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Réponse au texte de Moustapha Kassé : «Les turpitudes de l’opposition sénégalaise face à la trajectoire de transformation et de rupture»
Quand l’intellectuel n’éclaire plus !
Monsieur le professeur Moustapha Kassé,
J’ai pris connaissance, avec attention, de votre texte intitulé «Les turpitudes de l’opposition sénégalaise face à la trajectoire de transformation et de rupture». Votre analyse, richement documentée, témoigne d’un engagement pour la consolidation de la démocratie au Sénégal et pour la critique des pratiques politiques. Toutefois, plusieurs points méritent d’être nuancés, car votre lecture semble négliger certaines réalités politiques et sociales contemporaines.
1. Une lecture trop manichéenne du rôle de l’opposition
Vous décrivez l’opposition comme un «conglomérat de personnalités» sans idées ni projets, réduisant son action à un anti-Sonkoïsme primaire. Or, réduire l’opposition à des attaques personnelles masque le rôle essentiel qu’elle joue dans toute démocratie : dénoncer, questionner et proposer des alternatives. La critique du pouvoir en place, qu’elle soit virulente ou mesurée, fait partie du contrôle démocratique nécessaire. L’opposition sénégalaise, dans sa diversité, exprime des attentes populaires légitimes, notamment sur les questions d’emploi des jeunes, de cherté de la vie, de protection sociale et de justice économique.
2. Une surestimation du consensus autour de la majorité présidentielle
Votre texte présente le couple Diomaye-Sonko comme la solution unique aux maux du Sénégal, avec un leadership charismatique et transformationnel. Il est indéniable que ce leadership est perçu positivement par certains segments de la population, mais la démocratie ne se réduit pas à un homme ou un duo. L’histoire politique du Sénégal a montré que la robustesse de nos institutions et la vitalité du débat public sont ce qui protège le pays des excès d’un leadership même vertueux. Ignorer les voix divergentes et les critiques constructives serait un risque majeur pour la consolidation démocratique.
3. Les excès de la critique ne signifient pas nécessairement la vacuité
Vous critiquez la jeunesse et les médias d’opposition pour leur «verbalisme» et leur «outrance». Il convient de rappeler que l’opinion publique a le droit de s’indigner face à des injustices, à des détournements présumés ou à des insuffisances dans la gestion des crises sociales telles que les inondations à Touba ou la précarité dans la vallée du fleuve Sénégal. Les médias jouent un rôle essentiel dans l’information et le contrôle du pouvoir. Les présenter uniquement comme des instruments de déstabilisation revient à occulter leur rôle de contrepoids démocratique.
4. La démocratie au quotidien et la responsabilité du pouvoir
Vous évoquez avec justesse que la démocratie ne se limite pas aux joutes électorales. Je partage cette idée. Cependant, la consolidation démocratique suppose que le pouvoir en place accepte d’être questionné et de rendre des comptes, notamment sur les politiques sociales et économiques. La critique de l’opposition, loin de constituer un obstacle, peut constituer un catalyseur pour des réformes efficaces et inclusives.
5. L’éthique politique et la construction d’un Etat juste
Si certains acteurs de l’opposition peuvent faire preuve d’exagération dans leurs propos, le vrai problème demeure dans l’éthique de gouvernance. La population attend des solutions concrètes aux problèmes qui affectent son quotidien : accès à l’emploi, lutte contre la corruption, infrastructures de base, sécurité alimentaire. Le leadership charismatique doit être évalué sur sa capacité à produire des résultats tangibles pour tous, et non seulement sur la célébrité de ses figures.
Monsieur le professeur, votre texte témoigne d’un désir louable de voir le Sénégal se transformer positivement. Néanmoins, la critique de l’opposition doit être nuancée par la reconnaissance de son rôle légitime dans une démocratie mature. Le vrai défi pour le pays n’est pas de réduire l’opposition, mais de gouverner avec transparence, d’écouter les revendications populaires et de proposer des solutions concrètes aux crises sociales et économiques.
Le Sénégal est un pays de débats et de pluralité. La démocratie ne se nourrit pas d’unilatéralisme ou de monopole de la légitimité, mais de confrontation d’idées, de responsabilité et de réponses aux attentes des citoyens. Toute analyse sérieuse se doit de le reconnaître.
Amadou MBENGUE
Membre du Comité Central et du Bureau Politique du Pit/Sénégal

