Le gouvernement du Sénégal invite, ce matin, tout un Peuple à suivre ce qui se fera du côté du Grand Théâtre de Dakar. Le Premier ministre Sonko, après s’être livré à plusieurs exercices pour montrer à la population le cap et donner les orientations du Sénégal de rupture qu’il souhaite, viendra à nouveau nous présenter un programme de redressement économique afin de sauver un pays qu’il aurait trouvé au «quatrième sous-sol». Jubanti Kom est la nouvelle trouvaille de l’idéologue en chef du «Projet», ou du «Leader» (le mot est du président de l’Assemblée nationale Malick Ndiaye), pour redonner un nouveau souffle à l’économie qu’une «situation héritée» de mauvaise gestion et de mal gouvernance aura laissée en piteux état. Il faudra dire que dans les officines du «Projet», ça ne chôme pas quant à la création de slogans-bateaux.
A chaque problème, une «fabrique» est à l’œuvre pour balancer slogans et éléments de langage afin de les servir à tout-va pour les opposer à tout discernement ou argumentaire sérieux. Manufacture de consentement, mécanismes de propagande, boîte à idées au service d’une entreprise politique, chacun appréciera. On voit néanmoins la logique de réduire le vocabulaire par des concepts génériques et de répéter à tout bout de champ des messages pour qu’à saturation, il finisse par être vérité aux yeux et oreilles des gens. Goebbels ou Bernays ne feraient pas mieux !
Près de seize mois que le Premier ministre Sonko est à la tête du gouvernement, il n’aura proposé à nos yeux que des slogans vaseux, des discours bellicistes et des interventions mal calibrées dont l’image du Sénégal sortira sérieusement écornée. D’aucuns peuvent s’attendre à des lumières, mais ce nouveau raout risque d’être une combine de prestidigitateur en manque de magie face à une réalité économique et des problèmes de l’heure qu’on ne saurait nier davantage. Il n’y a aucun acteur économique sérieux, aucun opérateur ou observateur qui ne mesure le ralentissement de l’économie sénégalaise de manière générale. Plusieurs secteurs sont à l’arrêt, la morosité ambiante n’épargne personne. Les citoyens sont en droit d’attendre un salut, mais il est pour le moment bien difficile de trouver d’où viendrait cette providence qui aidera le pays à souffler. Va-t-on vers une batterie de mesures d’austérité qui impacteront directement les citoyens ? Le pays compte-t-il appliquer une fiscalité à tout-va pour élargir une assiette fiscale et racler des recettes partout où il serait possible ? Qu’est-ce qui compte être fait sur le train de vie de l’Etat qu’une transition de pouvoir n’a pas permis de réduire ? Quid de la gestion des effectifs de la Fonction publique malgré une «purge» ayant impacté plusieurs agents, des recrutements «complaisants» qui auront contribué à grossir davantage ? Osera-t-on jouer sur la hausse des produits énergétiques alors que l’Etat refuse depuis un moment d’appliquer leur baisse, bien que les cours mondiaux soient en chute ?
Quand on a crié sur tous les toits avoir hérité d’un «pays en ruines», le Plan de redressement national qui est proposé aux populations afin de les soulager doit trouver des artifices pour ne pas les oppresser. L’option de la taxation ne semble pas être la meilleure parce qu’en augmentant les taxes, les différents acteurs économiques trouvent le moyen de répercuter celles-ci sur les citoyens. L’exemple de Canal+ Afrique dans notre pays, que des souverainistes en paille se sont enorgueillis de mettre au pas avec une augmentation des redevances à verser à l’Etat sénégalais, suffit à raison pour montrer le leurre d’une montée en flèche de la taxation. Notre directeur de publication Mohamed Guèye aura démonté, dans sa chronique «Notes» du 23 juillet dernier, le mirage de la taxation et le paradoxe d’une préservation des intérêts du pays en mettant systématiquement les entreprises étrangères au banc des accusés.
L’appel également à un patriotisme de pacotille, en demandant aux citoyens des sacrifices et des concessions à n’en plus finir, ne marchera pas. Appeler à un changement des mentalités alors que l’Etat est le premier à dilapider les ressources publiques, qu’il ne s’applique aucune cure d’austérité et n’allège rien dans son fonctionnement. La Primature comme le Parlement n’auront pas fait montre, ces derniers mois, d’une volonté d’austérité et d’économie sur leurs ressources. Les dépenses de prestige et surtout l’emphase donnée aux activités de représentation donnent une impression d’un pouvoir qui ne se prive de rien, après avoir plaidé pour une orthodoxie dans la gestion des finances publiques. Qu’ils sont risibles les tribuns qui s’empiffrent de bon pain et de bon vin pendant que la plèbe crie sa faim !
Un autre mirage dans la logique d’orthodoxie et de redressement économique et social est la mise à l’agenda d’une rationalisation des agences d’Etat et des structures parapubliques. On voit un plaidoyer pour dire qu’il faut leur suppression et leur consolidation dans de grands ensembles moins budgétivores et plus aptes à répondre aux différents problèmes. On aurait pu croire en cette musique si durant l’exposé de ce jour du Premier ministre au Grand Théâtre, une visibilité sera donnée aux économies faites avec les dissolutions du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Haut-conseil des collectivités territoriales (Hcct). A défaut, le risque sera d’être embarqué à nouveau dans une expérience floue où les méthodes seront bruyantes et brutales au plan social, sans corrélation réelle avec une efficacité managériale ou une pertinence financière.
Après neuf mois à la tête du pays, le président de la République Bassirou Diomaye Faye avait confié lors de la Conférence des administrateurs et managers publics (Camp) au Cicad, que l’Etat était «contraint», avec des «marges de manœuvre budgétaires et financières» qui n’existaient plus. Entre janvier et juillet 2025, on ne peut pas dire que grand-chose ait évolué dans cette situation pour qu’un remède miracle soit distillé afin de soigner le patient Sénégal très vite de sa chute au «quatrième sous-sol». Tout ce que nous souhaitons à ce pays est que l’économie reprenne son souffle et qu’il soit enfin sur une cadence de travail. Les slogans à n’en plus finir, les mises en scène avec l’opinion à témoin ne sont pas d’une grande aide, en plus du vacarme de communicants à la solde d’un parti-Etat rêvé pour assurer le service après-vente. Il y a un temps pour faire rêver, mais quand un pays est à genoux, la seule pièce de théâtre qui doit faire foule est celle appelant au travail, sans jeu de dupes, avec la vérité comme viatique et l’essor de tous comme but.
Par Serigne Saliou DIAGNE
saliou.diagne@lequotidien.sn