Le 18 novembre dernier, sur ma page Facebook, j’écrivais : «Regis Onanga Ndiaye, fils d’immigré sénégalais au Gabon, ancien ministre des Affaires étrangères, est élu président de l’Assemblée nationale gabonaise. A New York, Zohran Mamdani, musulman et fils d’immigré, est devenu le plus jeune maire de cette grande ville depuis un siècle à 34 ans. A Londres, Sadiq Aman Khan, musulman et d’origine pakistanaise, vient d’être réélu pour un troisième mandat en mai 2024. Pendant ce temps, au Sénégal, certains hommes politiques pensent qu’il faut chasser les étrangers.»

Aujourd’hui, c’est la mort de Baba Abdoulaye Diop qui n’est pas un fait divers. Cet étudiant sénégalais a perdu la vie en France, après avoir été mortellement poignardé à l’issue d’une altercation qui a pris départ lors d’une dispute suite à un live TikTok. Selon les informations disponibles, le différend serait lié à des divergences politiques impliquant des membres d’un mouvement se réclamant du courant nationaliste. Ce drame a plongé sa famille dans une profonde douleur et relancé le débat sur la responsabilité des discours politiques.

Le père de la victime s’est exprimé en des mots qui donnent froid au dos. «Je viens de perdre mon unique fils, Baba Abdoulaye Diop, par le fait d’un discours irresponsable d’un politicien voulant engranger des voix lors des dernières Législatives. Pour son assassin, il était Guinéen. Bien qu’il n’a aucune valeur de plus que nos frères qui vivent parmi nous, il est Sénégalais de souche. Son père, ancien sous-préfet du Sénégal, et sa mère, infirmière d’état à la retraite du Sénégal. Je crois que la Fonction publique du Sénégal est réservée EXCLUSIVEMENT aux Sénégalais», dit-il, avant d’ajouter : «Mais supposons qu’il soit Guinéen. Est-ce que cela signifie qu’il mérite la mort uniquement de ce fait ? Qui de nous a choisi ses parents, son pays de naissance ? La responsabilité des politiciens est engagée. Chacun a la Liberté, avec un grand L, de croire le «meilleur chemin pour le développement de son pays» dans une atmosphère de tolérance et de paix. Au nom de mon fils, je demande solennellement à nos politiciens de mesurer les conséquences de leur discours, car sa mort est une alerte quant à l’état de désintégration de notre Société ! Je demande également à l’Etat auquel j’ai consacré ma vie, de prendre ses responsabilités afin que nous puissions léguer un Sénégal où nos enfants ne rencontrent pas les problèmes que leurs parents ont vécus, un Sénégal meilleur !»

Le jeune Diop est en fait une victime des alchimistes de la colère qui, dans leurs sombres labos, en ingénieurs du chaos, ont semé au Sénégal la «hainocratie». En effet, dans ce Sénégal sahélien où souffle un vent chaud de l’Harmattan qui ne transporte plus seulement le sable du désert à travers les artères de Dakar, il charrie désormais un pollen invisible et bien plus corrosif : la désinformation systémique. Dans les appartements feutrés des Almadies ou les cybercafés poussiéreux de la banlieue, une nouvelle caste d’artisans a pris le contrôle du récit national depuis 2014. Ce sont les «ingénieurs du chaos» à la sauce sénégalaise.

Ces ingénieurs du chaos n’ont pas d’idéologie, ni de programmes. Ils sont justes des techniciens dont le seul travail a été de saper les fondements de la stabilité du pays. Qu’il s’agisse de la méfiance envers les institutions, des tensions générationnelles ou du sentiment de dépossession économique, nos ingénieurs identifient ces failles et y injectent un algorithme de colère.

Au Sénégal, cette ingénierie a trouvé un terreau fertile dans la jeunesse hyper-connectée. Avec un smartphone comme seule fenêtre sur le monde, des millions de jeunes sont devenus, souvent à leur insu, les vecteurs de campagnes de manipulation orchestrées. L’objectif n’est jamais de convaincre par le débat, mais de saturer l’espace mental par le bruit.

Leur modus operandi ? Tout s’opère à travers une organisation pyramidale, avec au sommet des Stratèges souvent tapis dans l’ombre, parfois à l’étranger, avec comme mission de définition des éléments de langage. Viennent ensuite les Relais, c’est-à-dire une flopée d’influenceurs grassement rémunérés ou des activistes de bonne foi qui ont pour mission de «blanchir» l’information pour lui donner une apparence de légitimité et d’acceptation aux yeux de l’opinion. C’est ainsi qu’on finit par vendre l’idée selon laquelle il ne faut pas écouter les religieux qui vous disent que c’est un suicide que de perdre la vie dans des manifestations non autorisées. Ces religieux sont caricaturés avec le slogan «toog mouy dokh» pour les décrédibiliser.

A la base de cette pyramide, une armée numérique de milliers de faux comptes et d’utilisateurs réels qui partagent massivement, créant une illusion de consensus ou d’indignation généralisée. Cette structure permet de transformer une rumeur infondée en une «vérité alternative» en moins de deux heures, avec les réseaux sociaux, particulièrement sur WhatsApp et TikTok. Le but est d’atteindre le point de bascule où l’émotion supplante la vérification.

Le drame de cette ingénierie portée par un «Projet» inexistant, en panne de «Solutions» et telle Don Quichotte, en croisade contre un «Système», est qu’elle a tué la «Teranga» intellectuelle. Le Sénégal, jadis terre de dialogue et de palabres constructifs, voit son espace public se balkaniser. Dans le laboratoire des ingénieurs du chaos, il n’y a pas d’adversaires, seulement des ennemis. Chaque événement (qu’il s’agisse d’un procès politique, d’une réforme économique ou d’un fait divers) est immédiatement déconstruit et remonté pour servir un narratif de confrontation. La nuance est perçue comme une trahison, et le doute comme une faiblesse. L’expression «ku neutre danga naafekh» (littéralement «qui observe la neutralité est hypocrite») est née.

Avec des «campagnes de 72h», c’est-à-dire prendre à partie un homme public pendant 72 heures, à coup d’insultes et d’insanités, les ingénieurs adeptes de la «hainocratie» ont réussi à faire peur à tous les intellectuels en vue, surtout à délégitimer le processus même de la vérité. Quand plus personne ne sait quoi croire, la seule boussole qui reste est l’appartenance au clan. Les conséquences sont réelles et parfois sanglantes. Les émeutes et les tensions que le pays a connues ces dernières années, sont en partie le miroir de cette guerre invisible. Les écrans brûlent avant que les pneus ne s’enflamment dans la rue.

En 2024, Pastef, à travers les voix de Dame Mbodj, Bara Ndiaye, Akhenaton, Mollah Morgun, etc., a présenté le Premier ministre Amadou Ba comme un ressortissant guinéen, parce qu’ils savaient que la majorité de leurs électeurs sont des éthno-xénophobes qui nourrissent une haine sauvage envers les Hal Pulaar. Ousmane Sonko a même traité le juge Maham Diallo de «juge neddo ko bandoum», et s’en était également pris au juge Hippolyte Ndeye dont le seul tort est d’avoir pour sœur la ministre Victorine. L’on se souvient aussi que Tahirou Sarr, fidèle compagnon de route de Pastef pendant un long moment, disait au jour de la prestation de serment du Président Diomaye Faye : «Ki kouko khool xamni diouroom niaary maamam yeupp ay Sénégalais la gnou (à regarder Diomaye, on sait qu’il est Sénégalais sur sept générations).» C’est-à-dire que celui qui regarde Diomaye sait qu’il est un Sénégalais de pure souche. Un discours qui en dit long sur le ressenti envers ceux qu’on présente comme n’étant pas des Sénégalais de pure souche. Donc, des militants de Sonko et Tahirou Sarr qui s’entretuent pour des questions sur lesquelles ils ont cheminé ensemble, c’est juste du théâtre de mauvais goût.
Il est clair qu’un pays se construit avec des esprits sains, productifs, constructifs et positifs. Il est important, dans une société de droit, de distinguer avec rigueur la fermeté citoyenne du discours haineux. La haine commence là où le langage cesse d’être un outil de régulation et devient une arme : lorsqu’il dénigre, essentialise, exclut ou appelle à la violence contre des individus en raison de leur identité.
Par Bachir FOFANA