La situation de la dette au Sénégal, avec un ratio de 119% par rapport au Pib, est plus que préoccupante. Maîtriser sa politique d’emprunt est une condition sine qua non pour pouvoir accéder aisément aux marchés de capitaux, financer son développement et surtout satisfaire les besoins des populations, notamment en matière de protection sociale et de services publics.
Aujourd’hui au Sénégal, nous sommes dans une période qui transcende les choix à faire, les postures à adopter. Nous voici dans une étape beaucoup plus grave et relevant d’une dépendance de trajectoire (path-dependency) : le moment fatidique, terrible et philosophique de la consolidation des choix.
Ce moment de la consolidation des choix s’accompagne d’une prise de responsabilité forcée. Une manifestation citoyenne aura lieu le samedi 23 août 2025, demandant notamment l’annulation de la dette odieuse. Une telle action est compréhensible et je conçois parfaitement cette colère, surtout venant des jeunes. Le principal leitmotiv de la manifestation, c’est de ne pas payer la dette. Ño lank, disent-ils. Les organisateurs déclarent également que la situation serait due à ce qu’on pourrait appeler un vol d’Etat, en référence à une «dette cachée» qui aurait été découverte au sortir de l’Administration de Macky Sall. Il faudra éclaircir cette surprenante affaire de «dette cachée» et éclairer les Sénégalais qui doivent savoir.
Cependant, quand on signe une note de dette, même si c’est un prédécesseur qui a tenu le stylo, on paie et on ne peut échapper, d’une manière ou d’une autre, à cette dette. Notre pays avance donc dangereusement vers un défaut souverain.

Les conséquences d’un défaut de paiement sur le bien-être national
Cette dette est un genou posé sur le cou de l’Etat et du Peuple sénégalais. L’Etat a bien sûr la possibilité d’entrer volontairement et avec gravité en défaut, c’est-à-dire déclarer qu’il n’est pas en mesure de payer. Ne pas rembourser sa dette [étrangère] a de sérieuses conséquences, surtout s’il s’agit d’un pays qui doit rattraper du retard sur son développement. Dégra­dation accentuée de la notation souveraine, repli des investisseurs et sorties urgentes d’investissement, rééchelonnements de la dette (le moins pire qui peut nous arriver), «tendre la main» pour effacer des crédits ou être «pardonné» de remboursements, politiques d’austérité forcées par les institutions de Bretton Woods dont le rôle aujourd’hui est bel et bien d’assurer la stabilité financière mondiale, et qui n’hésiteront pas une seule seconde à demander au pays de gentiment rentrer dans un carré.
Ne pas être en mesure de payer sa dette constitue une grave insolvabilité dont les premiers à subir les affres sont la population, les payeurs d’impôts et les couches les plus vulnérables de la société. Aucune police ne viendra mettre les menottes aux dirigeants, notre drapeau continuera de flotter au vent, mais les conséquences seront dramatiques et durables.

Prendre ses responsabilités pleines et entières dans la marche du monde
Il faut savoir que le Fmi ne débarque pas comme ça dans un pays. Le Fmi est un lender of last resort, c’est-à-dire qu’on y a recours, en matière d’emprunt, qu’en cas de difficultés budgétaires intenables et d’impossibilité à débloquer des fonds ailleurs (si personne d’autre, même pas la Banque mondiale, ne veut prêter). Les fonds du Fmi permettent ainsi aux Etats, en urgence et sous conditions, de continuer à fonctionner, payer les salaires des fonctionnaires, payer leurs dettes, assurer les services publics qu’ils doivent aux citoyens, la protection sociale, etc. Le séjour du Fmi, du 19 au 26 août à Dakar, comporte une certaine signification. Ils ne viennent pas pour serrer des mains, disserter sur les comptes publics et donner doctement des leçons, ou faire des conférences de presse dans des vérandas d’hôtels. Le Fmi n’est pas non plus un diable qu’il faut tout le temps pointer du doigt. C’est une organisation internationale avec des représentants de presque tous les pays du monde (selon un fonctionnement de quote-part). Des économistes sénégalais compétents et hautement techniques y travaillent tout en participant à l’œuvre économique et financière mondiale. Etre contre son existence et sa mission, c’est tout simplement être contre la participation collective, c’est en fait refuser de faire partie du monde.

Le Sénégal et les pays ouest-africains doivent plutôt sortir de cette monnaie coloniale et étouffante qu’est le F Cfa
L’endettement dans des monnaies étrangères puissantes rend la situation particulièrement grave, pour ne pas dire explosive. Seuls les pays qui empruntent dans leur propre monnaie (ou dans une monnaie égalitaire à la leur) ont le luxe d’avoir un taux d’endettement élevé. C’est le cas des Etats-Unis, du Japon, de la France, pour ne citer qu’eux, puisque ceux-ci pourront imprimer à gogo leurs propres billets et payer leurs créanciers (même si cela peut créer de l’inflation (maîtrisable) et tout ce qui s’ensuit). Avec nos F Cfa dont 1 unité correspond fixement et obligatoirement à 0, 001 524 49 euro, nous sommes tout de même dans une situation assez embarrassante. Ne jamais oublier la phase de consolidation des choix.
Vivement la sortie du F Cfa et l’impression locale de notre propre monnaie pour la récupération totale et définitive de la souveraineté monétaire.
Il faudra que les autorités nationales tirent toutes les leçons de cette débâcle, de cette tempête. Il ne faut pas non plus qu’elles se considèrent «étrangères» à cette situation, accusant uniquement l’ancien régime de tous les maux. Le simple fait d’avoir cherché le pouvoir et d’avoir été élu constitue une énorme prise de responsabilité sur la destinée totale du pays. Une fois cette zone de turbulences passée, il faudra se poser et jeter les bases d’une ère nouvelle. Mais avant tout, il urge de créer le comité pour un audit citoyen de la dette sénégalaise, réclamé à juste titre par des intellectuels sénégalais de tous horizons. Une telle initiative, que je soutiens pleinement, a pour objectif d’éclairer la lanterne du Peuple et de préparer le terrain pour une politique d’emprunt vertueuse.
Fatoumata Sissi NGOM
Analyste de politiques économiques
Ingénieure financière, écrivaine