Permettez-moi de rappeler brièvement l’origine du tripartisme. A la suite de la Première Guerre mondiale (1914-1918), une conférence internationale s’est tenue en 1919 à Versailles, en France, dans le but d’établir une paix durable.
Cette conférence a abouti à l’adoption du célèbre Traité de Versailles dont la partie VIII prévoit notamment la création de l’Organisation internationale du travail (Oit). Cette institution repose sur un principe fondamental : la paix ne peut être véritablement durable que si elle s’appuie sur la justice sociale, laquelle est, dans chaque pays, indissociable de la paix internationale.
Ainsi, l’Oit s’est vu confier la mission de légiférer pour instaurer cette justice sociale au sein de la Société des nations (Sdn), devenue plus tard l’Organisation des Nations unies (Onu).
Cinquante ans plus tard, l’Oit a reçu le Prix Nobel de la paix, en 1969, en reconnaissance de son action en faveur de la justice sociale, considérée comme un pilier essentiel de la paix mondiale. A ma connaissance, l’Oit demeure la seule composante de l’Onu à avoir reçu cette distinction pour sa contribution à la stabilité et à la paix dans le monde. Les avancées réalisées par l’Oit reposent sur la voie du tripartisme.
Le tripartisme représente la démarche qui vise la justice sociale à travers une régulation concertée des relations de travail, en élaborant des normes et conventions internationales entre Etats, employeurs et travailleurs, chacun représenté par ses organisations. Ce modèle offre ainsi aux travailleurs et à leurs représentants, un cadre de régulation, tant au niveau national qu’international, où la justice sociale occupe une place centrale. Toutefois, il reste encore beaucoup à accomplir pour les organisations de travailleurs. Comme le souligne Luc Cortebeeck, ancien président du groupe des travailleurs au Conseil d’administration de l’Oit et devenu président de ce même Conseil en 2023, il reste du travail à faire, notamment face aux défis posés par la quatrième révolution industrielle, ou révolution numérique. Cette évolution, qui robotise la force de travail, généralise le télétravail et «artificialise» l’intelligence, pose avec acuité la question de l’avenir du travail et fait craindre une possible «obsolescence humaine».
Les voies antérieures au tripartisme
Avant l’avènement du tripartisme, l’histoire des relations de travail fut marquée par l’esclavage, le travail forcé, les guerres mondiales et d’autres tragédies issues de rapports conflictuels entre le capital et le travail. La lutte des classes a été à l’origine de nombreux conflits, mais aussi de grandes avancées sociales, notamment à travers le mouvement syndical et son rôle dans la Révolution française.
Selon l’Institut de Poitiers, la Révolution française (1789-1799) résulte de la convergence entre les luttes ouvrières pour de meilleures conditions de travail à Paris et les luttes politiques contre la monarchie à Grenoble.
Par la suite, la création de l’Association internationale des travailleurs (Ait), connue comme la première Internationale ouvrière, le 28 septembre 1864 à Londres, visait à coordonner le mouvement ouvrier dans les pays européens nouvellement industrialisés, en réponse aux excès de la première révolution industrielle.
La «révolution du triangle rouge» de 1889 aux Etats-Unis, qui a permis d’obtenir la journée de huit heures, symbolise également cette lutte pour des conditions de travail plus humaines. On se souvient aussi du cri du cœur d’un ouvrier bolchevik, témoin de la croissance de son entreprise sans amélioration de sa propre situation, qui a contribué à déclencher la révolution bolchevique d’octobre 1917. Ces luttes ont permis d’importantes avancées pour l’humanité.
Depuis l’instauration du tripartisme après la Première Guerre mondiale, les relations de travail sont devenues plus apaisées, les conflits et tragédies étant désormais rares.
Après la lutte des classes et le tripartisme comme voies de conquête syndicale, faut-il envisager une troisième voie pour promouvoir le travail et la protection sociale ?
La réponse est non, puisque l’Oit dispose déjà d’un département dédié à la protection sociale et légifère en la matière. Après la norme 102 de 1952 sur la sécurité sociale, la recommandation 202 de 2012 a défini les orientations pour des systèmes de protection sociale complets. Il nous appartient désormais de veiller à l’application de ces recommandations dans chaque pays. Pour la promotion du travail, l’Oit a pour slogan : «faire avancer la justice sociale, promouvoir le travail décent», le département Actrav de l’Oit fait un excellent travail dans la promotion du travail, ce qui rend inutile l’idée d’une troisième voie dans le cadre du tripartisme.
Le Pacte de stabilité sociale et d’émergence économique (2014), puis de croissance durable et inclusive (2025)
Ces accords-cadres, fondés sur le tripartisme et la négociation collective (convention C98), ne doivent pas être confondus avec la «participation responsable», qui implique un partage du pouvoir politique entre une entité politique et une organisation syndicale.
Je reste un fervent défenseur de ces pactes et de tout accord-cadre garantissant une répartition équitable des fruits de la croissance générée par le couple capital-travail.
Dans le secteur du pétrole et du gaz, un accord d’indexation des salaires sur le coût de la vie avait été signé dans les années 1980, avant d’être abrogé lors de la dévaluation du franc Cfa en 1994. Depuis, plusieurs pactes sectoriels ont été conclus, entraînant des hausses salariales significatives et une stabilité sociale qui a inspiré l’adoption de ces pratiques au niveau national lors de la conférence sociale de 2014. Cette conférence a également proposé la création d’un Haut-conseil du dialogue social rattaché à la Présidence, en remplacement du Comité de dialogue social.
Le pacte repose sur des fondements solides, vise la stabilité sociale et engage les membres tripartites à respecter leurs engagements. Il ne porte atteinte à aucun droit des travailleurs, y compris le droit de grève, qui n’est jamais remis en cause dans le texte. Certes, le pacte n’est pas parfait et ne saurait répondre à toutes les revendications, mais il apporte des solutions concrètes, notamment pour les travailleurs des collectivités territoriales qui ont connu de longues périodes de grève sans résultats probants. Pour ces raisons, le pacte mérite d’être signé.
Cheikh DIOP
Secrétaire général de la Cnts/Fc
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