Le Sénégal, l’heure du choix
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L’appel des urnes est imminent après deux semaines de campagne express, riches en enseignements et en leçons sur tout le personnel politique qui aspire à nous diriger. La campagne électorale aura été l’occasion de voir des candidats, qu’on attendait plus sur un débat d’idées et des échanges sur leurs programmes, se livrer au jeu puéril des accusations infondées. A vrai dire, il n’y a pas eu de grosses différences dans les arguments entendus ces deux dernières semaines de part et d’autre, avec le discours ambiant régnant dans ce pays depuis le lendemain de la Présidentielle de 2019. Dans un pays en campagne permanente, le temps d’apprécier une élection présidentielle comme un rendez-vous inévitable avec le Peuple entre des hommes et femmes supposés d’exception et pétris de qualités pour conduire notre nation, perd de sa superbe.
Tout se fait avec une légèreté déconcertante et la désinvolture dont font montre certains militants pour tout pardonner ou excuser, tant que leur champion a des chances de gagner. On aura eu l’affreuse expérience pour cette année d’avoir un duo siamois qui se tient la main, tels de petits enfants égarés, pour demander le suffrage des Sénégalais. A une position aussi sérieuse que la présidence de la République, le choix est proposé pour un homme comme substitut d’un autre. De tout là-haut, Léopold Senghor, Lamine Guèye, Mamadou Dia ou Cheikh Anta Diop doivent s’arracher les cheveux de voir le cirque à ciel ouvert qu’est devenu ce pays qui a toujours brillé par la qualité de ses esprits. La politique est une affaire très sérieuse, mais nos acteurs auront réussi à délégitimer ce noble art du service à la cité.
Pour avoir pris le temps de parcourir quelques-uns des programmes, on peut mesurer l’impréparation d’un personnel politique qui fait de l’enfumage un art. Les aprioris sur des programmes publics existants, l’analyse partisane de certaines politiques publiques et de leurs impacts, le vide quantitatif avec des propositions et projets qui ne sont guère chiffrés, le plagiat entre programmes de candidats ou le simple plaquage de pans entiers de programmes existants peuvent irriter au plus haut point.
Pour ne pas aider, la démagogie et le populisme ont pris le dessus sur toutes les sorties. Entre des accusations farfelues, des argumentaires sots, une manipulation à outrance sur les réseaux sociaux avec une pile de faux enregistrements audios et un piratage des Unes des journaux, les fractures dans le pays se sont davantage prononcées. On n’ose pas encore imaginer le désordre que sera le début des annonces des résultats à la radio au soir du 24 mars 2024. En 2019, les faux résultats de la diaspora commençaient à tomber sur les réseaux sociaux avant la fermeture des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire. La presse, dans une certaine complaisance, s’amusait, avant même le dépouillement du dixième des suffrages exprimés, à commenter des tendances. Il faut déjà se préparer à voir toutes les formes d’irresponsabilité.
Dans le ridicule sans nom qui aura fini de secouer toutes les franges de ce pays, les candidats Cheikh Tidiane Dièye et Habib Sy ont annoncé au Conseil constitutionnel, à deux jours du scrutin, leur retrait de la course. Leur plan était bien connu depuis le début, être candidat pour avoir des temps d’antenne et les mettre à contribution pour le vaisseau-amiral «Diomaye Président». Scrupule est peu fait des ressources du contribuable sénégalais engagées dans la participation de ces candidats fantoches à la Présidentielle. Le manque de respect et de considération envers les électeurs qui ont pu les parrainer ou s’intéresser à leur proposition est sans commune mesure. Le Conseil constitutionnel aura le mot juste de refuser le désistement du sieur Habib Sy.
Espérons que toutes les chapelles politiques seront assez responsables pour accepter les résultats qui sortiront des urnes dans un climat paisible. Karim Wade, depuis son doux exil qatari, a encore tenté de secouer, avec l’énergie qui lui reste, l’arbre sénégalais. Il refuse encore de se prononcer pour l’heure sur un soutien à un quelconque candidat, bien que ses militants lui donnent des indications, tout en présageant déjà d’un contentieux électoral et d’un éventuel hold-up. On ne peut pas être plus pyromane dans un pays où depuis mars 2021, tout concourt à tenter le pire.
Les urnes sont un moment d’intimité avec le sort de la République. Ce moment aura été assez chahuté. Il appartiendra à chacun de nous de décider d’un horizon clair et que ce pays se remette au travail. Bon vote et que Dieu ne cesse de veiller sur le Sénégal.
Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn