L’article 3 de la loi n° 2016-23 dispose que le Conseil constitutionnel comprend sept (7) membres nommés par décret pour six (6) ans non renouvelables, dont un président et un vice-président.
Sept (7) Sages. C’est sur ce vocable que je voudrais m’appesantir pour montrer oh ! combien leur statut est honorable, digne de respect et de considération. Le rang de sage est magistral. J’espère qu’ils en ont hautement conscience et, conséquemment, ont pesé la lourde responsabilité qui pèse sur leurs épaules.
Qu’est-ce qu’un Sage ?
Le sage est celui qui est capable de bien conduire sa vie et par-là d’atteindre au vrai bonheur. Homme d’expérience, observateur des choses humaines, il est expert dans l’art de bien vivre.
En un sens limité, on appelle sage celui qui est habile dans un métier – ici le droit, la Magistrature – comme dans le cas de l’orfèvre et du menuisier qui confectionne l’Arche d’Alliance.
Mais revenons au sens le plus courant ! Expert dans l’art de bien vivre, le sage est apte à guider les autres – Nous qui sommes à votre écoute «nguir jamm am» – à faire fonction d’éducateur – Formateur des esprits et des cœurs – quelle noble mission !
Cette sagesse est d’abord d’ordre pratique, elle permet de faire face aux diverses situations de l’existence. Le sage, c’est encore celui qui a touché expérimentalement les extrêmes de la condition humaine.
Aussi ne donne-t-il pas seulement des conseils de mesure qui, en certains cas, peuvent sembler quelque peu terre à terre. Il a goûté à la vérité profonde des choses du temps et leur déception – degay mouj – ou les profondeurs du mal et de la souffrance et leur scandale, l’angoisse même devant la mort – déé du jass – et la tentation de la révolte.
Nous musulmans, nous ne pouvons répondre valablement de ce nom que si nous croyons en Dieu et en son Prophète Mohamed (Psl), mais aussi à tous les prophètes qui l’ont précédé, y compris bien sûr Jésus (Insa ibn Mayram). Ce qui m’autorise à me référer à Paul, l’apôtre.
Dieu de sauver les croyants…, car ce qui est «folie» de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est «faiblesse» de Dieu est plus fort que les hommes… «Folie et faiblesse» étant prises ici comme des perceptions de l’homme en tant que créature imparfaite.
Pour cette raison, Paul n’est pas venu annoncer le témoignage de Dieu «avec le prestige de la parole ou de la sagesse» ; il n’a voulu savoir que Jésus-Christ. Sa parole et ses discours n’étaient pas des discours persuasifs de la sagesse ; afin que la foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. – Yalla rek – Autrement dit le sage comparé à un sculpteur qui sculpte son propre statut. Le sage conquiert lui-même sa sagesse il se la donne, il se fait sage. Comme on le voit, la sagesse est l’artisan ou le sage tout court est l’artisan de son propre salut qui s’opère essentiellement par la voie de la connaissance. Dans la pensée moderne, Spinoza me semble avoir poussé ces thèmes à l’extrême. – Yééna yor xam-xam bi – Le Ve livre de l’éthique, qui porte le titre significatif.
De la puissance de l’entendement ou de la liberté de l’homme est clair à ce sujet : L’essence de notre âme consiste dans la connaissance seule. Donc, c’est parce que les sages du Conseil constitutionnel ont la connaissance qu’on les a mis là. Dès lors surgit une autre propriété de la sagesse – un autre titre de noblesse – c’est d’être désintéressé, d’être un savoir aimé pour lui-même. Elle n’appartient pas à l’ordre des moyens, mais à celui des fins – «Degue rek», elle constitue une activité terminale, qui s’accomplit dans l’immanence de l’esprit.
A partir de ce moment, on est sage ! On est juge ! Redoutable fonction. Pourquoi ? La fonction de juge est majestueuse et est une charge des plus graves. Le juge incarne la justice de Dieu et de son prophète (Psl) pour nous musulmans – lequel a mis en garde celui qui aspire à ce poste, en disant : «Les juges sont de trois sortes : un seul d’entre eux ira au paradis et les deux autres sont passibles de l’enfer. Celui qui va au paradis est le juge qui possède le savoir et institue la justice. Le deuxième et celui qui possède le savoir, mais il n’institue pas la justice. Le troisième rend ses jugements sans discernement et faute de savoir.» (Tirmidhi).
Mes chers sages, j’ai beaucoup de respect et de considération pour vous. Je ne me positionne nullement en donneur de leçons. Loin s’en faut, car je connais l’étendue de votre science et de votre érudition. J’ai simplement voulu partager avec vous, la gravité d’un concept, celui de Sage qui vous colle à la peau et qui, dès lors, doit déterminer votre démarche de la vie de tous les jours. Celle-ci, à mon sens, doit être synonyme de paix. Notre pays en a fort besoin avec ces perspectives sombres qui s’offrent à nous.
La paix. Oui la paix !
Le Président Mao a dit un jour : «Que le pouvoir politique était au bout du fusil.» Je suis foncièrement contre une telle conception du pouvoir malgré le respect immense que je voue à ce dirigeant hors pair. La violence peut atteindre des objectifs à court terme bien sûr, mais elle n’obtient rien de durable.
Quand nous considérons l’Histoire, nous voyons qu’avec le temps, l’amour de la paix, de la justice et de la liberté triomphe toujours de la cruauté et de l’oppression. C’est pourquoi je suis un si fervent adepte de la non-violence. La violence engendre la violence. Et la violence ne signifie qu’une chose : souffrir.
Théoriquement, on peut concevoir une situation où le seul moyen d’empêcher l’accomplissement de telle ou telle ambition politique soit de recourir à la violence. L’ennui, c’est qu’il est extrêmement difficile, sinon impossible, d’en prévoir les conséquences, et qu’on ne peut jamais être sûr d’y recourir avec raison. Les choses ne deviennent claires que rétrospectivement.
La seule certitude que nous ayons, c’est que là où il y a violence, il y a toujours aussi inévitablement souffrance. Nous devons l’épargner à notre Peuple.
Mes chers Sages du Conseil constitutionnel, retenez que l’injustice mine la vérité, et sans vérité, il ne peut y avoir de paix durable ! Pourquoi ? Parce que la vérité donne une confiance en soi qui ne peut exister sans elle. En revanche, quand la vérité est absente, la force est le seul moyen d’action. C’est à éviter à tout prix.
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement
Élémentaire à la retraite