Faudrait-il, chaque fois que nous parlons de notre justice, déplorer la marchandisation rampante et la privatisation qui sont opérées par les auxiliaires de justice ? Cette longue grève du Sytjust que les pouvoirs publics laissent sciemment pourrir ne sert en réalité aucunement les intérêts des citoyens sénégalais. Le cahier des revendications dévoile ici que c’est une corporation qui cherche à se nourrir sur la bête, quitte pour cela à la faire mourir d’inanition. Les magistrats, pour leur fonds commun, appelé «Fonds d’équipement et de motivation de la justice judiciaire», comptent sur les amendes qu’ils prononceraient pour gonfler leur cagnotte.
Les agents du Greffe, pour leur part, entendent gonfler les frais des procédures dont ils ont la responsabilité pour se tailler de beaux costards. Et le justiciable, qui y pense ?
Le plus déplorable, c’est qu’aussi bien dans la société que parmi leurs pairs des autres pays, les acteurs sénégalais de la justice, magistrats comme greffiers, sont loin d’être les plus mal lotis, pour employer une litote. La cagnotte que les uns et les autres veulent se constituer ne vient pas améliorer un ordinaire à la limite de la misère, tout au contraire. Mais là n’est pas la question. Si l’Etat, qui a lui-même aidé à disloquer les barèmes des salaires de la Fonction publique, trouve normal de faire passer des salaires du simple au quintuple du jour au lendemain pour certaines corporations, grand bien lui en fasse. Ce sont après tout des Sénégalais comme les autres. Mais qu’il ne s’étonne pas dès lors de voir le personnel des hôpitaux réclamer une amélioration de son traitement. Et qu’il soit suivi par les éternels insatisfaits que sont les enseignants et ainsi de suite…
Non ! Ce qui inquiète et indigne dans les revendications des greffiers, c’est leur prétention de servir la justice aux plus nantis, en laissant de côté les démunis.
Quand l’obtention d’un extrait de casier judiciaire en viendra à coûter 5 fois son prix actuel, qui sera pénalisé ? Et il en est ainsi de tous les actes que ces fonctionnaires auront à poser dans le cadre de leur mission. La Bible dit que Jésus avait chassé les marchands du Temple. Mais dans le Temple de Thémis, il ne semble y avoir de la place que pour les colporteurs. Qui monnayent tout ce qui peut leur rapporter.
En vérité, l’Etat a dû se rendre compte que le ministre qui avait apposé sa signature à l’accord sur ces points avait commis une grosse bourde. N’ayant pas les moyens de revenir sur ce que les fonctionnaires considèrent comme un acquis, il veut jouer le pourrissement. Mais quelle que soit l’issue de cette histoire, la réputation de notre justice n’en sortira pas grandie.