Il aura fallu une petite vidéo d’une dizaine de secondes, de chefs d’Etat africains, tenant une chandelle et procédant dans les rues de Kyiv à une procession en hommage aux victimes de la guerre russo-ukrainienne, pour que tout ce qu’il y a d’Africains «conscients», «libres» et «engagés» monte sur leurs grands chevaux pour souffler la trompette de l’indignation. Comme toute polémique dans cette «civilisation du poisson rouge», pour reprendre le mot de Bruno Patino, l’indignation épidermique et la quête du bruit viral étaient la marque forte dans plusieurs prises de position, malheureusement déconnectée de la réalité de l’enjeu.

En parlant des poissons rouges, Bruno Patino explique qu’ils sont incapables de fixer leur attention au-delà de huit secondes. Il les compare de façon décapante à une grande partie de la génération des milléniaux, cette génération qui a grandi avec internet et les écrans connectés où l’attention des esprits dépasse rarement neuf secondes. Le monde est constamment à la chasse de la dernière polémique qui fera jaser. Tout dans les sphères publiques africaines ou du moins, ce que l’on peut en percevoir des réseaux sociaux, s’anime d’une motivation simple : «Je m’indigne donc j’existe.» S’indigner est une bonne chose, encore faudrait-il baser cela sur des faits objectifs et une analyse pour faire un peu peser de la jugeote.

Macky sur la médiation entre la Russie et l’Ukraine : «L’Afrique ne ménagera aucun effort»

Une constance qu’on peut noter est la tentative de discréditer tous les coups et exploits diplomatiques du Sénégal depuis un certain temps, du simple fait d’une opposition à un homme. Ils sont encore frais dans les mémoires les commentaires désobligeants après la participation du Sénégal au dernier G20 en Indonésie. On peut comprendre une hostilité à l’égard de Macky Sall et de sa gouvernance, mais vouloir chahuter tous les faits diplomatiques majeurs que pose le Sénégal sous sa conduite est problématique. Si le cas de la dernière visite des chefs d’Etat africains en Ukraine et en Russie est étudié en détail, on verra que cela s’inscrit dans une continuité. Après le déplacement à Sotchi en juin 2022 de Macky Sall et Moussa Faki Mahamat (j’oubliais qu’on leur reprochait à l’époque d’aller quémander du blé), la visite sous le sceau d’une «médiation africaine» d’une délégation faite des présidents du Congo-Brazzaville, de l’Egypte, du Sénégal, de l’Afrique du Sud, de l’Ouganda et de la Zambie, est une étape nécessaire d’un continent qui, depuis le début de cette guerre, a joué la carte de la neutralité. De plus, l’Ukraine, tout comme la Russie à la faveur de la présidence sénégalaise de l’Union africaine en 2022, n’a pas manqué de façon soutenue et régulière d’entretenir des contacts avec Dakar pour faire émuler un certain leadership sénégalais sur d’autres pays.

Le ministre des Affaires étrangères ukrainien avait été dépêché à Dakar à cet effet, avant que le Président ukrainien Zelensky ne puisse s’adresser aux dirigeants africains par visioconférence. L’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal révélera dans une interview dans les colonnes du Quotidien la semaine dernière, qu’en Ukraine, ils espéraient voir le Président Macky Sall se rendre à Kyiv depuis l’année dernière en tant que président de l’Union africaine, avec de nombreuses invitations formulées en ce sens par le Président Zelensky.

Le déplacement des chefs d’Etat africains en Ukraine et Russie est similaire à toutes les visites faites par des leaders en Ukraine ou en Russie, sans qu’on leur balance des quolibets ou qu’on les traite de vendus, fermant les yeux à la misère sur le continent. Les diasporas africaines et l’opinion publique connectée du continent auront la force d’exceller dans l’autoflagellation. On a vu des présidents américain ou français à Kyiv sans que cela ait choqué outre mesure. C’est par des médiations et bons offices de gens comme le Président sénégalais qu’il n’y a pas eu d’effusions de sang entre Rwandais et Congolais. C’est aussi dans ce même registre qu’Egyptiens et Ethiopiens n’ont pas sorti leurs couteaux de leurs fourreaux pour se battre autour du grand barrage de la Renaissance. Nos citoyens «engagés» et africains «plus que fiers» ont sûrement oublié la visite d’Etat du Président sénégalais auprès des autorités égyptiennes en janvier 2022, et totalement zappé le passage du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed à Dakar en novembre 2021, ainsi que les ordres du jour de ces missions. Macky Sall, dans son costume de président en exercice de l’Union africaine (Ua), était le premier à monter au créneau, avec Moussa Faki, président de la Commission de l’Union africaine, pour s’opposer au traitement raciste subi par les migrants originaires d’Afrique au début du conflit en Ukraine. On peut vouloir chahuter le Sénégal dans ses postures diplomatiques, mais le «Sénégal Bashing», s’il est déconstruit par l’objectivité des faits, mérite d’être posé par terre.

Médiation africaine : Macky et 5 de ses pairs à Kiev et Saint-Pétersbourg

Sur un registre autre, mais tout aussi important, la mission africaine en Ukraine et Russie aura permis au Président sénégalais, qui avait insisté auprès de la délégation pour passer le même temps dans les deux pays belligérants, dans un souci d’équilibre et de neutralité, d’adresser les incursions d’agents proches du pouvoir de Moscou et actifs dans la sous-région ouest-africaine. Les tentatives d’insurrection pouvant s’appuyer sur des groupes brandissant un drapeau russe et toutes les logiques de «proxy wars» dont notre pays pourrait être victime, sont des questions adressées avec toutes les incursions constatées. Le Sénégal, pour sa stabilité, ne pouvait pas ne pas aborder un tel sujet avec les autorités russes.

On ne peut retirer au Sénégal d’avoir une voix diplomatique audible, d’être un pays respecté dans le concert des nations, que ses fils et filles qui font office de diplomates tiennent la dragée haute et que son alignement ou pas intéresse, voire intrigue. La visite d’Etat du président sénégalais au Portugal et tous les égards faits à notre pays, malgré toute la couverture négative à l’international ces dernières semaines, en disent long sur un Etat solide avec une diplomatie respectée et un modèle républicain auquel beaucoup font confiance. Le Soleil est revenu cette semaine sur la place de l’Afrique dans la médiation des conflits internationaux, montrant que de Senghor à Sall, la constance a toujours été que la voix du Sénégal compte. Des réunions secrètes qui se tenaient entre Dakar et Kinshasa pour empêcher Egyptiens et Israéliens de s’affronter dans les années 1970, à la diplomatie conciliante sur le conflit russo-ukrainien que nous vivons, la prestigieuse histoire diplomatique du Sénégal ne cesse d’avancer.

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On peut comprendre qu’une certaine presse étrangère se moque d’un régime africain démocratiquement élu, tourne en dérision une mission de médiation d’un continent avec six de ses chefs d’Etat et non des moindres. C’est un jeu de pouvoir, ils ont leur agenda et seraient les derniers à applaudir des nègres faiseurs de paix. Toutefois, voir des Africains qui se disent soucieux du devenir de leur continent, prompts à demander que la voix de l’Afrique se fasse entendre, se joindre au concert des hyènes est regrettable. On n’est pas surpris de voir un petit avocat, en mal de crédibilité en France, se positionner comme libérateur des enfants de Senghor et Cheikh Anta Diop !

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L’ambassadeur Maguette Sèye dont j’ai eu la chance de bénéficier de l’encadrement, avait une formule très forte à l’égard de la diplomatie sénégalaise. Il disait que beaucoup de gens se perdent en sous-estimant la force diplomatique du Sénégal. Ce mot ne saurait être plus vrai, il est regrettable que le temps des internets veuille faire du géant diplomatique qu’est le Sénégal un nigaud, risée du monde entier. Je rajouterai à cela que beaucoup de gens se perdent à négliger la force du Sénégal. Et cela, nous ne cesserons de le rappeler à tous les poissons rouges, pour peu qu’ils nous accordent une attention.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn