Les nouvelles interdictions qui frappent Touba sonnent l’alerte d’une nouvelle reconfiguration de la ville sainte sous l’égide des Baye-faal, qui sont à pied d’œuvre ce mardi 2 août. Les meetings et réunions politiques, ainsi que les activités folkloriques dont la danse, la musique, l’usage de tam-tam ou de bongo, les matchs de football, les jeux de hasard, la vente d’alcool, de tabac, entre autres, sont bannis dans la cité. Face à la complexité hétéroclite de la cité couplée avec la non-maîtrise de cette population grandissante, nous soutenons que ces mesures ci-dessus vont certainement se heurter au mur structurel et organisationnel de la ville sainte.

La structure et l’organisation de la cité de Touba
Vue de loin, la cité de Touba semble bien avoir l’allure d’un gros village et l’âme d’une grande ville. Elle fut la cité favorite de Cheikh Ahmadou Bamba qui a imploré son Seigneur de faire de cette cité, une ville bénite de sa demeure éternelle. Depuis sa fondation en 1888, Touba ne cesse d’accueillir du monde d’un peu partout du Sénégal. La ville est non seulement une ville spirituelle, mais elle est aussi devenue une cité économique à l’assaut des grandes entreprises nationales. Si les gens viennent à Touba en quête de purification, d’autres y trouvent simplement leur compte lucratif, opérant des affaires à coups de milliard. Cette complexité hétéroclite que présente la ville au niveau de son organisation externe, est encore plus importante au niveau interne.
A bien l’analyser et à bien le comprendre au niveau interne, deux types de marabouts vivent aujourd’hui dans la ville sainte de Touba : ceux qu’on nomme les marabouts du «centre» et les marabouts de la «périphérie». Les marabouts du «centre» sont ceux-là qui sont des descendants directs de Cheikhoul Khadim, et les marabouts de la «périphérie» sont ceux-là dont les grands-parents ont été élevés au grade de Cheikh. Cette catégorisation maraboutique n’est pas vraiment officielle, mais elle surgit dans les moindres occasions de rencontres ou de prises de décisions sur les affaires de la cité. C’est pourquoi il y a lieu de souligner que les nouvelles interdictions du khalife vont sûrement buter contre un certain nombre de difficultés dans leur mise en œuvre sur le terrain.

La difficulté organisationnelle
Toute application de règles doit suivre un certain nombre d’exigences organisationnelles. Or, les Baye-Faal, qui ont en charge de faire respecter la batterie d’interdits qui frappent la cité de Touba, ne semblent pas être formés dans la gestion de la cité. Ils ne sont pas formés non plus dans la gestion de la psychologie humaine. Certains des Baye-Faal ont certes la force physique, l’abnégation et le dévouement, mais la gestion du dispositif psychologique de l’individu, relevant plutôt de l’éducatif, est une matière à laquelle la plupart d’entre eux ne sont que peu formés. A titre d’exemple, la plupart des scènes de violences qui se sont déjà produites à Touba sont symptomatiques de batailles d’ego à la suite d’incompréhensions qui auraient pu être évitées, si on avait usé d’une approche plus éducative que coercitive pour faire respecter les interdits. Cette nouvelle batterie d’interdictions nous donne l’occasion de rappeler aux Baye-Faal que toute application d’une loi ou d’un règlement nécessite le respect et la considération de son versant psychologique. Or, plus on insiste sur le dispositif règlementaire exclusivement pour coercer l’individu, plus on ampute sur le dispositif psychologique qui fera de l’individu un récalcitrant qui se défend à son corps défendant. Par voie de conséquence, nous pensons humblement que des policiers et gendarmes bien formés dans ce dispositif règlementaire et dans ce dispositif psychologique seraient plus équipés et mieux disposés à faire le travail qui nécessite une formation solide sur la psychologie humaine.

La difficulté autoritaire
Même si le khalife est on-ne peut plus-que clair sur les interdits, leur stricte application peut ouvrir une sorte de boite de Pandore dans la ville sainte. Nonobstant le désir par le khalife de faire respecter les préceptes islamiques en matière de port vestimentaire, les maisons de certains marabouts à Touba sont souvent le lieu où certaines de leurs femmes, filles et petites filles s’adonnent à des pratiques de dépigmentation, de port de «cheveux naturels» et d’autres formes d’habillement qui ne sont pas en phase avec les préceptes islamiques. De baptêmes à cérémonies de mariages, on ne se croirait pas souvent être dans la ville sainte de Touba où le gaspillage est à son comble. Ainsi, toute application de la batterie d’interdits doit-elle d’abord cibler certains foyers maraboutiques du «centre» avant de faire tache d’huile sur le reste de la ville.

En définitive, si le principe fondateur de la batterie d’interdits à Touba est en phase avec les recommandations de l’Iislam, son application sur le terrain risquerait d’être problématique. Et c’est ce que Cheikh Ibra Fall avait bien compris, quand il s’adressa à son guide, Cheikhoul Khadim, en ces termes : «[…] Vous avez bien protégé la ville, mais ce qui la détruira se trouvera en son sein […].»

Nous ne saurons bien vérifier la véracité de tels propos, donc ils sont à prendre avec des pincettes ; même son contenu est une mine d’informations dont il faut décortiquer les enseignements et la praxis.
A word to the wise,
Dr. Moustapha FALL