«On ne sait pas où l’on va, mais on y va à grands pas», me disait souvent, pour me faire sourire, quelqu’un de cher. Ou alors me disait-il : «Nous étions au bord de l’abîme ? Eh bien, nous venons de faire un grand pas en avant.»
Réminiscences de paroles de sage, fort utiles pour essayer de comprendre notre époque si troublée. Insulter serait donc devenu convenable au point d’être une modalité d’accès à la célébrité ? Tout le monde parle de vous. Vous faites la Une des sites internet et des journaux. Les radios diffusent et amplifient vos délires bien des fois éthyliques… Vous faites le «buzz» comme on dit maintenant… Triste époque où la violence verbale et les comportements outranciers envahissent nos vies par effraction. Le chanteur québécois Gilles Vi­gneault avait dit, fort à propos, que «la violence est un manque de vocabulaire»… Serions-nous retournés à la barbarie après des siècles d’élaboration du langage et de mise en ordre de la violence ? Il faut reconnaître que cette tendance s’est développée  dans notre pays, faute d’avoir été circonscrite à temps. Bien au contraire et pour des raisons po­li­tiques et partisanes, on a laissé faire et même récompensé, par un poste ministériel, le premier véritable utilisateur de la radio via internet pour attaquer et discréditer  le régime de Abdoulaye Wade. Violemment. Faisant de cette tribune et d’une chronique sur un site internet célèbre, des outils incendiaires pour s’attaquer à l’honorabilité de plusieurs personnalités et à tous les niveaux, Monsieur le ministre a, bien malgré lui, suscité des vocations. Bien en deçà de son propre talent. Reconnaissons-le lui ! Cependant, au vu des développements en cours, on ne peut plus faire l’impasse sur tous les mauvais exemples donnés par des personnalités de premier plan, dont certains siègent jusqu’à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas une médisance que de le rappeler : tous les propos sont désormais enregistrés et régulièrement rediffusés. On en a entendu des vertes et des pas mûres ! Peut-on dès lors s’offusquer que ces «modèles» fassent des émules ? Franchement ?
Ce contexte, ajouté au goût pour la transgression, consubstantiel de l’espèce humaine depuis le péché originel, ouvre, si l’on y prend garde, la voie à tous les abus. «Lorsque les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites», dit-on… La prime à l’impunité, ainsi consacrée, est un encouragement à la licence voire à la débauche. Le développement de la vidéo en direct sur Facebook, notamment, n’est pas pour arranger les choses. Chacun peut désormais se mettre en scène, jouer au journaliste d’investigation et capter l’attention d’un auditoire friand de «coups de poings qui trottent». La fausse impression d’être regardé par le monde entier fait pousser des ailes et, à défaut de modérateur, «only the sky is the limit…»
Cela étant, la solution ce n’est certainement pas de jouer à l’amnésie encore moins de fermer les yeux sur ces phénomènes ou d’opérer un repli sur soi. En effet, je rencontre de plus en plus de personnes qui me disent ne plus lire les journaux. Certains n’écoutent plus les radios ou alors très sélectivement. D’au­tres ne regardent pas la télévision ou juste pour les documentaires qui concernent la vie … des animaux ou les merveilles de la nature. Je connais même un grand médecin qui refuse de s’acheter un téléphone portable. Et… ils vivent pourtant ! Certains diraient… ils survivent. Tous ceux-là refusent tout simplement la tyrannie de la pollution informative. Ils refusent le diktat d’un ordre du monde impulsé par l’actualité et le flot incontrôlable d’informations. Notamment, celles fabriquées de toutes pièces pour assiéger nos esprits et jouer sur nos nerfs. Cette actualité-là est souvent commanditée. Fabriquée. Elle fait partie d’un système. Il faut refuser tout simplement de n’être qu’un jouet entre les mains de maîtres-chanteurs… Ne pas céder à la force de la rumeur qui est essentiellement mensonge. Soyons acteurs de nos propres vies ! Ne laissons pas des esprits, somme toute faibles, nous imposer l’agenda de leurs propres existences !
C’est sous ce rapport que les feuilletons qui se jouent sous nos yeux, mettant en scène différents personnages qui usent et abusent des réseaux sociaux, méritent d’être décryptés : qui sont les vrais metteurs en scène de ces séries ? A qui profite le buzz ? A quelles fins amplifie-t-on l’indigence mentale ?  Mais aussi pourquoi l’opinion est-elle si friande du sang qui coule et des mots destructeurs ? Pourquoi nous réjouissons nous du malheur des autres, car et il faut bien le dire, c’est parce qu’il y a une audience que les médias diffusent ? Alors, que gagnent les médias à ne diffuser principalement que ce qui va mal ? Pour dire qu’il y a au fond de toutes ces questions une crise morale majeure de notre société humaine, car toutes ces dérives et tous ces délires ont une clientèle. Un auditoire qui en redemande. A l’abri des regards d’aucuns, au-dessus de tout soupçon (!) jettent un coup d’œil furtif  à toutes les vidéos salaces ou macabres qui circulent sur le web. Nous nous laissons tous appâter par les «faits divers et autres divers faits» comme s’intitulait la chronique d’un célèbre journaliste sénégalais d’une autre époque !
En vérité, nous assistons, impassibles à une perte du sens de notre séjour, somme toute bref, sur terre.
Que faire ? Il faut se repenser. Se remettre en question. Se recentrer de toute urgence sur ce qui a fait de l’homme «le vicaire de Dieu» sur terre… Il est impératif dans le même temps que des voix s’élèvent pour contenir la fureur des ignares. Sinon on finit par laisser nos enfants croire à leurs boniments. Si rien d’audible n’est fait pour donner un autre son de cloche.
Il est également urgent de développer une saine compréhension des réseaux sociaux pour en tirer le meilleur. Il faut aussi se donner les moyens de décoder le profil psychologique de ceux qui y sévissent. En effet, des psychopathes en nombre trop important disposent de téléphones «intelligents» sans l’être eux-mêmes. Autant dire que des malades mentaux circulent dans nos rues avec quelques kilos d’explosifs… C’est un phénomène des temps nouveaux qu’il faut cerner et contenir. Cela n’est possible que par le développement de canaux de communication alternatifs ou alors une résistance organisée pour faire face à la barbarie du web. La communauté des gourous du web est interpellée. Je pense à toutes les personnes impliquées depuis plusieurs années dans le développement des Tic dans notre pays. Je pense très précisément aux Olivier Sagna, Cheikh Fall, Basile Niane, Demba Guèye, à Moussoukoro Diop, Charles Sanchez et à tous mes amis «Africtivistes» que je ne pourrai énumérer ici… Et je leur demande à tous : allez-vous laisser les merveilleux outils que vous avez mis des années à mettre au point, ou à vulgariser, être corrompus par la malveillance et l’ignorance ? Que pouvons-nous faire, tous ensemble, pour redonner aux Tic du contenu et du sens ?
A vous la parole, car avec vous j’ai confiance !

Amadou Tidiane WONE
woneamadoutidiane@gmail.com
PS : J’ai l’insigne honneur de faire partie des pèlerins «invités du Roi d’Arabie Saoudite» à l’occasion du pèlerinage à la Mecque 2017.  Avant de s’envoler vers les Lieux Saints, il est de tradition de demander pardon à tous ceux que l’on a pu offenser d’une manière ou d’une autre. Je m’acquitte de cette obligation ici. Que tous ceux que j’aurai pu «égratigner» au fil de mes chroniques m’en excusent ! Ce n’était pas le but.
Rendant grâce à Allah, je remercie les autorités saoudiennes pour cette délicate attention. Merci à celui par qui cette grâce m’est parvenue… Il se reconnaîtra.
Nos prières seront pour le bonheur du Sénégal et de son Peuple magnifique dans une Afrique unie, apaisée et prospère.