Comme ils se sont emparés légalement du pouvoir -par les urnes- depuis mars 2024, c’est en ce moment précis qu’ils ne doivent plus s’arrêter (ça fait désordre surtout) aux seules théories fallacieuses et friponnes du populisme politico-politicien avec des annonces telles que «nous avons trouvé les caisses de l’Etat vides et exsangues» et «les mauvais magistrats seront envoyés à la poubelle».
Pourtant, un Etat à terre ne paie pas les fonctionnaires d’un pays ami -justement ruiné ou en ruine- avec simplement les fonds politiques de son Président. N’est-ce pas Mimi ?

Nous savons tous aussi qu’un Etat en ruine (si ruine signifie ici faillite ou banqueroute) ne lève pas plus de mille milliards auprès de ses partenaires financiers en moins de quatre mois.

Cependant, nous pouvons parler aisément du Sénégal en ruine, du Sénégal qui était devenu physiquement un tas de ruines il y a moins d’un an derrière nous. Avec les boutiques Auchan pillées, les stations d’essence vandalisées, les amphithéâtres saccagés et brûlés, les moyens de transport torpillés, les autoroutes assiégées, le Ter et le Brt caillassés (et c’est loin d’être exhaustif) ; nous avions effectivement barboté dans la boue émétique d’un cataclysme effroyable !

Pragmatiques et sans carambolages, les citoyens de ce pays ont réussi à changer le cours du jeu. Alors, il est temps de mettre en place les moyens pratiques (si véritablement le fameux Projet n’est pas filouterie) qui permettent de «s’approprier» à bon escient l’Etat, le pouvoir de l’Etat pour changer le monde, le monde des Sénégalais lambda, et comme promis.

Par expérience, beaucoup d’Africains pensent (ngala waay, faut jamais leur donner l’occasion d’avoir raison nak) que les nouvelles alternances qui se sont produites jusqu’ici en Afrique n’ont permis -pour les nouveaux tenants du pouvoir- qu’à écarter les élites traditionnelles (le système comme on dit) au pouvoir depuis une éternité et à s’emparer des leviers de l’Etat dont elles tirent le plus grand profit pour soigner et/ou corriger l’ensemble des frustrations, des gênes et des indigences inhérentes aux durs combats (sic.. ) vécus dans l’opposition.

Un Etat sérieux (comme le nôtre du reste) ne doit en aucun cas être seulement au service du pouvoir, de la force du pouvoir ou du pouvoir de la force. Un tel dessein n’a jamais été vendu aux Sénégalais qui, au plus profond de leurs convictions, abhorrent toute forme de dictature.

En un trimestre, le pouvoir de l’Etat qui, au demeurant, aurait dû être une entité neutre mais surtout un catalyseur de l’ensemble des énergies, des compétences, des espoirs et des ambitions du Peuple, s’est petit à petit transformé en un Etat monstre -cannibale (remplacement précipité de tout fonctionnaire n’ayant pas combattu pour le Projet), en un Etat-bourreau (le sabre impitoyable du Fisc) qui sectionne et mâchonne la tête de ses propres enfants (n’est-ce pas les patrons de presse et le secteur du bâtiment ?).

Le pouvoir grise, surtout celui provenant d’une aussi incroyable et spectaculaire alternance comme celle de mars 2024. Une alternance, et c’est ma conviction dans le cas d’espèce, sait comment exciter ses principaux acteurs s’ils n’arrivent pas à contrôler l’ivresse due à ce moment de folie contagieuse, s’ils ne se maîtrisent pas face à la popularité qu’elle sait conférer : on se croit aisément dépositaires des classes populaires qui mettent pour un temps en veilleuse leur capacité de résistance et de contestation parce que vous croyant, vous percevant comme «proche», comme un proche, comme le messie venu vaincre le temps des vaches maigres et les tourments amers de l’injustice. Un frémissement d’expectative et d’espoir populaire a toujours eu tendance à se manifester à l’occasion de ces alternances que le Peuple considère (à tort ou à raison dans le cas sénégalais) comme des victoires sur les oppresseurs de tout temps.

Chers gouvernants, prendre ou exercer le pouvoir d’Etat ne signifie en rien se servir de la force du pouvoir de cet Etat pour légitimer des étrangetés que l’on voudrait faire passer comme «l’ordre naturel des choses» et se forger une diversion, un alibi pour instaurer des mesures portant à équivoque ou anathématisant une partie du pays.

Le chamboulement de l’architecture de la Magistrature issu du dernier Csm pose un problème à beaucoup de ci­toyens : c’est comme si tous les magistrats qui ont condamné un membre du parti au pouvoir sont sanctionnés et bannis. Par contre, les autres, qui ont été plus magnanimes avec eux, sont récompensés à bon es­cient.

Envoyer ces «bannis» dans les régions de Tamba et Kédougou déclasse ces dites régions du concept «équité territoriale», si elles ne se considèrent pas déjà comme la poubelle de l’Etat. On ne peut oublier que quelqu’un avait déclaré, dans un passé tout récent, à propos des «mauvais magistrats» (sic) : «sanni leen ca xaj.»

Et puis quoi encore ? Notre Administration donne l’impression d’une arène de gladiateurs où s’affrontent des fonctionnaires du Projet (promouvables pour l’avoir soutenu) et d’autres fonctionnaires hors du Projet (éjectables pour l’avoir combattu).

Il est vrai que derrière la question de l’Etat, il y a celle du pouvoir. Même l’étymologie nous apprend que l’ambition de tout pouvoir est de se garder, de se conserver le plus longtemps possible. Mais la jouissance aveugle de la force du pouvoir est un piège, un abysse de frustrations révoltantes, une doline de malentendus exécrables ; elle fait basculer dans les méandres obscurs de la confiscation des libertés collectives et individuelles. Et à ce moment, cette jouissance grisante suscite la colère et puis glisse petit à petit vers le pouvoir de la force.

Pourtant la colère ne s’amplifie que lorsque les décideurs ne se montrent plus respectueux envers les intellectuels qu’ils ridiculisent, les hommes de culture qu’ils infantilisent, les «daan doolé» qu’ils bousculent, les sportifs qu’ils bafouent, les pauvres et indigents en tous genres (chômeurs et désœuvrés), les sinistrés (inondés) qu’ils n’écoutent point…

Nombreux sont les observateurs qui savent pour l’avoir appris, observé et vécu…, qu’un peuple qui souffre attend tout de son pays et met tous ses espoirs entre les mains des hommes auxquels il a accordé sa confiance sur la foi de promesses dont il attend impatiemment la réalisation.

Et ce Peuple, notre Peuple, le Peuple sénégalais, est trop exténué, trop meurtri, trop avachi pour se permettre d’attendre encore et encore. Surtout, si on veut simplement le nourrir par des menaces et/de la diversion…
Amadou FALL
IEE à Guinguinéo
Zemaria64@yahoo.fr