Aussi minime soit-il, le coronavirus a été à l’origine de la plus grande crise mondiale. Il a, en effet, ébranlé plusieurs certitudes et bouleversé tous les secteurs. De la santé à l’éducation, en passant par l’économie, tous les secteurs s’inclinent devant la puissance de la loi.
Cette loi qui semble avoir comme noyau la renaissance ou, tout au moins, la rupture avec nos vieilles habitudes. Dans le secteur éducatif sur lequel porte notre réflexion aujourd’hui, les écoles sont fermées depuis le 13 mars 2020 pour barrer la route au virus. Mais reconnaissons-le, cette décision de l’Etat du Sénégal fait suite au soulèvement des élèves de Mbacké qui avaient décrété une grève illimitée suite à l’affaire du patient zéro de Touba ! Etait-elle alors la meilleure des décisions ? A-t-on pris le temps d’évaluer l’impact de ces vacances sur le quantum horaire ?
C’est juste dire que cette décision étatique assez noble n’a pas été accompagnée de mesures idoines. Il n’est donc pas étonnant d’assister aujourd’hui à l’émergence de dommages collatéraux : des écoles élémentaires qui n’ont pas encore composé, des collèges et lycées qui n’ont pas encore tenu leurs conseils de classe, des parents d’élèves qui n’ont pas reçu les résultats du premier semestre de leurs enfants, des agents du privé qui ont vu leurs salaires rabaissés à 70%, des écoles privées qui ont vu leurs chiffres d’affaires dégringoler… C’est donc dans la foulée des réactions que chacun se positionne. L’Etat prolonge les vacances et met en place des plateformes e-learning, les médias optent pour l’enseignement à la télé, les écoles privées, pour déjouer les calculs des parents d’élèves véreux, optent pour l’élaboration de cahier d’activités à effectuer à la maison. Bref, avec le Covid-19, on assiste au passage de la pédagogie classique à celle numérique, réformiste, à distance. Cette forme d’enseignement à distance, mise en place de façon hâtive et circonstancielle, prend-elle en charge tous les paramètres ? Certaines plateformes prévoient-elles l’interaction entre l’enseignant et l’apprenant ?
Cette pédagogie, malgré les limites qu’elle présente, est d’un autre côté tout à l’avantage des acteurs du système éducatif. En effet, du côté du professeur, combien d’enseignants se plaignaient d’exercices non traités à la maison ou de leçons non apprises ?
En plus, cet enseignement à distance présente des apports positifs aux apprenants. En fait, en cette période de psychose et d’incertitude, il présente l’avantage d’accompagner l’élève, de le rassurer sur les incertitudes qui pèsent sur l’année. A travers les groupes WhatsApp, certains professeurs se sont transformés en assistants sociaux. En véritables acteurs humanitaires, ils ont saisi cette opportunité pour agir sur cette pesanteur temporaire qui, sans une bonne maîtrise de soi ou un bon encadrement, peut conduire l’adolescent à la dépression ou au suicide. Par ailleurs, les bienfaits d’une telle approche ne sont pas seulement perceptibles dans le domaine pédagogique. Bien au contraire, l’enseignement à distance présente aussi un avantage pécuniaire.
Pour s’en convaincre, il suffit juste de se rapprocher des écoles privées. Oui ! Pour certaines, au-delà d’assurer la continuité pédagogique, c’est une stratégie très efficace pour obliger le parent à s’acquitter de ses engagements financiers envers l’école. Faudrait-il le rappeler, l’Etat a prolongé les vacances scolaires jusqu’au 4 mai 2020. Une occasion donc pour les parents de se frotter les mains avec un mois d’économie en perspective. Pour éviter un tel scénario, beaucoup d’établissements scolaires ont mis en place un système d’élaboration permanente de cahiers d’activités que le parent récupère à l’école en début de semaine pour son enfant qui s’y prête toute la semaine afin de permettre au parent de le rendre en fin de semaine à l’administration qui veille à son tour à la correction par l’équipe pédagogique en fin de semaine. C’est dire que si l’école en tire profit, l’enseignant également y trouve son compte. Par ricochet, il aura lui aussi assuré la continuité de son service pour être dans le droit de prétendre à son salaire même si c’est moins que d’habitude car, soulignons-le, les agents du privé éducatif sont rémunérés à l’heure.
Enfin, l’enseignement à distance donne aux parents l’opportunité de se repositionner dans la sphère pédagogique, de jouer leur véritable rôle de partenaire de l’école. En fait, les parents s’indignent souvent les résultats : 57,30% au Cfee, 51,71% au Bfem et 37,65% au Bac qu’ils ne jugent pas fameux du tout. Mais jouent-ils vraiment leur rôle dans l’apprentissage des enfants ?
Le confinement des élèves les oblige à suivre l’emploi du temps des enfants, à les surveiller, accompagner dans la résolution des exercices, à restituer les cahiers d’activités, bref à s’impliquer réellement de manière efficace. En somme, le Covid-19 a amené les acteurs de l’école à modifier leur approche pédagogique en leur imposant une forme qui répond mieux aux exigences de l’heure. Recon­naissons avec Diderot que c’est dans les moments de crise que le génie de l’homme éclate par sa créativité. Pourvu que l’Etat du Sénégal prenne conscience de ses multiples intérêts et diminue sa facture numérique pour le développement de notre école !

Moussoukoro KEÏTA
Censeur du Lycée Franco-arabe de Louga