Il y a cette tendance fâcheuse dans ce pays, pour tout pouvoir qui vient de s’installer, de prôner un révisionnisme pour travestir tout un existant et l’adapter aux humeurs et aux couleurs des nouveaux hommes forts du pays. Le démarrage de l’exploitation commerciale du Bus rapid transit (Brt) est un parfait exemple pour lequel le pouvoir Pastef et ses spin-doctors jouent la carte d’un lavage à grande eau pour enlever toute paternité du régime du Président Sall avec un tel projet. On aurait compris ce souci de peindre toutes les réalisations aux couleurs de leur pavillon politique après une année d’exercice politique, mais la manœuvre semble précipitée si on se souvient que pour le même projet d’utilité publique, le régime de Macky Sall avait lancé aussi son armée de communicants pour mobiliser autour d’un premier trajet du Brt dans les artères de Dakar. Ce projet, il le présentera comme un cadeau d’adieu aux Sénégalais, à qui il aura offert des solutions pour régler la question de la mobilité dans Dakar.

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Qu’on le veuille ou non, il sera impossible dans ce pays de parler d’une révolution des transports et d’une transformation radicale de la mobilité urbaine en occultant l’empreinte de Macky Sall. Il aura misé sur de grands projets comme le Train express régional (Ter), le Bus rapid transit (Brt), l’extension du réseau des autoroutes du pays avec les corridors Mbour-Kaolack et la côtière qui devra rallier Saint-Louis. Il aura prôné un élargissement de l’offre de bus Dakar Dem Dikk et Sénégal Dem Dikk pour les transports urbains et interurbains. En termes de transports aériens, pour un petit pays comme le nôtre, l’option d’une érection d’aérodromes régionaux aura permis un début de maillage et d’interconnexion entre des centres urbains et un arrière-pays longtemps délaissé.

Ç’aurait été une marque de grandeur de l’actuel pouvoir et de ses plus hautes autorités que de reconnaître le mérite du régime précédent sur un chantier majeur qui sert tous les Dakarois. Le Brt ou le Ter n’ont jamais été des propriétés estampillées «Macky Sall» pour justifier toute l’hostilité qu’a pu montrer une partie de la population sénégalaise, sous l’influence de discours belliqueux des politiques à l’égard de ses infrastructures. Ce sont des moyens de transport pour faciliter la mobilité des Dakarois et au service exclusif de nos populations. Tout ce qui peut être fait pour renforcer l’appropriation de ces outils et leur meilleure préservation doit être encouragé.

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Dans une logique d’élégance, les nouvelles autorités, au-delà des divergences qu’elles pourraient avoir avec le pouvoir précédent, auraient pu avoir la délicatesse de saluer le travail de qualité laissé sur ce chantier par les milliers d’agents, ouvriers, cadres et officiels qui n’ont ménagé aucun effort pour que le Brt prenne la route dans les agglomérations dakaroises. Il n’aurait pas été de trop, peut-être que je suis d’une école qui accorde beaucoup de valeur à la reconnaissance quand le travail est bien fait, de féliciter officiellement le Président sortant pour une réalisation qui appellera les équipes du Président Bassirou Diomaye Faye à se surpasser pour apporter aux Sénégalais d’autres services et infrastructures à même de faciliter leur vécu quotidien.

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Je lisais un officiel à la retraite qui aura occupé les plus hautes stations au service de son pays, dire que les présidents de la République et les premiers ministres ont souvent une «vie de chien» et sont «épuisés» pour la plupart. Cela s’explique par ce cadre de réserve qui aura côtoyé plusieurs têtes couronnées, dans la mesure où «ce sont des gens qui passent leur temps à ne penser qu’au bien commun», pour avoir comme rétribution l’injure et l’incompréhension en permanence. Penser au bien commun prend sa part d’ingratitude, de procès d’intention et son plat de couleuvres à avaler. Aux yeux des peuples, le costume de paria se taille vite à toute tête couronnée. Mais quand on finit par occuper ces stations, une raison gardée et un certain code du gentilhomme voudraient qu’avec la complexité des enjeux et la difficulté des situations, on puisse apprécier à sa juste valeur, l’immensité du travail accompli et s’éviter la critique facile.

L’actuel ministre des Transports et des infrastructures, El Malick Ndiaye, lâchera un lapsus sur ITv à propos du Brt en disant que c’était le meilleur projet que le régime sortant aura eu à structurer au service des Sénégalais. Son esprit politique le rattrapera avant de finir son allocution, pour rectifier le bon mot qu’il aura à l’égard de ses prédécesseurs. Je ne pense pas qu’on puisse sortir grandi en niant de hauts faits d’armes, pour autant que leurs auteurs nous révulseraient. Cette volonté révisionniste dessert plus qu’elle ne sert.

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Il y a bien une sagesse en pays wolof qui dit qu’on a beau haïr le lièvre, on lui concèdera d’être habile avec ses pattes. La marche d’un Etat est une continuité, il est préférable à tout régime de trouver déjà des choses en place et de capitaliser sur celles-ci pour impulser sa dynamique propre. Ce n’est pas preuve de faiblesse d’agir comme tel, mais un opportunisme responsable si on est certain que c’est l’intérêt des populations qu’on a à cœur.

Pour l’heure, les premiers et derniers juges de toute œuvre destinée au public apprécient le succès qu’est le Brt. Peu importe qu’on veuille ou non lui reconnaître une paternité. Rien ne peut surprendre dans un pays où la rédaction de l’histoire commune de la Nation aura souffert de nombreux correctifs et censures. Le révisionnisme est une religion chez nous.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn