Les hommes passent et les Etats demeurent

L’histoire humaine est jalonnée de figures brillantes ou redoutées : empereurs, chefs d’Etat, réformateurs ou dictateurs. Pourtant, tous ont un point commun : la finitude de leur vie.
A l’inverse, lorsqu’elles sont solidement construites, les institutions traversent les générations. D’où cette maxime souvent répétée, notamment dans les milieux politiques et juridiques : «Les hommes passent, les Etats demeurent.»
Cette formule renvoie à un principe fondamental du Droit : la continuité de l’Etat, qui dépasse la fragilité et la temporalité des hommes et femmes qui l’incarnent. Mais ce constat n’empêche pas de reconnaître que certains hommes, bien que mortels, laissent une empreinte indélébile sur la forme et la destinée des Etats.
Dès lors, nous analyserons cette dualité entre la permanence institutionnelle et le rôle transitoire mais parfois décisif des individus, par le biais d’exemples historiques, juridiques, religieux et littéraires, puisés à travers les continents.
A. La pérennité des Etats : un principe universel, fondement de la stabilité politique
1. La continuité de l’Etat dans le Droit et l’histoire politique
En Droit public, la notion de continuité de l’Etat garantit que l’autorité publique ne s’interrompt jamais, même en cas de changement de dirigeants. C’est un principe vital de souveraineté et de légitimité. Comme le rappelle le professeur Jean Rivero : «L’Etat n’est pas la chose d’un homme. Il lui survit.»
Dans la tradition monarchique, cette idée s’exprime par la célèbre formule : «Le roi est mort, vive le roi !» Pour dire que la mort du monarque n’interrompt pas la souveraineté. De même, dans les républiques modernes, les élections, les décès ou les démissions ne mettent jamais fin à l’Etat.
En France, depuis le 4 septembre 1958, malgré les successions de présidents, la Cinquième République installée par le Général Charles de Gaulle perdure.
2. Des exemples de continuité institutionnelle à travers les continents
En Afrique de l’Ouest, le Sénégal est souvent cité comme un modèle de stabilité. Depuis l’indépendance, le 20 août 1960, le pays a connu plusieurs alternances pacifiques, notamment en 2000, 2012 et, tout récemment, en mars 2024. Les présidents sont passés, mais l’Etat sénégalais demeure. Ce qui fait de ce pays modeste un Etat modèle.
Plaise à Allah que l’espérance portée par le Peuple sénégalais sur le tandem Diomaye-Sonko qui, d’ores et déjà, incarne l’espoir d’un renouveau, d’une gouvernance éthique et d’un changement profond du système, se transforme en réalité palpable.
En tout cas, la réussite de ces deux éminents inspecteurs des Impôts et domaines dépendra de leur capacité à demeurer fidèles à leurs engagements tout en s’adaptant aux contraintes de l’Etat.
En Asie, malgré la mort de figures majeures comme Mao Zedong (9 septembre 1976), la République populaire de Chine a poursuivi son chemin en s’adaptant à la modernité, sans renier ses structures de pouvoir centralisé.
Aux Etats-Unis, après l’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963, ou les démissions forcées comme celle de Richard Nixon (9 août 1974), la démocratie américaine a poursuivi son cours. Comme le dit Barack Obama : «L’arc de l’histoire est long, mais il tend vers la justice.» Cette justice est rendue possible par des institutions solides.
B. Bien que passagers, les hommes façonnent le destin des Etats
1. Des figures historiques et contemporaines qui ont marqué les institutions
Certains dirigeants laissent des héritages si profonds qu’ils reconfigurent les Etats, sans pour autant garantir leur immortalité personnelle.
En Afrique, Léopold Sédar Senghor (1906-2001), premier Président du Sénégal (1960-1980), et son successeur, Abdou Diouf (1981-2000), ont jeté les bases d’un Etat démocratique et culturellement enraciné. Senghor affirmait : «L’Etat, c’est le garant de la parole donnée au Peuple.»
En dépit des critiques sur certains choix budgétaires, les mandats des présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall ont posé les bases d’un Sénégal tourné vers l’avenir.
Ces deux illustres hommes d’Etat partagent un héritage commun de modernisation et de volonté de faire entrer le Sénégal dans la cour des nations émergentes. Leurs nombreuses œuvres bâties constituent des repères tangibles pour les générations futures.
En Amérique latine, Simón Bolívar (1783-1830), surnommé «El Libertador», a marqué l’indépendance de plusieurs Etats sud-américains. Pourtant, il disait avec lucidité : «celui qui sert une révolution laboure la mer», reconnaissant que même les plus grands efforts humains sont précaires sans institutions solides.
Par ailleurs, en Asie, Lee Kuan Yew (1923-2015, fondateur de Singapour moderne à partir de 1965, a transformé une cité-Etat pauvre en une puissance économique. Il affirmait : «Ce sont les institutions, et non les individus, qui assurent la prospérité durable.»
2. La vision religieuse et spirituelle de l’éphémérité humaine
Les textes religieux, notamment dans l’islam, rappellent la fugacité de la vie humaine et la primauté de l’ordre établi et de la justice. Dans le Coran, on lit : «Tout ce qui est sur elle (la terre) disparaîtra, seule demeurera la Face de ton Seigneur, plein de majesté et de noblesse.» (Sourate 55, versets 26-27). Cela prouve que seuls les principes divins, incarnés parfois par des lois justes, sont durables.
Le Prophète Muhammad (Psl) disait : «Si Fatima, fille de Muhammad, volait, je lui couperais la main.» Ce hadith illustre que la justice transcende même les liens du sang, et que l’Etat de Droit ne doit pas être l’affaire des individus, mais celle d’un ordre impersonnel et stable.
Conclusion
L’expression «les hommes passent, les Etats demeurent» ne relève pas d’un simple constat historique, mais d’un principe fondamental pour la stabilité des sociétés.
L’homme est mortel, faillible, parfois grandiose ou destructeur, mais l’Etat bien conçu, fondé sur le Droit, la justice et la mémoire collective, transcende les existences individuelles.
Toutefois, les Etats ne sont pas des entités figées : ils évoluent grâce -ou à cause- des hommes qui les dirigent. C’est là le paradoxe : les hommes passent, mais ils peuvent renforcer ou ruiner ce qui devrait leur survivre.
C’est ce qui a fait dire à notre compatriote, le savant Cheikh Anta Diop : «Le progrès des sociétés dépend de la solidité de leurs institutions, et non de la seule volonté des hommes.»
Le Président Barack Obama ne pense pas autre chose quand il affirme que «l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions».
Ainsi, l’histoire commande aux générations d’honorer la mémoire de ceux qui ont construit, tout en se souvenant que nul n’est au-dessus de l’Etat dont la pérennité dépend du respect des principes qui le fondent.
Harouna Amadou LY
alias Haroun Rassoul