«On n’écrase pas une mouche avec un char de combat», a-t-on coutume de dire. C’était universellement vrai sauf avec le coronavirus. Les Chinois ont choisi d’écraser le virus (la mouche) avec un char de combat en prenant des mesures draconiennes que les démocraties rechignent à prendre parce qu’elles gèrent les susceptibilités d’une opinion devenue la clé de voûte des démocraties. Quand le Premier ministre britannique Chamberlain a capitulé devant Hitler en signant les accords de Munich de 1938, Winston Churchill a eu cette formule assassine, mais prémonitoire : «Entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur, mais vous aurez la guerre.» En plus du déshonneur, il y eut la guerre. Toute chose étant égale par ailleurs, on peut dire la même chose de la guerre contre le coronavirus dans les démocraties. Entre le courage politique de prendre des décisions difficiles et gérer les susceptibilités de l’opinion, les démocraties ont choisi de gérer les susceptibilités de l’opinion avec des ripostes graduées qui ont montré leurs limites. Non seulement elles auront le courroux de l’opinion avec les hécatombes dues au corona, mais elles seront contraintes de prendre les mesures impopulaires (confinement total, Etat d’urgence ou couvre-feu…). Avec le Covid-19, l’Etat millénaire chinois donne une leçon au monde : il est préférable d’écraser la mouche du Covid-19 avec un char plutôt que de recourir à la logistique de l’Armée pour enterrer des milliers de morts comme le font les héritiers de la Rome antique. Cette leçon de la Chine montre le talon d’Achille des démocraties soumises à la tyrannie du puissant «dieu opinion», qui est un dieu à l’humeur très versatile. Le dieu opinion sera sans pitié contre les partisans de la riposte graduée qui ne voulaient pas le froisser en prenant certaines mesures. Dans une dictature, le dieu opinion ne règne pas. On a à sa place l’autorité de l’Etat qui s’impose à tous comme en Russie ou en Chine. C’est pourquoi la Chine a écrasé le Covid-19 et l’Inde aura beaucoup de mal à le faire parce que «vérité en deçà de l’Himalaya, erreur au-delà». Le dieu opinion anesthésie le courage chez les hommes politiques en démocratie. Un homme d’Etat est celui qui a le courage d’aller à l’encontre de l’opinion pour prendre les décisions qui s’imposent comme De Gaulle sur la question algérienne, Roosevelt entraînant son pays encore très isolationniste dans la Seconde guerre mondiale, Atatürk supprimant le khalifat ou Senghor face aux exécutions capitales ou traçant clairement la ligne rouge entre l’Etat (allégeance collective) et toutes les allégeances privées (ethnies, régions confréries). Avec le Covid-19 (une crise réelle), l’opposition républicaine a répondu à la main tendue du président de la République. Il ne pouvait pas en être autrement parce que nous sommes une grande démocratie. Le Covid-19 (la vraie crise) aura moins le mérite de jeter dans les poubelles le dialogue national (crise purement artificielle avec l’art de chercher des solutions à des problèmes fictifs) qui n’est rien d’autre qu’une arme politique de distraction massive. La preuve en est que la vraie crise du Covid-19 a mis un terme à la distraction politique massive du dialogue national.