Des carences juridiques du réquisitoire du procureur de la Crei. Tra­ditionnellement, il est distingué les peines encourues par les personnes physiques, c’est-à-dire des sanctions disponibles mises à la disposition du juge pour venir au soutien des condamnations qu’il prononce des peines prononcées et enfin des peines exécutées. Con­cernant les peines encourues, seul le législateur a le pouvoir de les définir, conformément au principe de la légalité des incriminations et des peines. A ce titre, le Code pénal du Sénégal, comparativement à celui français, prévoit des peines principales d’une part, des peines complémentaires d’autre part et enfin des peines accessoires, la distinction étant moins nette dans notre droit positif en ce qui concerne les peines complémentaires des peines accessoires. Le prononcé des peines obéit naturellement au principe d’individualisation et de personnalisation. La lecture des sanctions prononcées par les juridictions répressives sénégalaises déroute ceux qui s’intéressent à la question dans la mesure où notre politique pénale est restée figée à la conception de la peine comme une exclusion et non comme un moyen de relèvement du condamné.

Les peines prévues par le législateur en la matière sont d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende au moins égale au montant de l’enrichissement illicite, et pouvant être portées au double de ce montant.

Le procureur de la République pouvait-il re­quérir une peine non prévue par l’art 163 bis du Code pénal ? Deux thèses s’affrontent. Pour les uns, le principe de la légalité des peines interdit qu’on puisse adjoindre à une incrimination une peine non prévue par cette incrimination et tel est le cas en ce qui concerne l’infraction d’enrichissement illicite qui, au demeurant, est un ovni juridique. Pour les autres, il faut considérer que l’art 34 Cp à une portée générale et ne bénéficie d’aucune incrimination de rattachement, en conséquence, le procureur peut bien requérir une pénalité non prévue par cette incrimination dans la mesure où cette pénalité est complémentaire.

Que dit l’art 34 ? Il fait état, en son alinéa 1er : «Les tribunaux jugeant correctionnellement pourront dans certains cas interdire en tout ou en partie, l’exercice des droits civiques, civils et de famille suivants…»

Il faut convenir au sujet de cet alinéa, que la loi fait état de tribunaux jugeant correctionnellement. La difficulté en la matière réside dans le fait que d’une part, la loi a bien prévu un délit d’enrichissement illicite mais que d’autre part, elle a prévu une juridiction spéciale qui n’est pas un tribunal mais une Cour. Il y a donc une discordance entre l’incrimination et la juridiction chargée de la réprimer. Ce qui, au demeurant, conforte notre position selon laquelle il est extraordinairement malheureux que cette loi de 1981 ait fusillé le principe du double degré de juridiction d’une part, et que d’autre part, la question du règlement des juges demeure entière dans la mesure où l’enrichissement illicite ne respecte point les principes de lisibilité et de précisibilité de la loi pénale, que cette incrimination «corruptive» est bien du ressort des juridictions de droit commun, voire de la Haute cour de justice du fait du statut de la personne poursuivie.

Par ailleurs, cet art 34 prévoit également en ses alinéas 2 et 3 d’une part que «lorsque la peine d’emprisonnement encourue sera supérieure à 5 ans, les tribunaux pourront prononcer pour une durée de 10 ans de plus l’interdiction totale ou partielle des droits énumérés ci-dessus», et d’autre part que «lorsque la peine d’emprisonnement prononcée sera supérieure à 5 ans, l’interdiction définitive de tous les droits devra obligatoirement être prononcée». A l’analyse dans le premier cas, le juge a les mains libres de faire ou de ne pas faire, alors que dans le second cas, ce juge ne peut que se plier à la loi.

De l’inopérance de l’article 34 du fait de l’article 35 issu de la loi du 29 décembre 2000. Ce dernier indique que «les tribunaux ne prononceront l’interdiction mentionnée dans l’art précédent que lorsqu’elle aura été autorisée ou ordonnée par une disposition particulière de la loi». Cet article 35 constitue de ce fait un obstacle à la retenue de l’article 34 dans le réquisitoire du procureur. En effet, la portée générale de l’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut aller contre la loi elle-même, la loi pénale étant d’interprétation stricte. L’incri­mination d’enrichissement illicite ne comportant point une pénalité relative à l’article 34.

C’est d’ailleurs la position du droit français. Qui prévoit à titre partiel «Section V. -Peines complémentaires applicables aux personnes physiques, Art 225 -19 Mod., loi du 9 mars 2004, loi du 24 juillet 2006 et enfin loi du 4 août 2008 en ce qui concerne les discriminations Art 225-1 d’une part et en ce qui concerne des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne Art 225-13 d’autre part. Le législateur français va plus loin en fulminant l’interdiction des droits civiques, civils et de famille dans son intégralité pour de nombreuses infractions telles que le vol, l’escroquerie, l’abus de confiance, la corruption de fonctionnaire, le trafic d’influence, la banqueroute, la fraude fiscale, etc. Le législateur sénégalais, dans sa loi du 29 décembre 2000, ne fait que suivre le droit français en ruinant de ce fait l’article 34. C’est la consécration de la thèse de la légalité des incriminations et des peines qui signifie que le juge ne peut aller au-delà des peines prévues pour l’incrimination d’enrichissement illicite. D’ailleurs, aussi bien la Crei que la Cour suprême n’ont pas suivi sur ce point le procureur : dixit : Que le délit de corruption reproché à K. M. Wade n’est pas établi, le relaxe de ce chef ; -Déclare K. M. Wade atteint et convaincu du délit d’enrichissement illicite qui lui est reproché ; -Le condamne à une peine d’emprisonnement de 6 ans ferme et à une amende de cent trente-huit milliards deux cent trente-neuf millions quatre-vingt-six mille trois cent quatre-vingt-seize francs (138 239 086 396) F Cfa ; -Ordonne la confiscation de tous les biens présents des condamnés, de quelque nature qu’ils soient, meubles ou immeubles, divis ou indivis, corporels ou incorporels, notamment les actions des sociétés dont ils sont bénéficiaires économiques ; -Déclare recevable la constitution de partie civile de l’Etat du Sénégal; -Lui alloue la somme de dix milliards (10 000 000 000) F Cfa à titre de dommages et intérêts pour toutes causes de préjudice confondues.
Mady Marie BOUARE
Docteur en droit privé
et sciences criminelles
Maître de conférences à l’Ugb
Avocat au Barreau de Paris