Par Hamidou ANNE –

Ils lancent leur programme de gouvernement au Centre international de conférences Abdou Diouf, prestigieux héritage du régime du Président Sall dont le nom est donné à un des hommes d’Etat qu’ils ont jadis appelé à fusiller. Ils organisent un raout dans la belle salle de Dakar Arena, luxueux héritage du régime Président Sall dont ils jugeaient la construction contraire aux priorités du pays. Les militants ont été convoyés par Dakar Dem Dikk, héritage du régime du Président Wade qu’ils ont jadis appelé à fusiller. L’autre horde de militants a été transportée par le Train express régional, infrastructure structurante léguée à la postérité par le régime du Président Sall.
Pour rappel, Mimi -selon la facétieuse trouvaille du maire de Dakar- avait juré de renoncer à son patronyme si le Ter roulait un jour.
Je reviens sur ce récent passé, car il permet de comprendre davantage à qui nous avons affaire. Une belle brochette de plaisantins dont l’ardeur à la tâche ne s’est guère exprimée, si ce n’est par la calomnie, l’injure, la médisance et la confirmation d’une notoire incompétence. Je rappelle ce passé également parce que rouler en Brt, composter le billet de Ter, s’enjailler dans l’enceinte de Dakar Arena provoqueraient pour un esprit rationnel un peu d’humilité et moins d’arrogance. Au contraire, la rhétorique de «l’Etat en ruine» par la faute de maquillage des comptes publics est encore brandie. Bref, la bêtise insiste toujours, nous prévenait Camus.
Des milliers de nos compatriotes vivent un drame humanitaire sans précédent depuis plus d’un siècle. Bakel est devenu la matérialité de la souffrance des Sénégalais victimes de la crue qui a fait suite au débordement de certains cours d’eau. Pire, il n’y a pas que Bakel : le Fouta est atteint. Notre beau territoire, ardent foyer de sagesse, d’intelligence et de fine intuition, est également touché par le débordement du fleuve du Doué, rivière née du fleuve Sénégal, au cœur du pays halpulaar. Podor, Ndioum et tant d’autres villages sont touchés dans un silence officiel qui en dit long… Je m’en remets à Charles Péguy : «Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.» Bref…
Pendant ce temps, quand les énergies sont attendues autour d’une exigence de sortir de la souffrance nos compatriotes du Nord et de l’Est, les amuseurs publics paradent, accusent et, pire, s’accusent. Il y a une décence que je n’ai jamais attendue de ces gens. Et elle n’est toujours pas au rendez-vous.
La grossièreté est la marque de fabrique des faibles d’esprit dont la seule valeur est de n’en avoir aucune d’exemplaire. Pour dire le vrai, la cruauté de l’incompétence lui provient de son compagnonnage avec la désinvolture, voire la témérité.
L’incompétent, quand il a en plus la mauvaise «bonne idée» d’être bavard, expose son ignorance et sa bassesse. Beaucoup de nos compatriotes qui, jadis, ont eu la faiblesse de leur prêter oreille attentive et bienveillante, ne se font plus d’illusion. Leurs anciens alliés, rétifs à l’époque à toute critique froide et objective au nom du «Tout sauf Macky», se réveillent groggy, entre cyberharcèlement, arrestations et acharnements divers.
Le temps est décidément ce juge implacable de la vanité des hommes. Quand ce bavardage, aussi permanent qu’incivil, s’arrêtera-t-il pour se remettre enfin au travail, afin de prendre soin de la veuve et de l’orphelin, de l’étudiant précaire comme de l’ouvrier, du retraité comme de l’enfant dont l’école est envahie par les eaux d’un fleuve débordant ?
Un des leurs parlait en mars dernier d’un «Sénégal des Almadies face à un Sénégal des Parcelles Assainies». Sa voix s’est désormais perdue dans la compromission quand il s’agit de pointer le Sénégal de Bakel et celui de Dakar Arena.
Bakel a les corps plongés dans les eaux, parmi lesquels ceux des mères aux visages noyés de larmes devant le désarroi de leur progéniture.
Des enfants en sont réduits à errer dans une zone coupée du reste du monde faute de pouvoir aller à l’école. Ils ont tout vu du show indécent de Dakar Arena et ne l’oublieront jamais. Pendant qu’ils souffrent, d’autres festoient. Il faut avoir un immense culot pour un jour oser faire le récit de l’unité nationale aux citoyens de Bakel et du Fouta. Et la Gauche, dans tout ce drame, notamment celle qui est tombée en ruine morale à force d’opportunismes et de calculs ? Celle qui a juré de défendre les opprimés et les outragés au nom de l’universalisme du genre humain. Au nom de places à squatter, ils ont expulsé le peuple de Bakel, de Matam, de Podor, de Kédougou, de leur champ de vision de l’humanité.
L’histoire retiendra que le 19 octobre, pendant que des milliers de Sénégalais souffraient dans leur chair, les privilégiés se pavanaient au meeting de la honte… Il faut violemment détester son pays pour l’oser.
hamidou.anne@lequotidien.sn