Dans ce texte initiatique et fort, Fatoumata Sissi Ngom déplie les dimensions originelles de l’homme et de la femme et mêle science, biologie cellulaire et philosophie pour expliquer les inégalités hommes-femmes et analyser la fin prochaine, naturelle et programmée de la masculinité nocive. Ce récit sensibilise sur les droits des femmes, et arpente les contours d’un féminisme africain et sénégalais plus humaniste et rationnel.
Fatoumata Sissi Ngom est née en 1986 à Dakar et a grandi à Mboro où elle a obtenu un Baccalauréat S1 avec la mention Bien. Après une classe préparatoire aux grandes écoles Maths sup/Maths spé, elle obtient un diplôme d’ingénieur en mathématiques financières et en informatique à l’Ensiie. Elle a une première carrière en actuariat et gestion des risques biométriques et financiers de produits d’assurance-vie structurés. Portée par une forte volonté de contribuer au bien commun à travers l’action publique, elle décide de changer de carrière et effectue un master en politiques publiques à Sciences Po Paris. Elle est aujourd’hui analyste de politiques publiques climatiques et économiques et rédige des rapports (Ocde) de recommandations de politiques publiques pour l’atténuation du changement climatique, la croissance économique et l’augmentation du bien-être.
Egalement grande passionnée d’art et de littérature, elle publie son premier roman Le silence du totem (Harmattan, avril 2018), salué par la critique et qualifié de visionnaire et prémonitoire, car ayant pour thème principal la restitution des œuvres d’art africain. Fa­tou­mata Sissi Ngom a aussi décliné Le silence du totem en conte pour enfants pour les sensibiliser au sujet de la restitution du patrimoine africain et l’importance du patrimoine culturel.
Elle est aussi l’auteure d’une nouvelle intitulée La tragédie des horizons, parue dans la revue de littérature et de réflexion Apulée des éditions Zulma, dirigée par l’écrivain Hubert Haddad, avec pour thème le crime environnemental, l’injustice climatique dans le Sahel et les pays du Sud (Afrique, Amérique Latine), la mort, et l’au-delà.

Un texte initiatique et éducatif sur l’égalité des genres
Rokhaya se lamente beaucoup sur le sort de la femme dans la société africaine. Elle veut comprendre l’origine des règles de la vie du monde et des injustices envers les femmes. Rokhaya a un don extraordinaire. Celui d’entrer dans des sortes de limbes, espace magique et indéterminé, et d’y construire ses propres rêves. On appelle cela les rêves lucides. Elle s’allongea sur son lit, appliqua la méthode dont elle seule a le secret et plongea dans un doux sommeil. Aujourd’hui, elle a décidé de converser en rêve avec un très grand biologiste, le Docteur Shettles, qui avait fait, il y a très longtemps, une formidable découverte.
– Dr Shettles, dit-elle, je voudrais comprendre le début de la vie et examiner l’origine des inégalités entre l’homme et la femme. Qu’avez-vous à m’apprendre ?
– Et si on faisait un jeu ? lui répondit-il. Je vous donne quelques petits indices, et vous réfléchissez après.
Il continua.
– Avant le début de la vie, les spermatozoïdes mâles, qui font un voyage fantastique vers l’ovule pour former un bébé garçon, sont ultra rapides. Cependant, ils sont fragiles et leur durée de vie se mesure en heures. Les spermatozoïdes femelles, eux, qui font le même merveilleux voyage vers l’ovule pour former un bébé fille, sont plus lents, mais beaucoup plus résistants et résilients. Elles peuvent vivre jusqu’à 3 jours ou même plus parfois.
Soudain, dans son propre rêve, Rokhaya eut une illumination. L’origine du monde se dessina devant elle. N’y a-t-il pas là un puissant message caché ? La Nature est extraordinaire.
Elle se mit à méditer pour élaborer une théorie.
– Ah ! Voilà donc pourquoi il y a plus d’hommes que de femmes qui naissent dans ce monde, pensa-t-elle. Ils arrivent à l’ovule plus rapidement. J’avais un jour posé la question à un professeur de géographie, mais il avait uniquement convoqué Dieu dans ses explications. Voilà pourquoi aussi, naturellement, les femmes vivent plus longtemps que les hommes : la Nature reprend ses prédispositions. Mais alors, que s’est-il passé dans le monde ? Se demanda-t-elle.
La réponse lui vint. C’est l’homme qui a décidé des premières règles et défini les premiers ordres du monde. C’est un homme qui a décidé que la femme lui était inférieure. C’est un homme qui a décidé que la femme doit lui être soumise. C’est un homme qui a décidé de quelle façon une femme doit s’habiller. L’homme a pris le dessus dès le début du monde. S’en sont suivies injustices et dominations millénaires au détriment de la femme. Mais comme au cours du cycle de la vie, les sociétés sont en train de tendre vers un équilibre naturel qui redonnera sa place à la femme. Cette marche est lente et se déroule dans le temps du monde. La femme marche avec force et tranquillité vers son Temps. Elle prouve qu’elle peut faire les mêmes choses que l’homme. Il en existe des guerrières, des héroïnes, des inventrices, des créatrices. En Afrique, comme dans tous les autres continents du monde, justice est en train d’être faite pour la femme. Mais le temps semble plus long en Afrique.
Alors elle décida, dans son rêve, d’écrire une lettre aux enfants d’Afrique.
«A la petite fille qui me lit, sache que tu n’es ni inférieure, ni moins forte que les petits garçons. Ton cerveau est capable des mêmes choses que celui d’un garçon. Tu as le droit d’étudier, de travailler et de participer plus tard au développement de ton pays. Toi aussi tu peux changer le monde pour le meilleur. Tu es libre. Mais en grandissant, sache que l’homme n’est pas ton ennemi : il peut être ton partenaire. Si vous coopérez, il peut te compléter.
Au petit garçon qui me lit, ouvre les yeux autour de toi et observe les injustices envers les filles ! Si tu vois qu’on frappe une fille, proteste. Si tu vois qu’on te sert une plus grande quantité de nourriture que ta sœur, ta cousine, ou ton amie, uniquement parce que tu es un jeune homme et que tu dois être plus fort, proteste. Si tu vois qu’une petite fille passe beaucoup de temps en cuisine au lieu de faire ses devoirs comme toi, proteste. En grandissant, sache que la soumission et la faiblesse sont des anomalies : la femme est ton partenaire. Si vous coopérez, elle peut te compléter.»
Rokhaya remercia le Dr Shettles et décida d’ouvrir les yeux. Elle jeta un regard circulaire dans sa chambre et remarqua une feuille de papier pliée en deux sur son bureau. Alors elle la déplia et découvrit la lettre qu’elle avait écrite dans son rêve.
Fatoumata Sissi NGOM
Ce texte a été écrit dans le cadre d’un futur projet éducatif et artistique qui va être déployé dans des écoles au Sénégal, Gno Yam (Nous sommes égaux).