C’est Le Quotidien, dans sa Une du jeudi 19 juin 2025, qui donne les détails de l’affaire : la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) a réalisé son rêve de s’octroyer encore des terres arables.

Le géant sénégalais du sucre, depuis quelques décennies, ne s’est jamais lassé de lorgner ces terres. Celles-ci, aujourd’hui, grâce à l’assentiment du Conseil municipal de la commune de Mbane, sont à sa disposition. La visite du président de la République Bassirou Diomaye Faye, qui a promis d’accompagner l’industrie pour réaliser son projet de souveraineté alimentaire, a, on le sait, accéléré le processus. L’on constatera hélas toute l’hypocrisie et la manipulation.

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Un pays comme le nôtre ne peut que se réjouir d’avoir, dans son tissu industriel, une industrie comme la Css. Celle-ci, en dehors de son apport considérable dans la production nationale, a aussi façonné la ville de Richard-Toll et, dans une certaine mesure, les villages environnants. Des générations ont pu échapper à l’exode rural grâce au travail que l’industrie leur a donné. Aujourd’hui encore, malgré la supériorité de la demande sur l’offre, l’industrie fait de son mieux dans le recrutement des jeunes diplômés -surtout les ingénieurs. La ville, en outre, accueille des Sénégalais venus de partout pour y travailler, devenant ainsi une illustration parfaite de notre art de vivre ensemble.
Revenons à la commune de Mbane. Celle-ci a le malheur d’être dirigée par un rustre. Un incompétent qui revendique son incompétence. Catapulté à la tête de la mairie par la magie de la politique, cet ancien badaud professionnel, puis charlatan, n’a même pas réussi à inaugurer des sanitaires pour les populations. Celles-ci ne le voient qu’à l’approche des élections. Mais, curieusement, il trouve toujours les moyens d’être réélu. Sa communauté, majoritaire, vote systématiquement pour lui. Je dois tout de même préciser qu’il ne s’agit là que d’un simple constat. C’est le vote qui est ainsi. Les spécialistes de la sociologie électorale l’ont suffisamment démontré.

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Depuis que cette décision d’attribution des terres a été prise, je suis inquiet dans la lucidité. Je dis bien «lucidité», car, à la différence de beaucoup de mes parents dans la Vallée du fleuve, je ne veux pas tomber dans le piège de cette conception ancestrale et infructueuse de la terre : «Nous n’avons pas les moyens d’exploiter nos terres, mais personne ne le fera à notre place.» Le foncier est l’une des plus grandes menaces qui nous guettent. Les scandales fonciers, avec leur lot de violences, sont là pour nous avertir. Partout dans le pays, les gens sont prêts à mourir pour leurs terres, parce que, prétendent-ils, c’est un patrimoine que les ancêtres leur ont légué. Je ne veux pas que mes parents voient les choses ainsi. La lucidité, qui consiste à se dire que les investisseurs peuvent changer nos conditions de vie, est donc nécessaire.
Dans la commune de Mbane, il y a deux villages qui ont connu des expériences fort enrichissantes. L’un d’entre eux, mon village, situé à quelques kilomètres du bourg de Mbane, accueille, depuis plus de deux décennies, des investisseurs qui exploitent ses terres. Les populations n’ont jamais eu maille à partir avec eux. L’entreprise, dirigée par un homme intelligent, a réussi à gagner sa légitimité. Non seulement elle donne du travail aux habitants du village, notamment les femmes, mais aussi elle a su créer un climat de confiance. A la fin de chaque récolte, chaque famille a droit à un don substantiel en vivres.

Quand, récemment, le bail de l’entreprise est arrivé à terme, elle a su le renouveler sans difficulté. Une somme colossale a été décaissée, et les villageois ont préféré utiliser celle-ci pour la construction d’une mosquée. Investissement quand même absurde pour un village qui manque de tout.
Pour avoir vécu sur ces terres pendant deux décennies, je comprends que la peur est le sentiment qui anime les gens. Ils ont peur d’être enclavés, ghettoïsés par la Css. Et à propos de cette crainte, les exemples qui renforcent leur certitude ne manquent pas. Ils ont aussi peur de se séparer des terres qui les ont vu naître, grandir, enterrer leurs morts -une partie d’eux-mêmes. Le sentiment qui les anime est dans ce cas légitime. Il ne faut pas essayer de le minimiser. Ce qui ne m’empêche pas de les appeler -je reviens, encore une fois, au mot- à la lucidité. La commune regorge d’un immense patrimoine foncier qui doit être exploité pour le bien de tous les Sénégalais. Inutile de préciser que les populations, qui pratiquent toujours une agriculture rudimentaire, n’ont pas les moyens de mettre en valeur leurs terres. C’est impossible. La coopération bénéfique avec les investisseurs privés est donc indispensable du fait de l’inertie des pouvoirs publics. Il faut y aller avec ses craintes et, surtout, avec ses intérêts.

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Mbane peut donner du sucre à la Compagnie sucrière sénégalaise sans se retrouver ghettoïsé. Pour ce faire, il faut discuter avec les populations, les comprendre, les rassurer, leur donner les gages nécessaires. C’est comme cela, à mon avis, que l’on arrivera à exploiter pacifiquement ces terres pour un «Sénégal juste, souverain et prospère».

Par Baba DIENG