Avec les 48 Lois devenues Programme caché !
Pastef au pouvoir : la révolution est-elle confisquée par ses propres prophètes trop bavards ?
Anatomie d’un pouvoir bicéphale !
Les Sénégalais attendaient une rupture, ils ont reçu un rappel magistral : le pouvoir ne change pas les hommes, ce sont les hommes qui changent pour le pouvoir. Et dans le tandem Sonko-Diomaye, il ne fallait pas chercher longtemps pour comprendre que le livre le plus lu dans les coulisses depuis le 24 mars 2024 n’est ni la Constitution, ni la Charte de la Transition, encore moins le Coran, mais Les 48 Lois du Pouvoir.  Le parti Pastef peut bien parler de «nouvelle ère», de «moralisation de la vie publique», de «gouvernance de rupture» ; dans la pratique, ce sont les lois de Robert Greene qui dictent le tempo. Ironiquement, ils ne les citent jamais. Ils les appliquent religieusement.
Il faut reconnaître à Ousmane Sonko un talent incontestable : il a compris que le pouvoir est une perception avant d’être une réalité.
Reconnaissons-le : il n’a jamais caché ses ambitions, il les a juste habillées, maquillées, parfumées à l’odeur de révolution. La vérité, c’est qu’il a parfaitement appliqué la première loi : ne jamais faire de l’ombre au maître. Mais Sonko est malin : il a inversé la formule. Au lieu d’éviter d’éclipser son maître, il s’est choisi un maître qu’il peut lui-même éclipser, sans que celui-ci n’ose se plaindre. Et Bassirou Diomaye Faye, malgré toute sa bonne volonté et son calme présidentiel, ressemble de plus en plus à ce maître que l’on protège autant qu’on manipule.
On dit souvent : «Deux capitaines ne peuvent pas conduire le même navire.» Au Sénégal, on a tenté le contraire : un Président silencieux et un Premier ministre volcanique, l’un dans son rôle institutionnel, l’autre dans son rôle spirituel. Résultat : un Etat bicéphale, une communication schizophrène, une autorité floue. En apparence, tout est clair : l’un parle peu, l’autre parle trop. L’un gouverne, l’autre mobilise. L’un signe les décrets, l’autre signe les destins. Mais dans les faits, le pays vit dans une ambiguïté savamment orchestrée, héritée directement des lois du pouvoir.
Sonko applique la loi du mystère mieux que n’importe quel dirigeant moderne. Il ne dit jamais clairement ce qu’il veut, mais il laisse deviner qu’il veut tout.
Il laisse planer le doute :
Est-il le vrai chef ?
Le Président obéit-il ?
Est-ce une stratégie commune ?
Un équilibre fragile ?
Une rivalité silencieuse ?
Ce flou est volontaire. Le mystère crée la peur. Et la peur crée l’autorité. Voilà le génie stratégique : tant que les Sénégalais se posent la question, Sonko garde le contrôle. Bassirou, lui, incarne la loi de la dépendance. Il est devenu Président par le sacrifice, la loyauté, l’arrestation et l’ombre. Il n’a pas gagné le pouvoir : on le lui a offert pour contourner les obstacles judiciaires de son mentor. Dans un pays normal, la reconnaissance produit une alliance saine. Au Sénégal, elle produit un piège : celui qui reçoit doit rendre, et celui qui donne ne renonce jamais. Bassirou, au fond, paie encore la dette invisible du «Plan B». Il gouverne, oui, mais il gouverne sous surveillance idéologique. Tout pas de côté peut être interprété comme une trahison. Toute initiative personnelle peut être vue comme une tentative de s’émanciper. Il doit tenir le pays, mais aussi tenir la relation, et ces deux batailles ne sont pas toujours compatibles.
Les «lois du pouvoir» se retrouvent dans chaque geste de ce régime. Prenons la loi qui dit : écrasez complètement votre ennemi. Le parti Pastef n’a jamais été un mouvement de demi-mesure. Leur histoire s’est construite dans la confrontation, l’exagération, le discours messianique. Et aujourd’hui encore, malgré les engagements de sobriété républicaine, ils retombent dans leurs réflexes d’avant-pouvoir : indignations sélectives, menaces déguisées, scandales amplifiés, Justice instrumentalisée, dénonciations publiques contre leurs propres alliés. La scène politique sénégalaise est redevenue un ring. Et le problème avec les rings, c’est qu’on finit toujours par frapper quelqu’un qu’on avait juré de protéger. L’épisode du Téra-meeting l’a montré avec une brutalité presque pédagogique : Sonko ne connaît pas la demi-critique. Il accuse, il insinue, il déshabille les siens, il déplace les lignes, puis il laisse le Président réparer les dégâts institutionnels. Et pendant que Diomaye tente de recoller les morceaux avec une posture présidentielle, Sonko continue d’appliquer la loi numéro 37 : créez des spectacles pour attirer l’attention. Sa politique se fait sur scène, micro en main, foule chauffée à blanc. Le pays, lui, observe. Et commence à douter.
Le Sénégal vit une situation inédite : nous avons un chef de l’Etat légal et un chef du pouvoir réel. Deux discours, deux styles, deux légitimités, deux stratégies. Ce n’est pas une cohabitation, c’est une co-existence instable, une chimie politique qui pourrait muter à tout moment. Et ce tandem, loin d’être un modèle, commence à rappeler les systèmes politiques où l’autorité est divisée mais la responsabilité, elle, reste concentrée. Le Peuple, dans tout cela, est devenu un spectateur captivé, parfois inquiet, parfois amusé. Il découvre que les promesses de rupture ne résistent jamais longtemps à la gravité du pouvoir. Il réalise que ceux qui dénonçaient les pratiques d’hier les reproduisent aujourd’hui avec la même habileté que leurs prédécesseurs. Et surtout, il constate que la vertu, en politique, est un costume : on le met pour gagner le pouvoir, puis on le retire pour le garder. Les Sénégalais ne sont pas naïfs. Ils voient bien que les arrestations arbitraires continuent, que la Justice vacille, que les anciens démons politiques renaissent sous d’autres couleurs. Ils voient les contradictions, les dérapages, les manipulations. Ils voient surtout que Sonko et Diomaye avancent chacun avec une logique différente : l’un veut transformer la République en mouvement permanent ; l’autre veut sauver la République du mouvement incontrôlé.
Leur duo ressemble de plus en plus à un pacte dangereux : l’intellectuel incendiaire et l’institutionnel silencieux. Le cerveau du tumulte et la main de l’Etat. Le tribun qui chauffe les foules et le Président qui éteint les incendies. Une danse instable, une équation impossible, un yin-yang politique qui menace d’imploser.
Le plus tragique n’est pas qu’ils appliquent les lois du pouvoir. Tous les dirigeants les appliquent. Le tragique, c’est qu’ils les appliquent en prétendant ne pas les connaître. Et qu’ils promettent aux Sénégalais un monde dont ils reproduisent déjà les pires mécanismes. Mais il y a une vérité immuable : un Peuple lucide finit toujours par déborder le pouvoir qui le sous-estime. Le réveil ne vient jamais du haut. Il vient toujours du bas. De ceux qui refusent d’être manipulés par les stratégies, les spectacles et les illusions.
Le Sénégal mérite mieux qu’une révolution capturée par ses propres créateurs.
Il mérite un pouvoir qui gouverne, pas un pouvoir qui joue.
Il mérite une rupture sincère, pas un recyclage théâtral.
Et il mérite surtout que ceux qui détiennent le pouvoir se souviennent d’une chose simple :
L’histoire n’épargne jamais ceux qui trahissent le Peuple, même avec les meilleures lois du pouvoir.
Sommes-nous en face du double pouvoir qui prépare la double déception ?
Yallah Rekka Kham !
Ndiawar DIOP