Le seul combat qui vaille aujourd’hui est la grande bataille contre la peur ; la peur de l’exclusion, la peur de la marginalité, la peur de la stigmatisation, la peur de la pauvreté.
L’éloge de la paresse comme chez Boris Vian, ou la morgue sereine du plus grand peintre noir Jean Michel Basquiat, l’homme qui faisait tout pour ne pas avoir du succès, toutes ces folies n’ont plus cours. Les intellectuels ont peur de la folie. Or «les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou», a écrit le philosophe de Port Royal, le Janséniste Blaise Pascal. Ailleurs et plus accessible, il découvrit «qu’il n’y a pas de génie sans un grain de folie».
La grande farce est cette manière feinte quasi-théâtrale de se gargariser d’un intellectualisme de mauvais aloi. C’est connu, les intellectuels aiment le pouvoir, non plus l’autorité du savoir, mais le pouvoir politique, alors même qu’ils ne cherchent pas à l’exercer, leur incapacité, pour ne pas dire incompétence politique, les emmène aux rivages des bas sentiments de fausse révolte. Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire, Thomas Sankara, Léopold Senghor ou Franz Fanon sont devenus des formules incantatoires prononcées au détour d’une citation dans une situation de désemparement intellectuel. Depuis fort longtemps, mis à part les grands moments de philosophie politique comme John Rawls, ses contempteurs et ses critiques, Jürgen Habermas, ou alors Godefroi Bidima ou bien même Kwame Appiah,, l’analyse politique, qu’elle soit sous forme de pensée politique ou simplement glose de l’actualité politique, n’est plus loin des rodomontades que l’on peut entendre çà et là de la bouche du commun des mortels. Le bon sens est diffus, il est partout présent. On ne demande pas à un philosophe d’avoir du bon sens.
La psychanalyse n’a pas besoin d’être réactionnaire ou passer par le crible de Michel Onfray pour dire qu’il existe deux races qui aiment particulièrement le pouvoir : Les intellectuels et les femmes. Le pouvoir politique est castrateur chez les hommes en général ; d’où le paradoxe de l’exercice masculin du pouvoir politique qui est une tradition quasi-antique et même originelle. Les hommes au sens générique du mot exercent une chose dont ils ont peur inconsciemment. Les intellectuels au sens large du mot (diplômés ou autres alphabétisés ou encore lettrés…) ont une peur viscérale d’être en marge, or leur «Karma» les destine à la sortie, à la distance. Aucune révolte, aucune révolution ou transformation ne peut venir d’eux parce qu’ils ne sont pas initiés, ils ne sont pas conscients de leur présence sur terre. Ils ont peur maintenant de s’intéresser à ce qui ne les regarde pas, cette vocation première de l’intellectuel. Ce qui ne nous regarde pas, c’est l’intemporalité, l’éternité même. Mais aujourd’hui, le réflexe quasi-priapique des intellectuels est de commenter les potins politiques. Ils ont peur d’être hors sujet alors qu’il faut l’être quand le sujet n’en vaut pas la peine, quand le sujet ne désigne aucun objet si ce n’est rien.
La violence verbale des politiciens n’est pas une excuse. Quand est-ce que la politique a été tendre une fois ? Cette tentative intellectuelle qui est devenue une tentation de «moraliser l’espace politique» soi-disant est une manière feinte de participer tout en gardant les mains propres. C’est parce qu’on a les mains sales qu’on s’en lave les mains. Ils ont peur de parler de sujets hors de l’espace politique, ils ont peur de parler de la grave question de l’éducation mondiale, ils ont peur de parler de la tragédie grecque, des vessies et des lanternes pourquoi pas… Ils évitent le regard oblique nietzschéen sur les choses et les êtres, ils ont peur d’aborder les thèmes qui n’intéressent personne, des sujets qui ne préoccupent pas encore ceux qui dorment. Ils ont même peur de désigner ceux qui dorment, ils les flattent, les caressent, les chatouillent, les dorlotent avec un discours populiste, ceux-là continuent à ronronner. Le chat est plus conscient qu’eux.
Ils ont peur de veiller, lorsque les autres dorment ; d’autres se contentent de fabriquer des citations pseudo-personnelles en pensant sincèrement qu’ils en sont les auteurs au moment où les plus dangereux sont adoubés par la fabrique internationale du succès qui est forme pernicieuse de limitation, de captation et d’emprisonnement. Pourquoi avoir peur lorsque l’on réussit à percer les mystères de l’univers, le secret de la vie et de la mort, le but de tout exercice intellectuel ?