Le risque sur la maison de l’Onu à Dakar

Un courrier de la Primature du Rwanda en réponse à une demande du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu), M. Antonio Guterres, voulant installer certaines agences du système onusien en Afrique, aura eu le mérite de nous interpeller. La Primature rwandaise donnait ses dispositions à accueillir, avec un siège flambant neuf, les agences de l’Onu que le schéma d’une installation de leurs quartiers à Kigali intéresserait, conformément au souhait du Secrétaire général à l’occasion de la célébration des quatre-vingts ans d’existence de cette instance-clé du multilatéralisme. L’Onu se trouve face à un casse-tête avec des baisses de cotisations de certains Etats membres pour son fonctionnement. Le symbole absolu étant la décision unilatérale des Etats-Unis d’Amérique, sous le Président Donald Trump, de couper une grosse part de l’aide internationale de ce pays qui contribuait grandement à la promotion du multilatéralisme. La diplomatie rwandaise est bien agressive et on doit leur reconnaître de chercher à attirer toutes les initiatives d’installation au Pays des mille collines. Le sport et la culture ont été des moyens de déployer ce soft power rwandais depuis quelques années. En se préparant à être une base de l’Onu dans le schéma d’une ouverture d’un nouveau siège régional pour épauler ceux de New York et de Genève, on peut dire que le Rwanda n’a pas froid aux yeux et ose œuvrer pour ses ambitions d’hégémonie en Afrique. Cette dynamique, quand on la regarde d’un œil sénégalais, crée une dissonance terrible avec notre positionnement diplomatique et surtout par rapport aux logiques que met en œuvre notre Etat pour capitaliser son potentiel et asseoir son leadership.
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Le Sénégal est ce pays qui, en novembre 2023, aura inauguré, à Diamniadio, une Maison des Nations unies dont le schéma initial était qu’elle serve de hub régional pour cette organisation internationale, en y accueillant pas moins d’une trentaine d’agences et près de 2500 travailleurs du système onusien. Le gigantesque bâtiment blanc qui trône à Diamniadio est inoccupé 18 mois après sa réception, et tout porte à croire que le déménagement n’est pas pour demain.
Un procès-verbal de réception du bâtiment a été adressé à la Société de gestion et d’exploitation du patrimoine bâti de l’Etat (Sogepa) depuis août 2024 par les promoteurs du projet. Mais le silence radio sur l’avenir de cet édifice laisse perplexe. De plus, les paiements des promoteurs ont pu être faits, comme stipulé dans le cadre d’une convention de location-vente avec l’arrivée des nouvelles autorités. S’il y a donc quelque chose qui pèche et qui empêche l’occupation de la Maison des Nations unies, l’explication est à chercher au haut de la pyramide avec le président de la République Bassirou Diomaye Faye, chargé de définir notre politique diplomatique. Le média Jeune Afrique, dans un article sur ce sujet, parle d’une «omerta» tant au niveau des responsables onusiens que des autorités étatiques, pour qu’une occupation effective de ce bijou soit à l’ordre du jour. Cette «omerta» ne peut s’expliquer d’autant plus qu’il y a moins de deux semaines, le chef de notre Exécutif se félicitait, avec notre ministre des Finances, Cheikh Diba, d’inaugurer un siège régional de la Banque mondiale.
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Si, au moment où l’ancien Président sénégalais Macky Sall et la vice-secrétaire générale des Nations unies Amina Mohammed inauguraient le siège régional de Dakar, les diplomates onusiens pouvaient faire la fine bouche quant à une installation à Diamniadio, on peut se dire qu’aujourd’hui la donne a changé et une ouverture de la maison dakaroise soulagerait à bien des égards. Le Sénégal a toujours eu, avec plusieurs organisations internationales, des accords de siège régissant leur hébergement dans notre pays et un appui dans leur fonctionnement. On ne peut pas se lever avec une simple volonté de rupture pour vouloir mettre un terme à tous ces traditions et engagements diplomatiques qui auront donné à notre pays une certaine stature et un poids sur les échiquiers régional et mondial. Ces accords de siège, notre pays en bénéficie avec l’installation de certaines de nos missions diplomatiques, notamment dans les pays asiatiques et dans le Golfe. On ne peut pas refuser aux autres ce que nous sommes très enclins à accepter chez eux.
Au moment où notre pouvoir se tâte, d’autres pays s’empressent à se proposer. Ce serait un énorme gâchis que, du jour au lendemain, la Maison des Nations unies ne serve pas sa mission première, pour occasionner une reconversion du bâtiment qui en trahirait l’essence-même. J’oubliais que les idéologues du «Projet» ont l’esprit fécond, transformer la Un House de Dakar en «Maison de Patriotes», pour ne pas dire en «Maison du Peuple», en un claquement de doigts ne serait pas une idée osée ! Pour en revenir à l’usage fonctionnel de la Maison des Nations unies, il y a une opportunité diplomatique qui se présente pour notre pays. La balle est à saisir, hors de toute logique de souverainisme sot et de calculs mesquins qui font plus perdre la face qu’ils n’aident.
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Au-delà de l’aspect diplomatique, le fonctionnement de la Maison des Nations unies à Diamniadio ferait vivre tout un écosystème dans cette ville. Des commerces et services y seront établis, les zones d’habitation y seront prisées et une attractivité avec le flux d’individus insufflerait du souffle à Diamniadio, qui donne actuellement plus l’impression d’une cité administrative fantôme où, après les heures de bureau, tout est atone. Le Sénégal gagnerait beaucoup qu’un pôle régional de l’Onu soit fonctionnel en abritant les rencontres de cette organisation et en servant de base solide où convergeront travailleurs, experts et diplomates.
La ville de Diamniadio aura été pensée à ses premières heures comme un hub d’affaires régional pouvant offrir des commodités qui devenaient désuètes à Dakar et ouvrir le Sénégal au monde. Le Centre international de conférences Abdou Diouf (Cicad), le Parc des expositions, Dakar Arena, le Stade international Me Abdoulaye Wade et les sphères ministérielles auront été bâtis dans la logique d’une ville polyvalente, avec des infrastructures de qualité pour accueillir du monde d’ici et d’ailleurs, sans aucun complexe. Tuer tout cet esprit juste dans une logique révisionniste pour dénier toute paternité ne serait que stupide vanité égotique.
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Le projet de la Maison des Nations unies aura été initiée en 2015 avec des travaux ayant démarré en 2018. Après une décennie, si on n’arrive pas, avec un bâtiment prêt, à faire tourner cette maison, on peut désespérer de notre capacité à concrétiser de grands projets d’infrastructures, avec utilité pratique et prestige collectif.
La diplomatie est un train continu qui se doit d’être constant malgré les changements d’homme à la tête de la locomotive. Il y a des opportunités qu’un pays ne peut rater, et avec le travail abattu jusqu’à l’heure, il ne manquerait pas grand-chose pour que la Un House dakaroise prenne sa place dans la carte des adresses des organisations de coopération et des antres du multilatéralisme. Si c’est dans un esprit d’effacer une partie de l’œuvre d’un prédécesseur que les autorités sénégalaises manifestent une certaine frilosité à laisser prospérer la Maison des Nations unies de Diamniadio, on pourra se dire que notre pays fait un mauvais pari diplomatique. Au Président Faye de savoir jouer de finesse et d’ouverture, c’est à lui d’organiser notre coopération. Il laissera lui aussi des œuvres qu’il souhaitera que ses successeurs poursuivent ou continuent de les laisser prospérer.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn