Le Pres de Pros, un vilain rappel du Pref de Diouf

Le Sénégal a gardé un si mauvais souvenir des décennies 1980 et 1990 qu’il ne voudrait même pas imaginer avoir à les revivre. La phobie est si grande que des personnes d’un certain âge, qui ont connu les fameux Programmes d’ajustement structurel (Pas) de triste mémoire, imposés par le tandem Banque mondiale (Bm)-Fonds monétaire international (Fmi), se sont senti des poussées d’urticaire, rien qu’à l’évocation de notre nouveau Plan de redressement économique et social (Pres). A une lettre près, on retrouvait le fameux Pref (Plan de redressement économique et financier) initié par le Président Diouf.
Ce dernier, ayant hérité d’une situation économique difficile, a mis en place son Pref dont l’objectif était de parvenir à l’équilibre des finances publiques et d’en finir avec le déficit budgétaire, de maîtriser l’inflation en comprimant la demande locale, avec, en plus, l’idée d’accroître l’épargne locale et relancer l’investissement et l’emploi.
A la fin de la décennie 1990, on voyait sur les affiches dans la ville de Dakar, Abdou Diouf dans un champ, tenant un gros légume ressemblant à une aubergine, avec un slogan qui proclamait fièrement : «Nos fruits sont mûrs !» Ce slogan, pour le malheur du Président Diouf, n’a pu convaincre les électeurs sénégalais, qui lui ont donné son congé le 19 mars suivant, pour accueillir Abdoulaye Wade. Et pourtant, grâce à lui, les finances du pays avaient été fortement assainies, et son déficit grandement réduit.
Sans doute a-t-il bénéficié d’une conjoncture favorable, ou bien il n’avait pas la même ambition ? Quoi qu’il en soit, le dirigeant libéral a mis à la poubelle les fameux Pas et Pref, et s’est engagé dans une politique d’investissements tous azimuts. Le changement a été net. C’était le moment des infrastructures.
Les Sénégalais, longtemps privés de perspectives, sur les plans physique et social, ont été encouragés à entreprendre. L’Etat s’est remis à investir et a encouragé une politique de grands travaux qui a transformé le paysage et offert des perspectives à de nombreux entrepreneurs. Le paysage national s’est métamorphosé, au moment où la capitale sénégalaise voyait des bâtiments pousser comme des champignons.
Cette politique volontariste d’investissements a non seulement été poursuivie par Macky Sall, mais en plus, ce dernier l’a accentuée. Et si l’on ne peut nier que l’argent a circulé à flots durant cette période, on est obligés de constater que ces finances ne se sont pas répandues partout dans la société. Le niveau de pauvreté a certes été réduit, mais pas de beaucoup. Et la politique de l’emploi, de son côté, a été le plus grand échec de toutes les stratégies mises en place par tous les régimes depuis Léopold Senghor. D’où la sortie de Macky par la petite porte.
Arrivé au pouvoir au moment où les résultats de ce constat se font jour, le nouveau tandem à la tête du pays a pris le pari de se passer des apports de l’extérieur pour sortir le pays du cercle de la pauvreté. Il a lancé un Agenda national de transformation, qui a pour objectif de changer le pays de fond en comble, en lui donnant de nouvelles perspectives.
Cet Agenda national, qui sera financé par 18 500 milliards environ, sera d’abord guidé par un plan nommé «Vision 2050», qui se décline en stratégies quinquennales.
Le plus admirable dans la vision politique de nos actuels dirigeants, est qu’ils avaient quelque part anticipé les difficultés auxquelles fait face le pays. il n’a pas fallu longtemps au gouvernement pour se rendre compte qu’il était illusoire de vouloir bâtir une stratégie de développement endogène en se basant sur des chiffres sciemment manipulés, dans l’idée d’enfoncer encore plus le pays dans les profondeurs de la décadence économique.
Grâce au savoir-faire des techniciens des régies financières, les dirigeants ont pu cerner l’ampleur du déficit du pays, ainsi que l’énorme poids de la dette, toutes données qui longtemps ont été couvertes pour tromper aussi bien le Peuple sénégalais que les partenaires étrangers. Et s’il est malheureux que le Fonds monétaire a jugé bon de suspendre sa coopération avec le Sénégal, le gouvernement du Premier ministre Sonko a fini de démontrer que nous n’avions, pour sortir de l’ornière, que de l’engagement et du désir patriotique de réussir notre développement de manière endogène. D’où la mise en place du Plan de redressement économique et social (Pres) dont on a parlé à l’entame de cet article.
Ce Pres est «centré sur des actions consistant à mobiliser des ressources domestiques, rechercher l’effet de levier des investissements, maîtriser la dette, renforcer la discipline budgétaire, lutter contre le gaspillage, optimiser les ressources publiques»…
Tous ces propos tirés de la plaquette de présentation du «document» dénommé «Jubbanti Koom» en wolof. Pour les trois prochaines années, le Pres table sur un financement de 5667 milliards de Cfa. Et comme il ne compte pas se tourner vers des partenaires extérieurs, ce seront 90% de fonds endogènes, comme ils disent.
C’est alors que les Sénégalais doivent se chercher une nouvelle encoche dans leur ceinture, car vient le moment du matraquage fiscal. Le Premier ministre, qui présentait ce plan, n’a pas fait mystère que l’argent sera à chercher partout où l’on peut imaginer qu’il se niche. On pourra s’attendre à ce que les percepteurs d’impôts abordent les vendeurs de thiaff (cacahuètes grillées) et de beignets pour les «encourager» à participer à l’effort de financement de l’économie. Au moment où les entreprises ont le plus besoin de relance, on leur promet d’en finir avec les politiques d’exonération. Les transferts par mobile money, qui sont en pleine croissance, seront mis à contribution, nos «tontons Picsou» n’ayant pas l’intention de laisser échapper toute «fuite» de capitaux, si minime soit-elle.
L’ennui avec les concepteurs de ce plan admirablement bien présenté, c’est qu’ils ne disent pas d’où viendra son financement. Car l’état de l’économie est tel que les entreprises, quelle que soit leur taille, sont quasiment exsangues. Une bonne partie d’entre elles font l’objet de redressement fiscal et d’avis à tiers détenteur. Beaucoup de patrons tentent de contourner le couperet fiscal en revenant aux bonnes vieilles méthodes de paiement «main à main». Peu d’entre eux imaginent même de pouvoir embaucher du personnel, moins encore de pouvoir offrir des incitations à leurs partenaires et fournisseurs.
On risque de voir l’Etat recourir à des méthodes qu’il reproche à ses prédécesseurs. Ainsi, si le souverainisme devait se résumer à ne plus voir de drapeaux étrangers sur des édifices dans notre pays, on pourrait dire qu’il ne mange pas de pain. Si en plus, ce même souverainisme se limite à céder des portions du territoire prises aux militaires français, on peut se demander pourquoi ces gens n’ont pas mis en location les fameuses bases arrachées aux militaires français.
Car peu de personnes sont dupes quand le Pres annonce dans sa mobilisation des ressources, le «recyclage d’actifs et leviers des ressources naturelles», ainsi que l’«optimisation des revenus du foncier». Si l’on veut céder à un investisseur une portion de terrain, on ne peut lui donner comme garantie que le titre foncier ou au moins, un bail emphytéotique. Sans cela, qui prendrait le risque de mettre son argent sur ce terrain ?
Et si à la fin, on finit par vendre, n’aurait-t-il pas mieux valu, comme le disait Madiambal Diagne dans un de ses tweets, le céder aux militaires français moyennant loyer, comme l’a fait le gouvernement djiboutien ?
Quant à la renégociation des contrats stratégiques, à quoi aboutira-t-il si les partenaires sont réticents ? Le contentieux avec Woodside est loin d’être épuisé, et coûte déjà cher au pays. Le Premier ministre avait «posté» sa frustration quant à la gouvernance au sein d’Orange Sénégal. Mais de quel levier dispose le Sénégal pour faire bouger les choses, quand on sait que les mêmes employés sénégalais qui poussent l’Etat contre leur direction, sont bien contents de se partager des dividendes importants, en lieu et place d’une politique nationale de recrutement par exemple ?
Il est malheureux que le régime actuel ait oublié le pouvoir qu’il avait de faire rêver les Sénégalais. Dans l’opposition, son leader fait état de ses «Solutions» pour impulser le développement du pays. Il promettait de mettre fin au bradage et au pillage de nos hydrocarbures, dans un autre ouvrage.
Malheureusement, cette capacité s’est dissipée à l’épreuve du pouvoir.
Depuis qu’il nous a trouvés au 4ème sous-sol, il peine à nous en extraire. Et son Pres, qui semble dans de larges portions s’être fortement inspiré du Pref de Abdou Diouf, risque de ne pas produire des «fruits» aussi succulents que ceux de son lointain prédécesseur. Le duo Sonko-Diomaye, dans son programme, n’offre aucune perspective d’emploi, ne donne pas d’incitation à la création d’emplois. Il promet la promotion de l’agriculture, mais cet hivernage se présente aussi catastrophique que celui qui l’a précédé.
Comme disent les anglophones, «à la fin de la journée», le financement endogène du Pres a de fortes chances de finir par un départ en catimini à Canossa, à Washington.
NOTA – Une première avec le Pres, c’est que la politique économique, un domaine reservé du président de la République, a été accaparé par le Premier ministre. Si l’on parle de Diomaye, le Premier ministre ne manque jamais, depuis la conception, de rappeler que ce sont ses équipes et lui qui sont à la base de ce plan. Dans ce domaine, Diomaye, qui a longtemps proclamé son désir de voir son chef du gouvernement «non pas lorgner, mais même bien regarder» son fauteuil, semble lui avoir cédé avec grâce ce domaine régalien. Il est donc correct pour nous de parler du Pres de Pros !