Par Mohamed GUEYE –

C’est un autre club de nations qui vise à s’affirmer comme un puissant pôle, en mesure de contre-balancer l’influence des puissances occidentales réunies au sein du G7, le groupe des 7 pays dits les plus riches de la planète à l’heure actuelle. Et comme par une sorte de coïncidence, ce groupe est composé des pays à l’économie dite libérale capitaliste, proches politiquement des Etats-Unis d’Amérique. Les Brics, qui tirent leur nom des initiales de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (South Africa), ne cachent pas leur volonté d’être un contre-pouvoir face à l’influence de l’Amérique du Nord et de ses alliés. Ils vont tenter de le démontrer à l’occasion du sommet qui se tient depuis hier, et jusqu’à demain, à Johannesburg en Afrique du Sud, en présence de tous les dirigeants de ce groupe d’Etats, à l’exception du Russe Vladimir Poutine, qui leur a fait faux bond à la dernière minute, pour cause de mandat d’arrêt de la Cpi.
Dans leur objectif de changer la géopolitique du monde, les Brics ont déjà, depuis un certain moment, affirmé leur volonté d’en finir avec l’hégémonie du dollar américain dans les échanges commerciaux du monde. Ils ont créé la New development bank, ou Nouvelle banque de développement (Nbd), à la tête de laquelle a été placée en mars dernier, l’ancienne Présidente du Brésil, Mme Dilma Roussef. La banque a officiellement pour mission de financer des projets d’infrastructures et de développement durable. Elle accorde ses financements à des taux préférentiels et à des devises différentes du roi dollar. C’est sans doute pour affirmer leur volonté de faire la politique différemment du G7 que le Sommet de Johannesburg a été ouvert à des dirigeants de plus d’une cinquantaine de pays dont Macky Sall du Sénégal.
Et c’est là que ce sommet suscite particulièrement notre intérêt. Il a été particulièrement noté que le Président du Sénégal, malgré une politique résolument pro-occidentale, héritée d’ailleurs de tous ses prédécesseurs, et jamais prise en défaut, a pris depuis quelque temps, un malin plaisir à se ranger du côté des adversaires de l’Occident. Les choses sont particulièrement notables depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, entre la Russie et les pays du bloc de l’Otan. Toutes les pressions -assez fortes- auxquelles il a dû faire face, de la part de ses «amis», n’ont pas pu convaincre le Président Macky Sall de condamner fermement l’invasion de l’Ukraine, ou d’adopter sur la scène internationale, les positions antirusses des Etats-Unis d’Amérique et de leurs alliés européens et japonais.
Et sur le plan économique également, le Président sénégalais se montre particulièrement critique en ce qui concerne les politiques de développement prônées par les organisations internationales, du système de Bretton Woods en particulier. Dès l’apparition de l’épidémie de coronavirus et la paralysie qu’elle a créée sur l’économie mondiale, le Président Macky Sall n’a cessé de plaider pour plus de facilités dans le décaissement des fonds détenus par le Fonds monétaire international (Fmi), notamment en faveur des pays qui, comme le Sénégal, ont mis en place des programmes ambitieux pour relancer leur économie. Il ne cesse de dénoncer les biais dans les notations des grandes agences de rating, qui ne se gênent jamais pour dévaloriser les efforts faits par les Etats africains en général, et du Sud global en particulier, dans la gestion de leur environnement économique. Or, l’opinion de ces agences de notations est déterminante quand il s’agit des taux auxquels les pays africains peuvent emprunter sur le marché international.
La force de la diplomatie sénég alaise est telle qu’elle influence les positions de nombreux pays d’Afrique, comme ont pu s’en rendre compte les alliés occidentaux, et ils suivent avec inquiétude le rapprochement du Sénégal avec les Brics. Mais si des pays comme l’Algérie et l’Egypte ont formellement fait leur demande d’adhésion à ce groupe, ce n’est pas encore le cas du Sénégal. Ce qui est aussi bien, parce que, sauf par une très forte complaisance, nous n’aurons pas beaucoup de chances. Il est d’ailleurs douteux de voir dans un avenir proche, les Brics s’appeler les Brincss (Brésil, Russie, Inde, Nigeria, Chine, South Africa et Sénégal). Les 5 pays qui ont lancé les Brics ne partagent pas que la puissance économique, ils ont aussi une très forte influence politique sur les affaires du monde, en plus de grandes ambitions militaires. L’association de ces 3 éléments est fondamentale pour obtenir un ticket d’entrée dans le groupe, différent des invitations au sommet, juste bonnes pour garnir les photos de famille.
C’est cela qui explique que des pays comme le Nigeria, première économie d’Afrique, avant l’Afrique du Sud, l’Indonésie, pays musulman le plus peuplé du monde, ainsi que le Pakistan, puissance nucléaire d’Asie et rival de l’Inde, ne soient pas membres des Brics, malgré leur présence au Sommet de Johannesburg. Par contre, on peut gager qu’avec un peu d’efforts et beaucoup de volonté politique, des pays comme l’Iran et l’Arabie Saoudite, s’ils affirmaient leurs candidatures, auraient des chances d’élargir le cercle des 5. Ce qui entraînerait un grand bouleversement de la géopolitique dans une région des plus sensibles pour la stabilité mondiale. D’où la question de savoir si les Américains et leurs alliés pourraient se laisser faire. Quant aux autres pays africains, comme le Sénégal, leurs dirigeants pourront encore longtemps se gargariser d’avoir été très photogéniques sur les photos de famille…
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