoir les conventions qui le lient aux grandes entreprises multinationales, pour qu’elles paient leurs impôts au pays et non pas dans des paradis fiscaux, il est assez aberrant qu’il ne songe pas à revoir les exonérations fiscales accordées aux entreprises exportatrices.

Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn