En Egypte, le visiteur ne peut manquer de s’émerveiller devant les hautes pyramides. Ces grandes bâtisses, vieilles de plus de 4 000 ans et sans aucune ride, constituent une prouesse technique et architecturale. Elles sont hautes, comme un immeuble de plus de 45 étages (Les pyramides de Gizeh près du Caire montent à 146 mètres de hauteur). Construites avec beaucoup d’ingéniosité et des moyens technologiques d’un autre âge, les pyramides ont été considérées comme l’une des sept Merveilles du monde. Elles sont les témoins encore debout d’une grande civilisation, la plus évoluée de l’histoire de l’humanité. Tout le monde s’accorde sur l’idée que le monde moderne – la civilisation contemporaine – prend sa source de l’Egypte ancienne. Cette Egypte a produit le monde comme il est aujourd’hui. Le Pr Cheikh Anta Diop avait fini par convaincre de l’antériorité des civilisations noires. Il a pu établir indubitablement que «l’Egypte ancienne était nègre», non pas seulement par sa situation géographique, mais aussi par ses langues, son organisation politico-sociale et ses brassages ethno-linguistiques.
Les Africains ont donc de bonnes raisons d’être fiers de la civilisation égyptienne qui porte le sceau des différentes dynasties pharaoniques. Mais paradoxalement, les reliques de l’Egypte ancienne devraient aussi constituer notre mauvaise conscience. En effet, comment cette Afrique qui a produit ce qu’il y avait de plus évolué dans le monde a pu aujourd’hui être à la traîne du monde ? Les Africains sont assez prompts pour se trouver des excuses, comme l’esclavage ou la colonisation européenne. Force est de dire que quand la civilisation égyptienne déclinait, il n’avait point encore été question de traite négrière ou de colonisation.
Le sort des morts importe plus que celui des survivants
Il apparaît que paradoxalement l’Egypte a été freinée par la grandeur et l’aura de ses pharaons. Qu’est-ce que la postérité retient de ces illustres pharaons ? Rien d’autre que leurs pyramides qui servaient de temples, qui leur servaient de tombeaux. Chaque pharaon passait sa vie à édifier la plus grande pyramide, la plus majestueuse ou la plus prestigieuse pour y reposer éternellement. Il ne se trouve pas dans l’histoire de l’Egypte ancienne ou dans l’histoire du monde noir un souverain qui a laissé à sa suite une infrastructure communautaire qui fasse encore rêver. Tout était centré et dévolu à la gloire personnelle du souverain. Le postulat semblait être que la vie des Peuples africains s’arrêtait avec la mort de leur souverain. Le souverain se faisait enterrer avec son colossal patrimoine. Les richesses accumulées étaient ainsi perdues pour toujours. Le successeur était appelé à repartir de zéro, à chercher à amasser une nouvelle richesse qui ne lui survivra pas non plus. L’histoire devient ainsi un éternel recommencement. Aucun acquis économique ou d’infrastructure n’aura à profiter aux générations suivantes. Qui peut montrer une route, une école, une université ou même une maison habitable laissée par un souverain africain à son successeur ? Le souverain se faisait enterrer avec ses serviteurs et ses richesses pour, disait-on, lui permettre de poursuivre sa vie de luxe et de lucre dans l’au-delà. Il reste, ironie du sort, que le souverain s’arrangeait toujours pour ne pas se faire enterrer avec ses reines ou ses enfants. Ce sont les autres, le Peuple de serviteurs, qui sont sacrifiés. Le souverain perpétuait sa lignée qui va continuer de régner sur son Peuple. La bonne preuve est qu’on retrouve des temples conçus et dédiés à telle reine ou tel successeur de tel souverain. La dynastie ne s’arrête jamais à la mort du souverain régnant. Le souverain africain vivait uniquement pour ses petits plaisirs. Pourtant, l’histoire enseigne combien avait été rude la vie des Peuples égyptiens pendant que les pharaons ne se privaient de rien.
Ils sont célèbres, les raouts des rois africains. Leur gloire et leur épopée sont chantées au gré des largesses et de la bombance. Au Sénégal par exemple, on nous conte toujours l’histoire emblématique de ce roi du Kajoor qui faisait la fête à longueur de journée entre la bonne «chair et la boisson» qu’on devine «alcoolisée». Il peut arriver de se vanter de ses origines «ceddos», qui sont synonymes de libertinage, de prodigalité, de goût du lucre et de la bombance. Qu’est-ce qu’il y a de progressiste dans une telle façon de vivre ? Toujours au Sénégal, on chante encore la gloire d’un souverain dont le mérite, ô combien grand, est d’avoir «creusé un puits où tout le monde s’abreuvait». Un signe ou un geste de générosité ou de mansuétude ? Comme si le Peuple n’avait pas droit à de l’eau ! Etait-ce suffisant pour faire la prospérité de son Peuple et valoir à ce souverain une gloire qui aura traversé des générations ?
De nombreux milieux intellectuels africains se sont extasiés d’un article publié, récemment, dans un média britannique, qui présentait le roi malien Kankan Moussa comme «l’homme le plus riche de tous les temps». Kankan Moussa avait été si riche que lors de son pèlerinage à la Mecque, il avait transporté des tonnes d’or sur plus de 1 200 chameaux et éléphants, portant chacun plus de 150 kilogrammes d’or. Kankan Moussa a fait le pèlerinage à la Mecque, accompagné d’une cour de plus de 60 mille sujets et quelque 12 mille esclaves. «C’était comme une ville qui traversait le désert.» Kankan Moussa a même fait dégringoler les cours de l’or sur tout son passage en Egypte, en Syrie et à la Mecque. Que reste-t-il de l’épopée de Kankan Moussa ? On ne lui connaît pas une autre réalisation laissée à la postérité que la seule mosquée de Djingareyber à Tombouctou, construite à partir de 1327. Oui, «l’homme le plus riche du monde et de tous les temps» n’a laissé ni école ni route, ni maison ni palais, mais une seule et grande mosquée. Cette richesse de Kankan Moussa a profité à d’autres Peuples.
Nous voulons croire à l’épopée que «le roi Mansa Moussa (roi des rois) est revenu de la Mecque avec plusieurs savants musulmans, dont des descendants directs du prophète Mohamed et un poète et architecte andalou du nom de Abu Es Haq es Saheli, qui est largement reconnu pour avoir conçu la célèbre mosquée Djingareyber. En plus d’encourager les arts et l’architecture, il a également financé la littérature et construit des écoles, des bibliothèques et des mosquées. Tombouctou était rapidement devenue un centre d’éducation et des gens venaient du monde entier pour étudier à la future Université Sankore. Le richissime roi est souvent crédité d’avoir commencé la tradition de l’éducation en Afrique de l’Ouest». Qu’on nous montre les vestiges de tout cela ! On ne trouve pratiquement à Tombouctou que des tombeaux de saints. Dans le cimetière de Tombouctou, la légende voudrait que seraient enterrés exactement 333 saints. Les exemples sont légion en Afrique et sont les plus parlants, les uns les autres.
Jamais un Peuple dans l’histoire de l’humanité n’a disposé d’autant de richesses ! Sous le règne de Mansa Moussa, l’empire du Mali représentait près de la moitié des réserves d’or de l’Ancien Monde, selon le British Museum. A l’époque, encore une fois, il n’était pas question de traite négrière, encore moins de colonisation qui expliquerait ou justifierait les retards actuels. Le roi Magha 1er avait succédé à Kankan Moussa. A sa mort, Mari Djata II arriva au pouvoir «avec ses lubies et ses débauches». L’écrivain Ibn Khaldùn, dans son Livre des exemples, explique que l’un des successeurs de Kankan Moussa, Mari Djata II, mort en 1373, n’avait pas bonne réputation. «Il ruina le royaume, dissipa les richesses, mettant l’empire du Mali au bord de l’effondrement. Il poussa tant ses gaspillages et ses dilapidations qu’il vendit la pépite d’or du Trésor royal hérité de son père.» Une peinture historique montre Kankan Moussa avec la fameuse boule d’or à la main, symbole de sa royauté.
En Afrique, quand on construit, c’est d’abord un lieu de culte. Rien n’est trop beau pour un lieu de culte. On peut être dans un trou perdu pour y dresser une basilique ou une mosquée, la plus somptueuse, alors que les fidèles appelés à s’y recueillir manquent de tout, de nourriture, d’eau courante, d’électricité, d’écoles, de lieux pour se soigner.
Qu’ils sont tristement célèbres nos rois ! Allons au royaume d’Abomey, actuel Bénin ! Depuis 1625, ils étaient douze rois sanguinaires à se succéder et qui avaient fini par ruiner leurs Peuples. Comme s’ils rivalisaient de cruauté. Ils pratiquaient la traite des esclaves, le culte du sang et se préoccupaient uniquement d‘entretenir leur cour avec faste et de faire la guerre. Ils disposaient de la vie et des biens de leurs sujets. Ils héritaient des morts. Ils dépouillaient leurs sujets pour mener leur train de vie.
Continuer de faire comme les ancêtres
Le schéma se perpétue de nos jours. Les richesses africaines profitent plus à d’autres Peuples qu’aux Peuples africains. Nos élites rivalisent du plus beau et plus vaste domaine ou autre propriété en Europe ou en Amérique ou dans les pays du Golfe arabo-persique. Toutes les richesses africaines sont externalisées par nos élites politiques, économiques et sociales. S’il faut investir, il faut le faire à l’étranger, loin des yeux et des oreilles de son Peuple. Les ressources du sol africain sont placées entre les mains d’étrangers et les revenus qui en sont tirés sont domiciliés à l’étranger. Ces ressources pourront permettre de financer les infrastructures, le développement et les circuits économiques des pays étrangers. L‘Afrique semble condamnée à vivre éternellement ainsi. Il arrive souvent qu’un chef d’Etat africain, après plusieurs décennies, ne laisse derrière lui la moindre maison bâtie sur le sol du Peuple dont il a guidé aux destinées. Par contre, ce dirigeant ne manquera pas de posséder des propriétés les plus somptueuses à l’étranger.
Dans nos chaumières, il faut consacrer nos revenus à faire la fête. Mais pour investir, il faut le faire chez les autres. Les élites africaines étalent leurs richesses dans des cérémonies familiales comme le mariage, la fête de la naissance d’un nouveau membre de la famille ou encore pour fêter la mort d’un proche. Les deuils sont l’occasion de dépenser toutes les économies de la famille, jusqu’à s’endetter même. Le défunt aura été dignement fêté pour le repos de son âme éternelle, même si la vie de ses proches survivants sera affectée, pour toujours, par des dettes ou la pauvreté. En Afrique, on ne vit que pour nos morts, c’est peut-être parce que «les morts ne sont pas morts».
Vraiment une triste réalité qui a été si parfaitement décrite