Le Sénégal fait face à des crues de ses deux fleuves rarement connues depuis les années 1950. Toutes les localités traversées par le fleuve Sénégal sont arrosées par le chaos des inondations découlant de crues inédites. Toute la rive droite du fleuve baigne dans l’eau avec des villages submergés, des champs détruits, du bétail perdu et des habitats totalement engloutis. Aroundou, Golmy, Kounghani, Tuabou, Manael, Moudery, Diawara, Dembancané, Yaféra, Waoundé, le fleuve, qui a été toujours le meilleur ami de ces peuples de l’eau, sort de son lit pour rendre impossible toute activité et menacer l’existence-même des populations. Les régions de Tambacounda, de Matam, de Saint-Louis et de Kédougou subissent toutes de plein fouet l’effet des montées des fleuves Gambie et Sénégal, ainsi que de leurs affluents. A Kédougou, l’affluent du fleuve Sénégal, la Falémé, déborde de son cours et coupe des villages entiers du reste du pays.
La passivité coupable des autorités
Cette situation des plus déplorables fait d’autant plus mal qu’il y a une passivité des pouvoirs publics que rien ne peut justifier. Ils sont nombreux les sinistrés qui réclament une aide sans délai de l’Etat du Sénégal, alors qu’on peine à voir des autorités gouvernementales ou administratives s’assumer et définir une action. Les timides mots du communiqué du Conseil des ministres sur cette situation et les quelques commentaires déconnectés de la réalité du Premier ministre dans son adresse à ses réseaux en disent long sur un gouvernement qui préfère hurler avec les loups, plutôt que de prendre les problèmes à bras-le-corps. On est en face d’une urgence nationale, mais le retard à l’allumage risque de nous coûter cher.
Lire la chronique – Chers candidats, osez le débat avant de demander nos voix
Dans le Nord du pays, plusieurs élus locaux et responsables communautaires rappellent qu’ils n’ont cessé d’alerter les pouvoirs publics pour anticiper les dégâts que ferait l’eau du fleuve Sénégal d’ici la fin d’un hivernage pluvieux. Pas d’anticipation d’un Plan Orsec, pas d’organisations de ripostes rapides, pas de collecte de vivres de soudure face à un éventuel drame, l’impréparation bien sénégalaise aura gagné nos autorités qui se sont fait peu de soucis de la gravité du désastre humanitaire qui résulterait de la montée des eaux. Je peux dire que dans les colonnes du Quotidien ces dernières semaines, il y a toujours eu de la part de nos correspondants, des articles signalant les dégâts progressifs que causaient les débordements des fleuves Gambie et Sénégal dans toutes les localités avoisinantes. Autant la presse parvenait à distiller de telles informations, autant il est impossible de concevoir que l’Etat n’avait pas également de tels renseignements. Une négligence criminelle, couplée à un sentiment d’éloignement entre un centre et un arrière-pays, aura occasionné des dégâts énormes.
Conséquences des inondations : L’ÉTAT PATAUGE DANS LE DÉSASTRE
Pour l’heure, il est impossible, le long du fleuve Gambie et sur le cours du fleuve Sénégal, d’identifier tous les impactés et de mesurer l’ampleur des dégâts. Des périmètres rizicoles ont été emportés par les eaux, avec les récoltes dans la vallée du fleuve Sénégal, d’après la Saed. Dans la région de Tambacounda, plusieurs hectares de bananeraies ont été endommagés, en plus de perdre des cultures de divers produits. Les acteurs sur le terrain signalent les risques d’insécurité alimentaire et toutes les conséquences sanitaires qui peuvent découler d’une situation où les populations sont coupées de tout. Le fait que les populations soient laissées à elles-mêmes, sans aucune indication claire et sans une main tendue de l’Etat, rend davantage invivable la tragédie en cours dans l’Est et le Nord du Sénégal.
De Saint-Louis à Matam, le Président Faye a le devoir d’aller partout
L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (Omvs) effectue un suivi permanent de la crise, avec des alertes fréquentes et un partage d’informations donnant une pleine mesure du désastre. En début de semaine, cette organisation notifiait l’activation de son code orange pour toutes les villes périphériques du fleuve Sénégal. Elle informait, dans la même foulée, des risques irréversibles d’inondations majeures, avec l’atteinte du niveau maximal d’exploitation du barrage de Manantali. Les jours se suivent avec une eau beaucoup plus abondante. Il a même été procédé à un passage au code rouge dans les zones de Bakel, Gouraye, Matam, Podor et Kaedi.
Lire la chronique – Au royaume de la chasse à l’homme
La visite annoncée du Président Bassirou Diomaye Faye dans les zones sinistrées de la région de Kédougou alors qu’un Plan Orsec n’est toujours pas déclenché, aidera sûrement à bouger les lignes et à donner une assurance aux populations que l’Etat veut vraiment être à leurs côtés. Une telle visite ne devrait pas se limiter à une région abritant un des affluents du fleuve Sénégal. Ce sont pratiquement quatre régions qui sont englouties par les eaux et les sinistrés ont le droit de voir le dépositaire de leur destinée commune leur promettre des solutions. Etre chef, c’est tendre les mains là où il faut et porter assistance aux plus vulnérables. Du haut de sa station, le Président Faye doit savoir répondre au désarroi de ses compatriotes, et surtout leur insuffler de l’espoir à l’épreuve du pire.
Le cadet des soucis d’un Pm déjà en campagne
Le leader du parti Pastef, qui sert aussi de Premier ministre, appelle les militants et sympathisants de sa formation politique à cotiser dans le budget de la campagne pour les élections législatives du 17 novembre prochain. J’avoue que l’incongruité et l’indignité d’une telle invite dans un contexte où des milliers de Sénégalais pataugent dans le Nord et à l’Est du pays du fait des débordements des fleuves Gambie et Sénégal, ont de quoi outrer. On peut se faire une religion de n’attendre aucune lumière du Premier ministre, mais il doit faire face à certaines situations tragiques impactant la Nation, et se départir de son manteau politique et de gourou populiste pour penser au sort de la Nation. Il aurait été grand de sa part de faire un appel aux dons de ses compatriotes, plutôt qu’à chercher à amasser un trésor de guerre pour battre campagne.
Lire la chronique – Le partage sans fin du butin
Ce sera sous les vivats, acclamations et louanges de ses troupes qu’il comptera sauter dans la campagne, ce samedi au Dakar Arena. On ne peut faire plus indécent quand un pays saigne face aux aléas de la nature. Un esprit sournois me dira que l’Etat actuel du Sénégal n’a rien à faire du Nord, car ses patrons politiques savent que c’est un terrain perdu d’avance sur le plan électoral. Plus il y aura d’eau et d’inondations, plus s’offre à eux la possibilité d’y empêcher la tenue du scrutin. Etre cynique et manquer d’empathie à ce point est criminel, mais le calice se boit jusqu’à la lie. L’artiste Kanye West avait, lors d’un téléthon suivant l’ouragan Katrina, déclaré en direct à la télévision que le Président George W. Bush n’en avait cure du sort des Noirs (majoritairement impactés par cette tragédie en Louisiane). L’indifférence du pouvoir sénégalais face à ce qui se produit dans le Nord du pays peut faire penser à une forme de punition contre ses populations. Vous comprenez notre amertume quand dans un moment aussi sombre, le Premier ministre trouve du temps pour haranguer ses troupes et se laisse gagner par l’invective.
Lire la chronique – L’art de détourner le débat public par des contre-feux
Le vrai pouvoir a le charme d’être secondé par de la clémence, de l’empathie et de la tolérance. Il faudra un jour que nos hauts d’en haut se mettent cela en tête pour ne pas gérer un pays selon les appréhensions de sympathie ou d’hostilité qu’ils pensent percevoir des populations ou de certaines régions spécifiques. Les hommes doivent se souvenir qu’ils sont frères avant tout et qu’ils finiront dans la faute en voulant régner partout et sur tout. Le Premier ministre, après avoir défendu un ambitieux programme pour la Casamance, devrait s’évertuer à ne pas être le bourreau de certaines régions du pays. C’est ça la justice sociale et l’équité entre les territoires. Espérons que ces mots interpelleront des hommes d’Etat et non des chefs de meute.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn