Les hommes clés de la dette «cachée» recasés

Suite et pas encore fin du débat sur la dette supposée cachée. Le débat autour de l’existence d’une «dette cachée» au Sénégal demeure d’actualité à la suite d’un article de l’hebdomadaire Jeune Afrique et de la nomination, lors du Conseil des ministres du 11 décembre 2025, de l’une des personnes au cœur de cette affaire.
Pourtant, pas plus tard que la fin du mois de novembre, lors du face-à-face entre le gouvernement et le Parlement, les ministres des Finances et de l’Economie appelaient à dépasser ce débat. Le ministre de l’Economie, Abdourahmane Sarr, avait fermement contesté la pertinence de cette notion de «dette caché». Sarr disait qu’une dette ne peut être qualifiée de «cachée» que si l’Etat lui-même en ignore l’existence. Or, le remboursement régulier des engagements par l’Etat atteste que les montants étaient connus, même si des erreurs de consolidation ont pu affecter les statistiques officielles. «Si vous savez qu’une dette existe et que vous la payez, elle n’est pas cachée», avait martelé le ministre, qui ajoute que la différence entre les chiffres initiaux de la dette publique et ceux révélés après audit serait donc, d’après lui, la conséquence d’erreurs de remontée de données, et non d’une volonté délibérée de dissimulation.
Dans la même foulée, le ministre des Finances, Cheikh Diba, avait rejoint sur ce point le ministre de l’Economie Abdourahmane Sarr. Il invitait les députés à mettre un terme à la controverse portant sur la supposée «dette cachée». Selon lui, ce débat n’a «aucun sens», car il est désormais établi que l’Etat connaissait l’existence de ces engagements et procédait à leur remboursement. Devant les députés, Cheikh Diba avait insisté sur la nécessité de «dépasser ce débat». Il avait rappelé que la nouvelle administration avait initialement soulevé des questions concernant un «écart» entre les chiffres de la dette communiqués par l’Etat aux partenaires internationaux, notamment le Fonds monétaire international (Fmi). Afin d’établir la vérité et de garantir la transparence, le ministre a précisé que le gouvernement avait immédiatement pris des mesures concrètes. «Nous avons pris un cabinet qui a une signature internationale, Mazars, pour faire l’inventaire de la dette. C’est ce qui a été fait.» Il insistait sur le fait qu’une dette ne saurait être qualifiée de «cachée» si les autorités en assurent le suivi et le paiement, même si des erreurs de consolidation statistique ont pu survenir.
L’ancien Dg du Trésor, le dernier nommé
Alors qu’on semblait s’acheminer vers un enterrement de première classe de ce mensonge d’Etat orchestré pour des considérations purement électoralistes (on s’acheminait alors vers les Législatives anticipées), voilà que le magazine Jeune Afrique relance le débat. D’après l’hebdomadaire, «Cheikh Diba avait présenté sa démission au Premier ministre lorsqu’il a appris que ce dernier voulait publier le premier rapport de l’Inspection générale des finances (Igf). Ousmane Sonko a refusé, et le Président a convaincu le ministre dont il est très proche, de rester».
Cette information n’est pas en soi une exclusivité pour bon nombre de personnes qui suivent cette histoire. Car tous les Sénégalais avertis étaient déjà intrigués de ne pas voir le ministre des Finances à la conférence de presse du 26 septembre 2024, aux côtés du Premier ministre Ousmane Sonko et des ministres de l’Economie, Abdourahmane Sarr, de la Justice, Ousmane Diagne, de l’Enseignement supérieur, Abdourahmane Diouf, et du Secrétaire général du gouvernement, Al Amine Lô. Même Bougane Guèye Dany, le leader du mouvement Gueum sa bopp, s’interrogeait, toute de suite après la conférence de presse de Sonko, sur les raisons de l’absence très remarquée de Diba.
Ce dernier s’est toujours démarqué des propos du Premier ministre. Il se dit même que devant le Conseil d’administration du Fmi, il aurait soutenu que l’expression «dette cachée» serait «un lapsus», une «erreur de langage».
L’autre élément qui relance le débat sur la dette supposé «cachée» et qui va peut-être l’enterrer définitivement, c’est une nomination presque anodine lors du Conseil des ministres du jeudi 11 décembre 2025. En effet, au titre des mesures individuelles à la présidence de la République, il est annoncé la nomination de «Monsieur Cheikh Tidiane Diop, Inspecteur général d’Etat, matricule de solde n°516907/F, (au poste de) Contrôleur financier, en remplacement de Madame Marie Gaye Ndiaye, admise à faire valoir ses droits à une pension de retraite». Jusqu’au 23 janvier 2025, Diop était le Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor. Entre janvier et maintenant, il a été discrètement nommé… Inspecteur général d’Etat. En octobre 2024, présidant l’Assemblée générale à mi-parcours du Syndicat unique des travailleurs du Trésor (Sutt), Cheikh Tidiane Diop affirmait sans équivoque pour se dédouaner que l’administration du Trésor constituait une «institution républicaine, qui a toujours œuvré dans le strict respect des lois et règlements en vigueur. Avec le temps, il apparaîtra clairement qui a agi de manière conforme et qui a manqué à ses obligations». Se voulant rassurant, il avait ajouté : «En ma qualité de Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor, je dirige avec rigueur une administration républicaine et citoyenne, qui s’est toujours distinguée par son engagement au service du public, dans le plus strict respect des textes législatifs et réglementaires.»
L’ancien Directeur général du Budget devient Secrétaire général adjoint de la Présidence
Il est clair que l’ancien Directeur général du Trésor est le dernier de cette chaîne au cœur de la dette supposée cachée à avoir une promotion avec ce pouvoir. Durant le même Conseil des ministres du 22 janvier 2025 qui a vu Cheikh Diop céder son fauteuil du Trésor à Amadou Tidiane Gaye, la Direction générale du Budget avait aussi connu des changements. Abdou Diouf (il décédera quelque temps après et sera remplacé par Massamba Dieng, un des auteurs du rapport sur la dette «cachée») avait remplacé Maguette Niang. Le même Maguette Niang (grand frère de l’actuel Directeur général de la Rts), qui devait faire valoir ses droits à une pension de retraite, est discrètement nommé Secrétaire général adjoint de la … présidence de la République.
Un autre acteur central de cette affaire mérite également une attention particulière : Abdoulaye Fall, ancien Trésorier général du Sénégal. Au cœur de tous les mouvements financiers de l’Etat, il a occupé un poste stratégique lui conférant une vision globale et détaillée des flux financiers nationaux. Sa carrière à la tête du Trésor l’a placé au centre des enjeux budgétaires et de la gestion des ressources publiques, notamment durant les périodes où la question de la dette dite «cachée» a émergé dans le débat national. Après avoir assumé ces importantes responsabilités administratives et financières, Abdoulaye Fall a connu une reconversion notable en accédant à la présidence de la Fédération sénégalaise de football (Fsf).
Bassirou Sarr, un autre élément central dans l’histoire de la «dette cachée», auparavant Conseiller technique auprès du ministre des Finances en charge des programmes de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (Fmi), a connu une évolution significative au sein de l’appareil administratif. Il a en effet été promu au poste très stratégique de directeur de Cabinet de Cheikh Diba. Cette progression au sein du ministère des Finances illustre non seulement la confiance placée en lui par la hiérarchie, mais aussi l’importance de la continuité et de l’expertise dans la gestion des dossiers sensibles liés aux finances publiques. A travers cette nomination, Bassirou Sarr occupe désormais un rôle central dans l’accompagnement du ministre Cheikh Diba, notamment dans le contexte actuel marqué par les débats autour de la dette publique et la nécessité de transparence dans la gestion des affaires financières de l’Etat.
Sans compter que Abdoulaye Samb reste toujours Secrétaire général du ministère des Finances et que Cheikh Diba est passé de directeur de la Programmation budgétaire à ministre des Finances et du budget. Et Al Amine Lô, l’ancien Directeur national de la Bceao, l’homme qui a été «dribblé» par le pouvoir sortant dont il a pourtant longtemps chanté les louanges, est aujourd’hui nommé ministre d’Etat auprès du président de la République chargé du Suivi, du pilotage et de l’évaluation de l’Agenda national de transformation «Sénégal 2050».
Inventaire d’un mensonge d’Etat
Il apparaît désormais que l’ensemble des personnalités ayant joué un rôle central dans l’affaire de la dette dite «cachée» occupent aujourd’hui des postes stratégiques au sein de l’appareil d’État. Cette réalité soulève des interrogations fondamentales sur la capacité des institutions à faire toute la lumière sur ce dossier. En effet, la reconduction ou la promotion de ces acteurs à des fonctions de premier plan laisse craindre que les zones d’ombre entourant la gestion de cette dette puissent perdurer, faute d’un renouvellement significatif des responsables impliqués. Ainsi, la transparence tant attendue sur les circonstances et la nature exacte de cette dette semble compromise, renforçant le sentiment que, malgré les débats et les mesures annoncées, une véritable clarification demeure hors de portée.
Il devient dès lors essentiel de procéder à un inventaire exhaustif de la dette dite «cachée», un mensonge d’Etat, afin de mesurer l’ampleur du préjudice causé à l’image du Sénégal. Cette situation a engendré une série d’effets négatifs, en plus de plonger le pays dans une crise économique et financière qui remis en cause sa crédibilité financière. L’incertitude et le manque de transparence entourant la gestion de cette dette ont également conduit à une rupture de la coopération avec le Fonds monétaire international (Fmi), organisme clé dans le soutien et la supervision des politiques économiques nationales. De plus, la note du Sénégal a été dégradée par l’ensemble des agences de notation internationales, affectant la crédibilité du pays sur les marchés financiers et auprès des investisseurs. Confronté à ce contexte défavorable, le Sénégal a été contraint de recourir de manière excessive aux emprunts à court terme, aggravant ainsi sa vulnérabilité financière. Les excès entourant ce mythe de la dette dite cachée, ont même créé une psychose en voulant entacher la réputation d’un homme honorable et respecté de tous, l’ancien Ministre des Finances, Moustapha Ba. Après son décès en France, le ministre porte-parole du gouvernement, Moustapha Ndiekk Sarré, n’a pas hésité à verser dans l’ignominie en essayant de faire croire que sa mort était due à son travail à la tête d’un département où tout le monde louait sa rigueur et sa probité. L’accumulation des conséquences des déclarations sur la dette, démontre combien la question de la dette dite «cachée» a eu un impact profond sur la réputation et la situation économique du Sénégal.

