Il est de fait admis qu’en matière de gouvernance, le secret du succès politique réside dans ce que le Prince sait montrer de sa stratégie de conduite des affaires, qui incline en forçant le respect du Peuple, mais aussi, ne l’oublions pas dans ce qu’il sait cacher de ses intentions et dont la mise à nu le conduirait à l’échec en lui faisant perdre sa popularité.
Ce rappel, pour inviter à un dialogue national franc et sincère, à travers lequel les acteurs (personnalités politiques, membres de la Société civile, opposition, hommes de presse, personnalités religieuses et autres membres de la communauté nationale…) n’hésiteront pas à pointer du doigt les phénomènes qui gangrènent notre démocratie en menaçant notre citoyenneté.
Et ce rappel à l’endroit des intentions réelles de l’action politique qui se dérobent souvent au regard du Peuple justifie de la nécessité de concevoir d’une certaine manière le dialogue national, en faisant participer de manière effective tous les acteurs de la vie politique et sociale animés du désir d’affirmation réelle de la démocratie. En outre, si cette démocratie est l’affirmation de la garantie des droits humains, et dont l’un des paramètres majeurs reste le droit d’expression, à côté de la liberté d’information, il nous incombe, à raison, d’évoquer ici la liberté de la presse comme vecteur permettant le libre jeu du débat politique.
Un enjeu : Si le dialogue national est un enjeu politique permettant une gouvernance démocratique apaisée, il faut admettre par la même occasion que le rôle que doit jouer la presse à cet effet demeure tout aussi majeur pour la consolidation de notre citoyenneté, pleinement affirmée par l’exigence d’un rapport horizontal entre le Peuple et ses dirigeants.
Pour asseoir une gouvernance démocratique apaisée, comme du reste l’exprime la pertinence du dialogue national, il nous faudrait nécessairement en revenir aux fondamentaux de toute réflexion sur les règles d’administration politique, lesquels ont été tirés de l’espace grec. En effet, la politique dans la Grèce Antique était au cœur même du fonctionnement des sociétés, en tant qu’elle définissait une politique d’organisation, qui trouvait son sens dans cette capacité des hommes de vivre en société, et ainsi d’agir pour le bien-être des gens au sein de la cité. Par où l’on mesure toute l’importance accordée ici à la gestion de la cité, par la gestion tout d’abord de ses institutions.
Pour une gestion fiable des institutions
Une gestion adéquate de nos institutions passe d’abord, il convient de le dire, par une fiabilité de celles-ci, et qui permet de rendre compte aux citoyens de la manière dont le pouvoir exerce son magistère. Et c’est ce qui justifie ce retour aux anciens, parce que, dans l’espace du politique, selon les anciens, les intérêts du souverain sont étouffés au profit de l’intérêt de tous, le souverain se chargeant de veiller sur tout le corps des citoyens, en éloignant de ses pensées toute idée consistant à favoriser la corruption. Une telle conception excluant toute autonomie du politique (toute incarnation solitaire du pouvoir) anticiperait forcément les menaces liées aux dérives républicaines que consacre assez souvent l’exercice solitaire du pouvoir en Afrique, avec des élections souvent contestées dans nos pays. A cet effet, la presse a un rôle essentiel à jouer, en tant qu’instrument qui permet de lire le secret du gouverner.
Nécessité d’une révolution médiatique
Bien vrai qu’il ne manque pas de politiciens qui ont le souci de l’intérêt général et le sens de l’Etat, qui sont de vrais démocrates et de sincères patriotes, et dont il convient de saluer la droiture, il n’en demeure pas moins vrai que les sournoiseries et pratiques politiques fourbes demeurent hélas toujours l’apanage d’une bonne partie des hommes politiques ; et il convient de nos jours de dénoncer ce genre de pratiques qui faussent le dialogue national. Et c’est là qu’entrent en jeu les hommes de presse. En effet, les rapports entre les hommes politiques et les médias doivent se fonder sur une interdépendance, surtout de nos jours, où on parle de démocratie d’opinion.
Les hommes de presse doivent veiller à ce que les médias puissent constituer un réel support pour les politiques, en leur permettant de façonner un discours qui rejoigne l’état de l’opinion dans toute sa vérité. Cependant, il est à déplorer de nos jours cet impact assez considérable sur les mentalités qu’ont les médias, et qui constitue à contribuer positivement ou négativement à une appréciation sympathique ou fort antipathique de l’image d’hommes politiques.
Le journaliste qui, il faut le dire, est un leader d’opinion, doit prendre garde à écarter toute forme d’influence néfaste sur le Peuple. Il est aussi à déplorer que la télévision, sous nos cieux, n’offre pas toujours le moyen d’assister à de véritables débats d’idées, car étant le lieu par excellence où se joue le spectacle politique. Ce qui renvoie à la pensée de Berkeley : «Etre c’est être perçu.» C’est très exactement cette idée que Pierre Bourdieu évoque à travers ces propos : «[…] l’écran de télévision est devenu aujourd’hui une sorte de miroir de Narcisse, un lieu d’exhibition narcissique» (Sur la télévision, Paris, 1996, PII).
Les médias, en relayant en boucle certaines images, en repassant certains discours vides qui traduisent une politique vide, deviennent forcément complices de cette politique politicienne, en contribuant à aliéner davantage les mentalités.
Le rôle d’information et d’éducation reste ainsi l’enjeu des médias, et non se limiter à être un excellent médium au profit du prince.
Ainsi, une véritable révolution aussi bien démocratique que civique s’impose dans notre pays, et un peu partout en Afrique. C’est, il nous semble, ce qui pourrait le mieux conduire au succès des dialogues nationaux que les politiques appellent souvent de leurs vœux, mais dont les intentions réelles participent encore de ce que Cristina Ion appelle «l’envers du pouvoir», et que le prince dissimule souvent pour rester le seul maître du jeu.
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