Les deux défis fondamentaux de l’humanité : Intelligence artificielle et réchauffement climatique


L’humanité est aujourd’hui confrontée à deux phénomènes d’une ampleur inédite, qui redéfinissent son destin collectif : l’essor de l’Intelligence artificielle (Ia) et le réchauffement climatique. Bien que distincts par leur nature, ces deux défis partagent une origine commune : ils sont le produit de l’activité humaine et interrogent fondamentalement notre rapport à la technique, à la nature et à la responsabilité. Dans ce contexte, la philosophie se doit d’offrir une analyse critique et de proposer des cadres éthiques adaptés à l’ère de l’Anthropocène.
1. L’Intelligence artificielle : entre promesse technologique et inquiétude existentielle
L’Ia représente l’aboutissement provisoire de la rationalité instrumentale, poussant jusqu’à son paroxysme la tendance humaine à déléguer ses facultés cognitives à des artefacts. Comme l’a souligné Habermas, la science et la technique ne sont pas neutres ; elles s’inscrivent dans une logique idéologique qui peut réduire l’humain à un simple objet de calcul.
Heidegger, dans La Question de la technique, mettait en garde contre une vision purement utilitaire de la technique : celle-ci constitue un mode de dévoilement du monde qui finit par transformer l’être humain lui-même. Plus récemment, Yuval Noah Harari a insisté sur le pouvoir de l’Ia de redéfinir l’humain, posant crûment la question de savoir si nous demeurons maîtres de nos créations.
La question philosophique centrale devient donc celle de la responsabilité : comment orienter le développement de l’Ia pour qu’elle serve le bien commun plutôt que des intérêts particuliers ou des logiques de domination ?
2. Le réchauffement climatique : la limite concrète de l’Anthropocène
Le réchauffement climatique est la conséquence directe de l’industrialisation et d’une logique de croissance illimitée. Bruno Latour nous invite à «atterrir», c’est-à-dire à reconnaître notre dépendance vitale aux écosystèmes et à redéfinir en profondeur notre rapport à la Terre.
Dans Le Principe responsabilité, Hans Jonas propose une éthique tournée vers l’avenir : nous avons l’obligation morale de préserver les conditions d’existence des générations futures. Le changement climatique incarne une limite tangible à la puissance humaine, rappelant avec force la finitude de notre planète.
Cette crise révèle également une injustice profonde : les populations qui en subissent le plus les effets sont rarement celles qui en sont historiquement responsables. Elle exige donc une réflexion sur la justice climatique et intergénérationnelle.
3. Articulation et tension entre deux défis symétriques
· Puissance versus limite : L’Ia incarne la quête d’une expansion illimitée du pouvoir humain, tandis que le climat impose une limite physique infranchissable.
· Une communauté de destin globale : Ces deux enjeux transcendent les frontières nationales et appellent à une gouvernance mondiale et coopérative, encore largement à inventer.
· Le paradoxe technologique : L’Ia peut être un outil précieux pour lutter contre le réchauffement climatique (optimisation énergétique, modélisation du climat), mais elle risque aussi de l’aggraver par sa propre consommation énergétique et en accélérant des dynamiques de production et de consommation insoutenables.
Conclusion
L’Intelligence artificielle et le réchauffement climatique ne sont pas que des problèmes techniques ou scientifiques : ce sont des problèmes philosophiques majeurs. Ils révèlent les contradictions profondes d’une humanité capable de déployer une puissance technique sans précédent, tout en compromettant les conditions de sa propre survie. La tâche de la philosophie est d’éclairer ces dilemmes, de rappeler que toute puissance doit être contrebalancée par une responsabilité à la hauteur, et que l’avenir dépendra de notre capacité à articuler savoir, éthique et action collective. Dans les deux cas, il s’agit finalement de répondre à la question : quel monde voulons-nous habiter, et quel humain voulons-nous être ?
Diama BADIANE
Philosophe et sociologue

