Le Sénégal est ce merveilleux pays où des gens qui ont fait une percée politique par l’irrévérence, l’invective, l’outrage et l’insulte, se réveillent un beau jour pour réclamer du respect de tous. La polémique née de l’échange de salves entre le chroniqueur Badara Gadiaga et le député Amadou Bâ du parti Pastef, en fin de semaine dernière, aura été le moment d’un vrai basculement. Face à l’exercice du pouvoir, l’Etat Pastef se rend compte que les diatribes d’opposants surexcités, le langage ordurier et les excès ne sont guère viables. Ces pratiques déconcentrent et dévient d’une trajectoire. C’est malheureusement par la méthode forte que cette leçon est sue par les hommes forts du pays, célébrant leur première année de règne.

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Il faudrait tout de même rappeler que le chroniqueur Badara Gadiaga n’aura aucunement fauté. C’est face à un vis-à-vis qui aura tenu à le traîner dans la boue, en racontant des contre-vérités sur sa personne, qu’il a su se défendre et taxer de mensonges tout ce qui l’était. Je ne me gêne pas dans mon quotidien à notifier à un menteur ses écarts et errements, vouloir refuser cela à Badara Gadiaga n’est que pure mauvaise foi. Il n’y a qu’au Sénégal qu’on refuse de taxer de menteur une personne qui ne dit pas la vérité. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de violent à signifier à un menteur ses fadaises et balivernes, surtout quand l’honneur est en jeu devant des milliers de personnes ? L’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, dans sa vie tonitruante d’opposant, ne s’est-il pas plu à taxer de menteur toute voix contraire ?

Magistrats, journalistes, hommes politiques, autorités de l’Etat, personne n’aura échappé à la sentence du chef Sonko. Les vidéos sont là pour en témoigner, et nous n’avons jamais cessé de dire que l’irresponsabilité dans le discours et la légèreté finirait tôt ou tard par rattraper beaucoup de nos hommes publics. Voir aujourd’hui ses troupes chagrinées et être affectées à chaque coup de glotte que subit le maître, a de quoi friser le risible et le ridicule, d’autant plus qu’elles auront prophétisé et pratiqué cette liberté de langage qui désacralise tout. En offrant leur concert d’indignations, les responsables de Pastef doivent se rappeler que dans un passé tout récent et jusqu’à présent, du mal est fait avec leurs discours outrageux et postures violentes. Jouer aux prudes effarouchées peut susciter de la compassion dans ce Sénégal où c’est à la tête du client que l’on choisit de s’indigner ou de détourner son regard, mais pour tout esprit un tant soit peu logique et qualifiant les actes par leurs intentions, ces pamphlets attristés à souhait ne méritent que mépris.

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Dans une chronique intitulée «Insulter, stratégie politique payante», parue dans ces colonnes en octobre 2022, nous nous insurgions de ce que l’insulte est devenue dans l’espace public sénégalais et dans le jeu politique, avec l’avènement du parti Pastef et la radicalisation dans sa démarche de conquête du pouvoir. Nous analysions la situation de la sorte : «De la simple altercation sur la route aux enceintes sacrées comme notre Parlement, l’insulte a droit de cité et se sert sans retenue. Le langage ordurier est devenu la rampe royale des influenceurs voulant développer leur audience et se faire remarquer. Cette façon de faire, en analysant le discours public, traduit un usage performatif de l’insulte dans l’espace public sénégalais, surtout sur le champ politique, pour se donner une résonance. L’usage généralisé de l’insulte poursuit des buts particuliers, et les adeptes de cette pratique en ont bien conscience. Plus l’outrage est gros, plus il sera facile à faire passer, pourrait-on penser. On voit dans l’usage de l’insulte sur la scène politique sénégalaise, le procédé similaire à celui qui avait fait la percée politique du fondateur du journal L’Intransigeant, Henri Rochefort, à la fin du 19e siècle. Il ne se gênait pas de dire que par son usage de l’insulte en politique, il a la volonté de détricoter le théâtre politique et surtout de renverser les règles du jeu imposées par une caste d’«établis». Cette même dynamique sera, plus d’un siècle plus tard, la démarche d’un populisme fait d’actes outranciers et de vils abus verbaux.»

Quand on fait de l’insulte, de l’outrage et de l’irrévérence des armes politiques, il ne faudrait pas être choqué et indigné par un effet boomerang. Le pouvoir actuel ne récolte que ce qu’il a pu semer, c’est très regrettable en ce qu’il y aura davantage un affaissement de la stature des figures publiques et davantage de défiance. Le peu de civilité qui restait dans le débat public est à conjuguer au passé, et dans une logique de surenchère, toute personne, pour peu courageuse ou téméraire, se dira que ce ne sont pas des irrespectueux qui peuvent exiger, voire forcer au respect.

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La mauvaise foi n’ayant guère de limites dans ce pays, c’est un malheureux communiqué du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) qui viendra positionner cette instance en maton zélé pour policer le langage sur les ondes et plateaux à la suite de cet incident. C’est déplorable que le Cnra s’agite en continuité au communiqué de Pastef, lu et diffusé sur la télévision publique, excusez du peu. On ne peut oublier que ces cinq dernières années, face à de nombreux abus de médias qui se sont mués en officines militantes et en relais de propagande politique, donnant la parole à tout excité pour cracher sur la République, chahuter notre vivre-ensemble et insulter copieusement toute tête qui dépasse, le régulateur de l’audiovisuel sénégalais aura rarement bronché. Comme dans toute armée mexicaine, il faut donner des gages de loyauté et verser un tribut au chef. Comprenons le communiqué du Cnra dans ce sens, il est heureux que le Cdeps ait pu renvoyer des poings fermes après cette gifle mal calculée du régulateur. L’insulte a déjà son lit dans l’espace public, mettre la sortie de Badara Gadiaga sur la Tfm dans cette catégorie n’est que complaisance de militants qui pensent détenir toutes les vérités et poursuivent sans gêne la canonisation de leur chef.

De guerre lasse, Hamidou Anne disait dans ces mêmes colonnes que « vos insultes sont nos médailles », dénotant de la violence et du terrorisme intellectuel qui s’abattaient sur tout contradicteur de Pastef ou de Ousmane Sonko. L’insulte est là pour rester à notre grand regret, ce n’est pas un Cnra dont les membres ne sont pas encore installés qui pourrait changer quelque chose à cela.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn