Les observations faites sur les différents régimes sénégalais, depuis plusieurs décennies, ont achevé de me convaincre qu’il existe pour chacun d’eux, considéré individuellement et collectivement, un dénominateur commun : ils ne disent jamais la vérité au Peuple ; ils ne respectent jamais la parole donnée ; en un mot, ils trompent toujours leurs mandants pour goûter le plus longtemps possible aux délices du pouvoir. De Senghor à Sall, en passant par Diouf et Wade, le phénomène est resté constant jusqu’à nos jours avec l’actuel régime.
Jacques Attali, dans Verbatim 1, le décrit ainsi : «L’exercice du pouvoir ramène à l’essentiel. Il grossit les caractères des êtres comme la loupe ceux de l’imprimerie. Il est une drogue qui rend fou quiconque y touche, qui corrompt quiconque s’y installe, qui détruit quiconque s’y complaît. Aveuglées par les phares de la renommée, les chenilles dévouées ont tôt fait de se métamorphoser en vaniteux papillons.»

Mais il faut qu’ils comprennent, comme disait Ahmed Sékou Touré, «qu’on peut tromper une partie du Peuple une partie du temps, mais pas tout le Peuple tout le temps». Les Sénégalais sont fatigués de la politique politicienne à cause des promesses non tenues. Et ce qui est plus grave est que l’homme politique de ce pays n’a plus aucun crédit aux yeux de ses compatriotes. Il a complètement perdu le rapport de confiance qui, naturellement, le liait à son Peuple.

Il est vrai, comme dit Kant, que l’homme est une créature imparfaite et par conséquent, tout ce qui émane de sa faculté d’abstraction subira sans nul doute, pour une part, l’empreinte de cette imperfection.

Autrement dit, on ne peut pas toujours faire exactement ce que l’on dit, conformément à ses désirs ; cela relève de l’attribut de Dieu, nul n’en disconvient, mais cela les dédouane-t-il pour en abuser ? Je ne le pense pas ! A y réfléchir de près, «ce modus operandi» porte en lui-même le germe de leur insuccès, voire de leur perte-même du pouvoir. Slogans ne pouvaient être plus persuasifs, plus convaincants, plus porteurs d’espoir que ceux arborés par le candidat Macky Sall : «La Patrie avant le parti» ; «Gouvernance sobre et vertueuse». C’est exactement le contraire que nous avons observé depuis son arrivée à la magistrature suprême jusqu’à son départ. Dommage ! Avec le régime de Diomaye, les promesses non tenues ne se comptent plus ! L’actuel Président pourra-t-il réussir là où ses devanciers ainsi que d’autres mouvements au plan mondial ont échoué ? Wait and see, comme disent les anglo-saxons.

En tout cas, le mouvement de l’histoire nous offre des exemples de ce type qui, in fine, ont mal tourné. Le marxisme en a fait les frais. A ses débuts, Marx préconisait le «dépérissement de l’Etat». Qu’est-il arrivé par la suite ? Le stalinisme et ses crimes abominables étaient inscrits dans la perversion que Lénine avait fait subir à la théorie de Marx : ni «association d’hommes libres» ni «dépérissement de l’Etat» ; le socialisme soviétique, devenu stalinien, se transformait en processus inverses : terreur de masse imposant le communisme et renforcement continu d’un Etat bureaucratique et policier provoquant des millions de morts, y compris et d’abord parmi les militants communistes. De ce point de vue, l’effondrement du «communisme établi», du Mur de Berlin à l’Union Soviétique, représente bien une revanche spectaculaire des formes sociétaires sur les formes communautaires communistes, devenues totalitaires. Vous conviendrez avec moi que tout cela est consécutif au non-respect de la parole donnée au Peuple. Que ceux-là qui procèdent ainsi se le tiennent pour dit que le mouvement de l’Histoire n’est pas irréversible. L’Histoire se répète, curieusement parfois.

Le Peuple laisse faire, mais il comprend tout ; il attend toujours le moment opportun pour réagir. Ceux qui nous gouvernent ne sont pas plus instruits que nous, ne sont pas plus intelligents que nous, car le groupe restera toujours plus intelligent que le plus intelligent du groupe.

Quoi de plus simple de rester à l’écoute de son Peuple et d’avoir toujours le courage de lui tenir le langage de la vérité, car comme disent les Wolofs : «Degay mouj.» Mais, que demande le Peuple ? Comme disait Charles Pasqua, ancien ministre français de l’Intérieur, dans son ouvrage du même nom. Que demande le Peuple sénégalais ? On n’a pas besoin d’être politicien pour le savoir. Il n’existe pas d’école qui forme des «ministres». C’est une question d’écoute, de méthode et d’organisation, mais surtout d’imagination car, sur l’aile enjouée du temps, comme disait Antonio Gramsci, il n’y a pas de plus affreux désastre que la mort de l’imagination. En usant de la méthode cartésienne Sora -Situation, observation, réfle­xion, action-, tentons d’identifier les besoins-clés du Peuple auxquels nos gouvernants ont l’obligation individuelle et collective d’apporter des réponses positives. Cela ne se fera qu’en mettant efficacement en œuvre des politiques publiques rapides et systématiques ; Allons à l’essentiel : le Peuple demande à manger à sa faim, car selon la hiérarchie des besoins de Abraham Maslow, les besoins physiologiques occupent le premier palier -denrées de première nécessité disponibles et à des prix abordables pour tout le monde-, ventre creux n’a pas d’oreille -comme disent les anglo-saxons : «The hunger man is the angry man» «l’hom­me qui a faim est un homme fâché».

Le Peuple demande un bon système sanitaire ; la Couverture maladie universelle dont on parle ne doit pas être un slogan mais une réalité palpable où chaque Sénégalais trouve son compte.

Le peuple demande une éducation de qualité pour tous ses enfants. Pour ce faire, un traitement correct pour ses enseignants est indispensable. Ces derniers, à tous les niveaux, doivent être placés dans de bonnes conditions de vie et de travail, avec un salaire décent digne de leur rang et du rôle crucial qu’ils jouent dans la société. A ce propos, rappelons-nous le mot de Jean-Pierre Chevènement : «Un Peuple qui néglige ses enseignants est un Peuple qui se suicide.»

Le Peuple demande pour ses enfants des emplois, toutefois, comprenons-nous bien, l’Etat à lui seul ne peut pas fournir des emplois à tous ces jeunes dont le nombre croît d’année en année. Je pense que la promotion du secteur privé est indispensable pour la création d’emplois. Pour y arriver, l’Etat doit absolument créer les conditions d’épanouissement du secteur en attirant les entreprises par une législation adéquate, une bonne fiscalité, ainsi que des infrastructures de qualité pour l’écoulement des produits.

Le Peuple demande des infrastructures, des ponts et chaussées en bon état pour le déplacement fluide des personnes et des biens en moins de temps. «Time is money.»

Le Peuple demande la paix ! Tout ce qui est de nature à l’entraver doit être combattu sans ménagement. Il n’y a pas de paix sans culture humaine. Sans elle, aucune action de développement n’est possible.

Le Peuple demande… le Peuple demande… Eh oui ! C’est vous qui avez sollicité ses suffrages, par conséquent, vous êtes tenus de vous soumettre à ses doléances. Même si le père est pauvre, il faut que l’enfant demande quand même.

Cependant, ceux qui acculent le Président et son Premier ministre à passer aux actes conformément à leurs promesses de campagne, doivent, à mon sens, s’y prendre avec indulgence. Sur les plateaux de télévision, dans les colonnes des journaux, certains sont trop acerbes et condamnent sans appel.

Aussi dois-je avouer que je n’ai pas voté pour la Coalition Diomaye Président, je le confesse, néanmoins il y a trois promesses sur lesquelles je n’ai pas le même avis que certains de mes compatriotes.

D’abord sur les fonds politiques ou secrets ou caisse noire ; appelez cela comme vous voulez. Je vous invite, Monsieur le Président, à revenir sur vos engagements. Ne les supprimez pas. Ceux qui vous y poussent ont-ils réellement compris le sens de ces fonds ? Mais ces fonds sont un moyen de travail, d’action, au même titre que l’avion présidentiel ! Que le palais de la République ! Que la Garde présidentielle, et que sais-je encore ! Il convient même de les augmenter si la situation économique et financière du pays le permet. On imagine mal un président de la République avec des soucis d’argent. C’est comme ça dans toutes les démocraties du monde. Entendons-nous bien, mon raisonnement ne s’applique pas aux institutions dites «budgétivores» ; suivez mon regard.

Ensuite, les nominations aux postes de direction ne doivent pas, à mon sens, faire l’objet d’appel à candidatures, comme annoncé durant la campagne. -Ku falu fal say gaay-. On ne peut gouverner qu’avec des gens de même conviction. Personne n’en doute, tous les profils requis se trouvent bel et bien dans les rangs de la Coalition Diomaye Président.

Enfin, le franc Cfa. Ici faites attention, Monsieur le Président, les «Toubabs» sont subtils et peuvent être dangereux quand leurs intérêts sont en jeu. Dans les coulisses de leur administration, il y a des esprits très futés qui ne sont payés que pour veiller à cela. C’est pourquoi l’Armée française, avec sa base ici chez nous, ainsi que certaines entreprises qui génèrent des milliers d’emplois doivent être traitées avec la plus grande précaution. Oui à la souveraineté, mais mettons-y les formes. Sous ce rapport, «France Dégage» est une formule désuète.
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’enseignement élémentaire à la retraite