Après le rejet de leur demande de renvoi : Les avocats de Sonko quittent la salle d’audience

Irrégularités dans les convocations, délai insuffisant pour prendre connaissance du dossier ou encore grossesse avancée de l’accusée, Ndèye Khady Ndiaye : la défense a multiplié les arguments pour faire renvoyer l’affaire de «viols et menaces de mort», qui oppose l’ex-masseuse, Adji Sarr, au leader du parti Pastef, Ousmane Sonko. En vain ! Excédés par la décision de la Chambre criminelle de retenir l’affaire en l’état, les avocats de Ousmane Sonko quittent la salle d’audience. Par Floriane CHAMBERT –
«Tous les avocats de la défense vont quitter la salle, si vous maintenez cette affaire. Le Tribunal doit prendre ses responsabilités.» Me Ciré Clédor Ly, un des nombreux avocats du leader du parti Pastef, l’avait annoncé. Ce fut chose faite ! Au-delà de ce rebondissement, les premières heures de ce procès hors norme ont été marquées par un fait rare : les plaidoiries des avocats de Ousmane Sonko. Le principal intéressé n’était pourtant pas plus présent à cette audience qu’à toutes les autres. Et l’on sait désormais que le Code de procédure pénale n’autorise pas les avocats à s’exprimer, si l’accusé ne comparaît pas en personne. C’est «par courtoisie» que le président de séance, El Hadj Issa Ndiaye, a justifié sa décision de les laisser parler. Une première depuis le début de cette saga judiciaire. Et certainement la dernière ! Après deux heures de plaidoiries et une rapide délibération, les trois juges de la Chambre criminelle ont rejeté la demande de renvoi.
Procès Sonko-Adji Sarr : Révélations torrides de Adji Sarr
Pour la défense, l’espoir semblait pourtant permis. Avant de laisser la parole aux conseils de Ousmane Sonko, le Tribunal s’était déjà prononcé pour le maintien de l’audience. Une décision prise après avoir écouté les avocats de la propriétaire du salon de massage, Ndèye Khady Ndiaye, accusée d’«incitation à la débauche, diffusion d’images contraires aux bonnes mœurs et complicité de viol». Ce sont eux qui, en premier lieu, ont formulé la demande de renvoi, fondée principalement sur le fait qu’ils n’avaient pas disposé d’un délai suffisant pour prendre connaissance du dossier. Une demande que les avocats de la plaignante, Adji Sarr, ont vite qualifiée d’abusive. «Ils ont assisté leurs clients devant le juge d’instruction, ils ont participé à toutes les confrontations, le dossier a été mis à disposition. Ils ont usé de ce droit», déclare Me Abdou Dialy Kane, représentant la plaignante présente à l’audience.
Après lui, son confrère, Me El Hadji Diouf, habitué des grandes effusions, n’y manquera pas. «Vous êtes les avocats d’un fuyard, un fuyard qui a peur du procès», commence-t-il par dire avant de se mettre à singer les avocats de la défense, reproduisant les pleurs d’un bébé.
Arguments des avocats de Sonko pour un renvoi
Après les courtes réquisitions du chef du Parquet désigné pour l’occasion, Abdou Karim Diop, allant dans le sens de la partie civile, le Tribunal annonce qu’il rejette la demande de renvoi. Une annonce qui laisse éclater l’indignation des nombreux avocats de la défense. Le ton monte. Puis, Me Ousseynou Ngom, représentant Ousmane Sonko, s’avance : «Je demande la parole.» Elle lui sera accordée comme à tous ses confrères.
Ceux-ci vont alors multiplier les arguments et interpeller les juges, les renvoyant régulièrement à la dimension politique de ce procès. «Qu’est-ce qui justifie cette précipitation ? Les Sénégalais ont l’impression que le temps de la Justice correspond à l’agenda politique. Je vous conjure de ne pas entretenir cette confusion», pouvait-on entendre de la bouche de Me Théophile O. Kayossi. Lui et ses confrères se sont également longuement attardés sur ce qu’ils estiment être des irrégularités dans les convocations des témoins ou de l’accusé, faisant même état d’un faux dans la citation à comparaître de leur client. D’après Me Ousseynou Ngom, «Ousmane Sonko n’a pas reçu de citation à ce jour. Si une pièce vient dire le contraire dans la procédure, c’est un faux.»
Autre argument avancé, celui du principe du contradictoire : «certains avocats nouvellement constitués n’ont même pas reçu les audios», s’indigne Me Amadou Diallo. Tout comme Me Moussa Sarr, représentant Ndèye Khady Ndiaye : «Un dossier de 471 pages que nous n’avons pas vu. Il faut qu’on nous mette en mesure d’organiser notre défense.»
Les témoignages de Dr Gaye, Omar Touré, Sidi Ahmet Mbaye, etc.
Dernier argument qui a beaucoup fait réagir le public, d’ailleurs notablement plus nombreux qu’à la première audience du 16 mai, celui de la grossesse avancée de la co-accusée, Ndèye Khady Ndiaye. Enceinte de 8 mois, ses avocats se sont indignés, à plusieurs reprises, qu’on ne lui permette pas de s’asseoir. Il est de coutume que l’accusé comparaisse debout devant la Chambre criminelle. Malgré l’invitation tardive du Tribunal à s’asseoir, l’accusée a tenu à rester debout toute la matinée.
L’état de santé fragile de Ndèye Khady Ndiaye, dû à sa grossesse, n’aura pas suffi à convaincre le Tribunal, pourtant composé de deux femmes. De même, le procureur ne se sera pas laissé attendrir et restera campé sur ses positions. «Je me pose beaucoup de questions sur les avocats de Ousmane Sonko. C’est lui qui a soutenu qu’il ne se présenterait plus devant la Justice, qu’il se retranchait à Ziguinchor. Et après, on vient vous demander un renvoi», déclare-t-il pour introduire son propos. Il soutient que la citation de l’accusé était régulière et que la défense a eu suffisamment de temps pour se préparer.
A l’issue des réquisitions, les trois juges ne se retirent pas pour délibérer. On les voit chuchoter, observés par une assistance qui retient son souffle. Au bout de quelques minutes, le président prononce une première phrase qui laisse planer le doute : «Il n’y a aucun empressement à juger.» Un doute qu’il lèvera rapidement avec la suite de ses propos : «Nous estimons que les droits de la défense sont suffisamment respectés, que la citation est régulière et que la constitution d’un nouvel avocat ne doit pas impacter la procédure. L’affaire sera jugée aujourd’hui.» Le Tribunal se retire, les avocats de Ousmane Sonko aussi. Mais, ils ne reviendront plus. C’est sans eux que se déroulera le procès qui met en émoi tout un Peuple.