Le triomphe des casseurs

Pour le parti Pastef, choisir la voie insurrectionnelle afin d’accéder au pouvoir est beaucoup plus facile que d’abroger une simple loi d’amnistie. Celle-ci, vraisemblablement rejetée au moment de son adoption, est devenue une quadrature du cercle. Après leur écrasante victoire aux Législatives, on s’attendait à ce que cette promesse électorale -une parmi tant d’autres- soit tenue toutes affaires cessantes. Mais leurs atermoiements injustifiés ont fini par jeter le doute dans nos certitudes : l’abrogation totale de cette loi d’amnistie n’est pas si prosaïque que ça… La nouvelle manie consiste désormais à dénicher des subterfuges et arguties pour se tirer d’affaire.
Le Président Macky Sall, subitement atteint d’une libéralité débonnaire envers ses grands ennemis, a décidé, dans la folie, d’amnistier les casseurs. Il a voulu signer un cessez-le-feu définitif avec les insurgés. Cette loi d’amnistie, fût-elle ignominieuse, a une face pouvant être considérée comme diurne : elle a permis à nos souverainistes de retrouver la liberté et le Palais présidentiel, malgré toutes leurs incartades. Les entrepreneurs de la violence, qui ont appelé les jeunes à sortir dans la rue pour se livrer au sacrifice suprême, ont bénéficié, contre toute raison, de cette mesure de clémence. La République, dans un souci d’apaisement, a décidé d’être amnésique ; elle a incité ses citoyens à l’oubli et au pardon. Sauf que les préalables du pansement de nos traumatismes ont été volontairement ostracisés : la vérité et la justice.
Certains Sénégalais, armés d’une soi-disant motivation politique, ont décidé de s’attaquer aux fondements de notre République, c’est-à-dire nos institutions, sans être jugés et sévèrement condamnés par la Justice. Mais, pis, ces parias se sont partagé cinq milliards de nos pauvres francs Cfa dans la clandestinité. L’on se souvient de l’indignation du député Alioune Ndao, devenu un sous-fifre de Pastef après avoir servi l’ancien satrape aux mains maculées de sang, à cause de la modicité de cette somme. Il a estimé que ces petits soldats du «Projet», qui se sont engagés dans une sédition permanente et généralisée contre l’Etat de Droit, devaient recevoir plus de sous. Plus de reconnaissance. D’une manière générale, les commanditaires de l’insurrection ont essayé de récompenser les pilleurs-incendiaires à la mesure de leurs actes de vandalisme. Vive les casseurs !
La recherche de la vérité sur les événements dramatiques qui ont eu lieu, dans ce pays, n’est pas une préoccupation pour les tenants du pouvoir. Il faut dire que l’éclatement de la vérité arrachera des duvets à tout le monde. Ce n’est pas avec ce pouvoir que l’on découvrira la lumière sur tout ce qui s’est passé ces dernières années. Ces théoriciens du «mortal kombat» et de l’embrasement général, impliqués on ne peut plus loin dans les exactions qui ont été commises, ont, eux aussi, d’énormes responsabilités qui doivent être situées. La manifestation de toute la vérité, et non celle des vainqueurs, risque d’être mâtinée de démons…
Pour se débarrasser de cette suffocante loi d’amnistie, Pastef, par le truchement du député Amadou Bâ, a choisi la justice sélective. Celle-ci découle logiquement de leur vision manichéenne et étriquée du monde : il y a, d’une part, de bons Sénégalais et, d’autre part, de la vermine. Les Forces de défense et de sécurité, qui ne peuvent pas se prévaloir d’avoir agi pour une «motivation exclusivement politique», seront donc livrées à la Justice. N’eussent été l’héroïsme et la bravoure de ces défenseurs infatigables de la République, notre devenir en tant que grande démocratie serait inimaginable. Nous leur devons respect et reconnaissance. De l’autre côté, selon cette scandaleuse loi d’interprétation, les vandales n’ont qu’à se targuer d’avoir vandalisé tout sur leur passage pour des raisons politiques, afin d’échapper à nos juridictions. Cette manœuvre, qui détourne l’amnistie de ses missions primitives pour protéger quelques-uns, est extrêmement dangereuse pour nos institutions. Il y a de fortes chances que cette loi passe à l’Assemblée nationale comme un couteau chaud dans du beurre, avec la majorité mécanique du parti Pastef. Toujours est-il que nos «intellectuels» pétitionnaires et la Société civile ont l’obligation morale de s’opposer farouchement à cette «interprétation de la farce». Le pardon doit être accordé à tout le monde. Ou à personne. Faut-il rappeler que le Collectif des universitaires pour la démocratie (Cud), subitement devenu atone, nous disait, dans «La loi d’amnistie ou le second assassinat des martyrs de 2021 à 2024», que cette loi d’amnistie est une «invite à l’amnésie dont la vraie nature n’est autre qu’un permis de tuer». Il faut donc militer pour qu’elle soit «totalement» abrogée. C’est l’unique combat qu’il faut mener.
Par Baba DIENG