La pandémie du coronavirus, que personne n’a vue venir, a provoqué une crise d’une ampleur et d’une violence sans précédent dans l’histoire. Puisqu’«il n’y a aucune recette pour anéantir le choc» comme d’aucuns l’ont affirmé, il ne reste plus qu’à limiter les dégâts autant que c’est possible. Cette situation aura forcément un impact sur les relations du travail parce que les employeurs seront amenés à prendre des décisions plus ou moins douloureuses concernant aussi bien la rupture des contrats de travail que de leur maintien.
I- Rupture du contrat de travail
Lorsque l’employeur estime n’avoir plus d’autres solutions que la rupture du contrat de travail et, en l’absence d’accord pour un départ négocié, il devra invoquer soit un motif économique, soit la force majeure.
Rupture du contrat pour cause économique
Avant d’opérer à des licenciements pour cause économique, l’employeur devra se conformer à la procédure prévue par les articles L61 et L62 du Code du travail laquelle se déroule ainsi qu’il suit :
L’employeur se réunit avec les délégués du personnel aux fins de rechercher une solution alternative au licenciement. Ensuite, le compte rendu de cette réunion est communiqué sous huitaine à l’inspecteur régional du travail qui dispose de 15 jours pour exercer ses bons offices.
Passé le délai des 15 jours, l’employeur devra adresser aux délégués du personnel la liste des travailleurs proposés au licenciement et leur laisser une semaine au moins pour qu’ils aient le temps de vérifier la conformité de cette liste aux critères énoncés à l’alinéa 1e de l’article L62 du Code du travail.
Ensuite, après avoir convoqué de nouveau les délégués pour recueillir leurs avis et suggestions à consigner dans un compte rendu, l’employeur peut procéder au licenciement envisagé, à charge pour lui de transmettre sept jours au plus tard à l’inspecteur du travail le compte rendu précité ainsi que la liste des travailleurs licenciés.
Tout licenciement opéré pour cause économique ouvre droit au travailleur licencié, en plus de l’indemnité compensatrice de congé qui est due quelle que soit la cause de rupture, au paiement de l’indemnité compensatrice du préavis, de l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective et de l’indemnité spéciale de licenciement prévue par l’article L62 du Code du travail.
A notre avis, le système indemnitaire susvisé est applicable en cas de fermeture d’entreprise, quand bien même une décision de justice isolée a écarté un tel cas de figure du domaine de définition du motif économique du licenciement.
En effet, si le bon sens nous enseigne qu’on ne ferme pas une entreprise qui marche, on en conclut que cette décision de justice est très contestable.
Certainement le bon sens n’est pas pour rien dans la position de la Cour de Cassation française selon laquelle «la cessation d’activité de l’entreprise, quand elle n’est pas due à une faute de l’employeur ou de sa légèreté blâmable, constitue un motif économique de licenciement». La cessation d’activité se caractérise par le fait que l’employeur n’est pas obligé de suivre la procédure tracée à l’article L62 du Code du travail, mais seulement il doit déclarer la fermeture à l’inspection du travail après avoir licencié son personnel.
Rupture du contrat dictée par la force majeure
Lorsque l’employeur envisage la rupture des contrats de travail, il peut invoquer la force majeure qui s’entend de tout événement dont la survenance ne lui est pas imputable et qui se caractérise par le fait d’être imprévisible et insurmontable, l’empêchant de poursuivre son activité. Au regard de la jurisprudence, constituent souvent des cas de force majeure : les inondations, les cyclones, l’incendie, les tremblements de terre, etc. Si les catastrophes naturelles constituent souvent des cas de force majeure, alors on est porté à croire que la pandémie du coronavirus qui affecte gravement tous les secteurs et dans toute la planète devrait aussi être considérée comme tel. Mais ce serait aller un peu trop vite en besogne puisque les Tribunaux sont très rigoureux avant de conclure à l’existence d’un cas de force majeure. D‘ores et déjà, on peut affirmer que l’employeur ne peut pas invoquer la force majeure pour licencier un travailleur qu’il a embauché au moment où il avait déjà pris connaissance de la pandémie. Par contre, l’argument de la force majeure serait recevable à l’encontre de ce même travailleur dans l’hypothèse où il serait de nationalité étrangère et que les pouvoirs publics décident d’imposer aux entreprises la sénégalisation des emplois : ici, il s’agit du fait du prince (une variante de la force majeure) qui s’analyse comme tout acte de la puissance publique rendant impossible l’exécution du contrat de travail. Qu’en est-il alors de l’Etat d’urgence décrété dans le cadre de la lutte contre la pandémie ? De notre point de vue, pour gênantes que soient les mesures préconisées dans le cadre de l’Etat d’urgence, elles ne constituent pas actuellement un obstacle insurmontable à la poursuite de l’activité, même si elles peuvent provoquer une suspension temporaire.
En tout état de cause, pour que la force majeure soit reconnue comme telle, il faut que l’employeur soit mis dans l’impossibilité absolue et durable de poursuivre son activité.
Contrairement au licenciement pour cause économique, celui justifié par la force majeure exonère l’employeur du paiement des indemnités de rupture, à l’exception bien sûr de l’indemnité compensatrice de congé, laquelle, répétons-le, est due quelle que soit la cause de la rupture du contrat.
Signalons aussi qu’en fixant les conditions d’octroi de l’indemnité de licenciement calculée sur la base de l’ancienneté du travailleur, les conventions collectives n’ont exclu que le cas de faute lourde. A contrario, elle est par conséquent due au travailleur licencié pour cas de force majeure.
II- Maintien du contrat du travail
En lieu et place d’une rupture des contrats du travail, l’employeur peut opter pour leur maintien en procédant toutefois à quelques réaménagements : il s’agit soit de la modification du contrat de travail, soit de sa suspension.
Modification du contrat de travail
Conformément à l’art. L67 du Code du travail, pour des raisons tenant notamment à la situation économique ou à la réorganisation de l’entreprise, l’employeur peut proposer au travailleur une modification substantielle de son contrat en portant réduction de certains avantages.
Ne constitue pas une modification substantielle du contrat la modification des horaires de travail dès lors que ça n’entraîne pas une baisse de la rémunération.
D’ailleurs, il peut même arriver que la modification des horaires de travail se traduise par une baisse du salaire sans que cela puisse être considéré comme une modification substantielle du contrat de travail : c’est le cas lorsque l’employeur décide de ramener l’horaire de l’établissement à 40 heures par semaine, en supprimant les heures supplémentaires que le personnel avait l’habitude d’effectuer.
Lorsque la modification du contrat n’est pas substantielle, elle s’impose au travailleur qui ne peut la refuser sous peine de commettre une faute de nature à justifier son licenciement.
Par contre, toute réduction d’horaires en dessous des 40 heures normales, laquelle donc entraîne une baisse corrélative du salaire, est une modification substantielle du contrat de travail nécessitant l’accord du travailleur. Lorsque la modification substantielle du contrat est acceptée par le travailleur, elle ne peut intervenir, d’après l’art. L67 du Code du travail, qu’à l’issue d’une période équivalente à la période du préavis.
En cas de refus du travailleur, et quelle que soit la partie ayant pris l’initiative de la rupture du contrat, celle-ci sera imputable à l’employeur qui sera donc tenu de payer les indemnités de rupture.
Exemple de modification substantielle : travail à temps partiel
D’après l’art. L137 du Code du travail, les horaires de travail à temps partiel, à faire constater par écrit, peuvent être pratiqués après avis des délégués du personnel et information de l’inspecteur régional du travail. Le même article définit les horaires de travail à temps partiel comme des horaires inférieurs d’au moins 1/5e de la durée légale du travail ou de la durée fixée conventionnellement pour la branche ou l’établissement. Autrement dit, lorsqu’on se réfère à la durée légale des 40 heures, le nombre d’heures stipulé dans un contrat de travail à temps partiel ne saurait dépasser 32 heures par semaine. Sur le plan pratique, il faut bien chercher l’intérêt d’une telle définition puisque, de toute évidence, tant qu’on n’atteint pas la durée légale des 40 heures, on reste toujours dans le champ du partiel. Signalons que cette définition avait été consacrée par la loi française du 31 décembre 1992, laquelle a certainement influencé le législateur sénégalais de 1997. Mais elle a fini par être abandonnée en France avec l’adoption de la Loi du 19 janvier 2000, relative à la semaine des 35 heures. Cela dit, pour ce qui est du contrat de travail à temps partiel, l’arrêté ministériel n°11100 Mfpteop-Dtss du 3 décembre 2009, pris en application de l’article L137 du Code du travail, précise qu’il doit être établi en 4 exemplaires et déposé à l’inspection du travail du ressort avant tout début d’exécution.
Pendant l’exécution du contrat, l’article 9 de l’arrêté précité prévoit que la durée du travail à temps partiel peut être prolongée par des heures complémentaires correspondant aux heures comprises entre la durée stipulée au contrat de travail à temps partiel et la durée légale ou la durée équivalente. Notons au passage que le terme «Durée équivalente» est inapproprié.
En effet, toute heure complémentaire effectuée doit être payée, alors que la durée équivalente, telle que définie par le décret n°70-183 du 20 février 1970 relatif au régime général des dérogations à la durée légale du travail, ainsi que par les arrêtés fixant les modalités d’application de la semaine de 40 heures, inclut des heures non payées (celles effectuées au-delà des 40 heures). A titre d’exemple, dans la branche des industries hôtelières, le cuisinier et le plongeur, effectuant respectivement 45 et 50 heures par semaine, ne seront payés que pour 40 heures de travail effectif en vertu de la réglementation des équivalences. Donc en lieu et place de la durée équivalente, il ne peut s’agir que de la durée conventionnellement fixée. Par ailleurs, toujours dans le cadre du calcul des heures complémentaires, il faut tenir compte de la limite que le dernier alinéa de l’article 9 de l’arrêté du 3 décembre 2009 a fixée ainsi qu’il suit :
Les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accompli par un travailleur à temps partiel à la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement.
Pour une meilleure compréhension de ce qui précède, si on désigne la durée légale du travail par Dl, la durée conventionnellement fixée par Dc, et la durée du travail à temps partiel par Dp, alors le maximum d’heures complémentaires sera égal à :
(Dl-1heure)-Dp
C’est le cas lorsque la durée légale des 40 heures est inférieure à la durée conventionnellement fixée, par exemple chez les journalistes et techniciens de la communication sociale, dont la convention collective de 1990 a fixé, en son article 15, un horaire de 48 heures par semaine servant de base pour le calcul des salaires.
(Dc-1heure)-Dp
C’est le cas lorsque la durée légale du travail est supérieure à la durée conventionnellement fixée, par exemple l’enseignement privé qui prévoit des horaires de 18 heures, 22 heures, 30 heures et 36 heures.
Par ailleurs, il y a lieu de remarquer que dans l’agriculture, l’article L135 du Code du travail a fixé la durée du travail à 2 352 heures par an, ce qui correspond à 48 heures par semaine, comme le précise l’article 5 du décret 70-180 du 20 février 1970 fixant les conditions d’emploi du travailleur journalier et du travailleur saisonnier. Dans ce cas, le nombre maximal d’heures complémentaires serait de : (Dl-1heure)-Dp, ou bien 47h-Dp.
Enfin, il convient de noter que les heures complémentaires sont payées au taux normal, c’est-à-dire que la majoration due aux heures supplémentaires ne leur est pas applicable.
La suspension du contrat de travail :
Parmi les 12 cas de suspension du contrat de travail énumérés à l’article L70 du Code du travail, seule la période des congés payés pourrait intéresser en l’espèce. Ainsi, l’employeur peut décider de fermer l’entreprise en permettant à son personnel d’anticiper la jouissance du congé. Mais pour que cela soit possible, tout dépend de la durée de la situation dans laquelle la pandémie nous a installés.
Puisque tout porte à croire que la période des difficultés économiques va largement dépasser la durée légale des congés, les employeurs vont certainement opter pour le chômage technique qui est une suspension de fait du contrat de travail.
D’après l’article L65 du Code du travail, en cas de nécessité d’une interruption collective de travail résultant de causes conjoncturelles ou de causes accidentelles, l’employeur peut, après consultation des délégués du personnel et information de l’inspecteur du travail, décider de la mise en chômage technique de tout ou partie du personnel, que le contrat soit à durée déterminée ou indéterminée.
Rappelons que l’ancien Code du travail (loi 61-34 du 15 juin 1961) ignorait le chômage technique. Et puisque l’article 57 de ce Code avait énuméré de manière limitative les cas de suspension du contrat de travail, l’employeur était obligé de rechercher un accord avec son personnel dans l’organisation du chômage technique. Cependant, le nouveau Code du travail issu de la loi 97-17 du 1er décembre 1997 donne les coudées franches à l’employeur pour organiser le chômage technique comme il l’entend, c’est-à-dire sans être obligé de verser une quelconque indemnisation aux travailleurs. Et même si le dernier alinéa de l’article L65 prévoit qu’un accord d’entreprise peut préciser la durée du chômage technique et le cas échéant, la rémunération due au travailleur, ça ne change rien au problème parce que dans la majorité des cas, les travailleurs sont envoyés en chômage technique sans rien percevoir.
L’autre problème est relatif au contrat du travail à durée déterminée. En effet, si d’après l’article 48 du Code du travail l’employeur ne peut de manière unilatérale rompre le contrat à durée déterminée avant terme, l’objectif recherché est d’assurer aux travailleurs une situation stable pendant le temps que doit durer le contrat. Or les dispositions de l’article L65 vont à l’encontre de cet objectif. Il en résulte que le bloc de cohérence que le législateur était censé construire est sérieusement mis à mal.
À suivre
Youssouph Racine BARO
Consultant en Droit Social
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