Je tiens d’abord à m’adresser à ceux que j’appelle, sans détour, les naufragés du bon sens. Ceux-là mêmes qui, tels des répondeurs automatiques, récitent mécaniquement des arguments éculés, sans la moindre capacité d’analyse ou de recul critique. Il semble parfois qu’ils aient l’intelligence politique d’une huître, répétant à l’envi qu’on ne peut faire avancer un pays sans accepter la contradiction. Je suis entièrement d’accord. Alain lui-même ne disait-il pas que «l’on critique pour mieux refonder» ? Mais encore faut-il savoir distinguer la critique constructive d’une simple posture polémique. Fustiger les dérives du pouvoir ne signifie pas tirer aveuglément sur tout ce qui bouge ; c’est, au contraire, une exigence citoyenne, une responsabilité morale pour quiconque nourrit de véritables aspirations pour ce pays.
Je me rappelle encore, par le récit de mon grand-père, le discours de Valdiodio Ndiaye, l’une des grandes voix du Sénégal postcolonial. Il me citait souvent cette phrase marquante : «Nous disons indépendance, unité africaine et confédération.» Ces mots résonnent encore aujourd’hui avec une acuité troublante. Si nos aînés revenaient d’entre les morts, que diraient-ils en constatant que le Sénégal, malgré ses ressources humaines et naturelles, figure toujours parmi les pays dits «moyennement avancés», embourbé dans des cycles de stagnation et de réformes inachevées ? Qu’avons-nous véritablement gagné depuis l’indépendance, si ce n’est un changement de visages à la tête d’un système qui reste profondément inégal et inefficace ?
Je me permets ici une confession : j’ai moi-même soutenu, avec mes propres convictions, le combat pour un changement de régime. Non pas par suivisme aveugle, mais par foi en un idéal : celui d’un Etat plus juste, plus équitable, libéré de l’arbitraire. J’ai cru, comme beaucoup d’autres, à la promesse d’un renouveau. Mais aujourd’hui, l’angoisse d’une chute sans fin est palpable. Elle se ressent dans l’atmosphère pesante du pays, dans le désenchantement des rues, dans la cacophonie d’un pouvoir qui, à force de vouloir faire table rase du passé, semble surtout avoir perdu le sens des priorités.
Depuis l’accession au pouvoir du tandem Diomaye-Sonko, les Sénégalais assistent à une forme de pilotage à vue, où les règlements de comptes prennent le pas sur les urgences économiques et sociales. Le projet porté par ce duo, s’il a pu séduire dans l’opposition, semble aujourd’hui déconnecté de la réalité du terrain. Trop d’annonces, trop de slogans, trop de promesses généreuses, mais peu de cohérence, encore moins de résultats. On ne peut sérieusement prétendre réformer en profondeur un Etat sans avoir une connaissance réelle des chiffres, des contraintes budgétaires, ni des leviers structurels. Cela relève d’un romantisme politique dont les conséquences sont aujourd’hui visibles à l’œil nu.
Le rapport de la Cour des comptes, s’il était encore nécessaire, est venu rappeler à tous la complexité du pouvoir et les limites des slogans. Certains ministres, fraîchement nommés, ont agi comme des bulldozers sans direction, croyant naïvement qu’ils pouvaient transformer le pays d’un coup de baguette magique. Mais gouverner n’est pas militer. Ils sont aujourd’hui les symboles mêmes de cette désillusion, des naufragés du bon sens, pris au piège de leurs propres contradictions.
Quant au fameux slogan «gatsa-gatsa», je reste profondément sceptique. Ce terme, dans un pays comme le Sénégal, marqué par une culture du dialogue, du pardon et de l’islam confrérique, me paraît non seulement inadapté, mais aussi dangereux. Il installe une logique de confrontation permanente, là où nous avons besoin d’apaisement, de consensus et d’unité pour relever les défis immenses qui se dressent devant nous.
Les priorités sont pourtant claires : jeunesse en perte de repères, éducation en crise, économie asphyxiée par les conditionnalités internationales, dette publique galopante -eurobonds, emprunts obligataires, dépendance croissante aux institutions financières internationales. Tout cela pendant que les libertés fondamentales, pour lesquelles tant de citoyens se sont battus, sont aujourd’hui menacées par des pratiques d’intimidation sous couvert de «tolérance zéro».
Comment ne pas s’indigner lorsqu’on voit des députés, censés représenter la Nation tout entière, se comporter comme des marionnettes, protégeant une minorité au détriment de la majorité ? Comment ne pas s’inquiéter quand la Justice, pourtant pilier de l’Etat de Droit, semble toujours prisonnière de l’influence de l’Exécutif ?
Soyons honnêtes : les problèmes sont là, sous nos yeux. Nous n’avons plus le luxe de faire semblant. La jeunesse sénégalaise, qui ne demande qu’à être utile, ne doit plus être traitée comme un fardeau, mais comme la clé de notre développement. C’est elle qu’il faut former, encadrer, responsabiliser. Non pas par de beaux discours, mais par des actes concrets.
Aujourd’hui, au nom du Peuple, au nom de l’Etat, j’élève cette voix. Pas pour accabler, mais pour alerter. Pas pour diviser, mais pour éveiller les consciences. Car un projet politique, aussi noble soit-il dans ses intentions, ne vaut que par sa capacité à répondre aux besoins réels de la population. Le Sénégal mérite mieux que des règlements de comptes, mieux que des slogans creux. Il mérite une vision claire, une gouvernance responsable et une justice équitable.
AG, pour le Peuple. Pour l’Etat.
Alioune GUEYE
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