Le Sénégal est tenu en haleine depuis les lendemains de son indépendance par une oligarchie qui l’asphyxie. Cette frange de notre société l’a conduit dans un gouffre abyssal. Présente dans toutes les instances décisionnelles, elle s’oppose à tout projet voué à la réussite du pays.

Témoins de l’arrivé du Général De Gaulle à Dakar en 1958, acteurs dans la crise institutionnelle de 1962, invités à la venue du Pape Jean-Paul II en 1992, les mêmes personnes faisaient partie du convoi qui accompagnait le natif de Ndiaganiao du Cap Manuel au Palais présidentiel en mars 2024.

Conscients de l’itinéraire sillonné par le Sénégal jusque-là, de ses moments d’instabilité, ses crises politiques, ses conjonctures économiques défavorables, ils ont parcouru les pages sombres de son histoire. C’est depuis fort longtemps que devrait avoir lieu notre divorce avec la pauvreté, le chômage, la politique politicienne. Nous étions si bien partis, comme le disait l’illustre fils de Khombole, feu Mamadou Dia, dans un documentaire titré La minute de l’histoire.

Au fil du temps, nous avons raté le train du développement, manqué le fameux rendez-vous que nous nous efforcions de rattraper après chaque lendemain de joutes électorales. Ceux qui devaient être les premiers à porter le combat de la «rupture» : celui d’un Sénégal nouveau, juste et prospère, ont semé les graines de notre échec. Ce sont les pionniers de notre sous-développement, les res­ponsables de notre retard, les auteurs de ce labyrinthe dont nous peinons toujours à sortir. Nous pouvons les retrouver au niveau de l’Admi­nistration centrale comme celle locale. Au niveau de leur lieu de travail, c’est là-bas qu’il existe au quotidien une pluralité de dossiers non traités, une pléthore de manœuvres frauduleuses, des festivités, des futilités, qui impactent leur diligence et amoindrissent l’efficacité de leurs prestations. Ce sont aussi les ennemis invisibles qui submergent la sphère médiatique avec des profils usurpés, en s’autoproclamant analystes politiques ou soi-disant chroniqueurs. Des experts en tout qui monopolisent la parole et s’aventurent dans n’importe quel sujet. Et, par voie de conséquence, leur présence pousse nos brillants intellectuels à se confiner davantage. Mieux, on peut les retrouver dans le landerneau politique, dans nos foyers religieux, dans le monde de la musique ou dans le milieu de la bureaucratie. Ceux qui doivent leur poste non à leurs compétences, mais à leurs positions politiques, ne sont pas exemptés. Les directeurs qui sont à l’origine des blocages et des lenteurs administratives, les ministres qui encouragent la gabegie, le népotisme au détriment de la discipline financière et de la méritocratie, les députés qui s’opposent aux projets porteurs de développement font partie de ce lot.

Compagnons de chaque gé­né­ration, membres de chaque alternance, amis de tous les hommes d’affaires, ils sont volontaires à toutes les assises nationales, aux «dialogues» récurrents, et participent à tous les forums décentralisés. Mais ce sont eux-mêmes qui empêchent l’effectivité des propositions faites et des réformes adoptées à l’issue de chaque rencontre. D’ailleurs, concernant ce dernier point, c’est un fait qui doit tous nous interpeller. Si le Sénégal est souvent flatté en raison de sa stabilité politique, sa démocratie inspirante, sa législation solide, on doit aussi s’interroger sur la raison pour laquelle nos textes connaissent toujours un défaut d’application. A chaque alternance, on a l’impression qu’on est dans un éternel recommencement. Si absence de nouveautés il y a, c’est parce que de véritables perturbateurs s’érigent à tous les niveaux et bloquent tout changement de paradigme. Pour ces derniers, tout ce qui a du sens à leurs yeux est loin d’être le développement du Sénégal, encore moins le changement de niveau de vie des Sénégalais. C’est plutôt assurer le mieux-être de leurs proches, l’amélioration de leur situation sociale, sanitaire et financière. Ce sont eux qui se servent au lieu de servir, partent à l’étranger pour leurs soins médicaux, financent les études de leurs enfants dans les meilleures écoles ou universités étrangères. Souvent, il n’est pas aisé de connaître leurs réelles ambitions qui sont d’habitude dissimulées. Auteurs de moult recommandations qui font partout écho, mais qui ne sont en réalité qu’un subterfuge pour faire preuve de patriotisme et continuer en toute discrétion leurs dérives. Si l’on n’y prend pas garde, notre développement ne serait que de nom et la rupture qu’une illusion, peu importe le régime en place. Ces esprits de mauvaise foi sont toujours présents et ne ménageront aucun effort pour pérenniser leurs pratiques malsaines. Le mal est profond.

Est-il invisible ou faisons-nous semblant de l’ignorer ? Faut-il le rappeler, il sera excessivement redoutable de s’en départir parce qu’ils sont des «habitants du pouvoir». Par ailleurs, notre problème est foncièrement endogène. L’hégémonie de l’Europe n’exonère pas l’Afrique ; le corolaire de l’indépendance, c’est la responsabilité, comme le disait Fatou Diome dans Les veilleurs de Sangomar. C’est ce même citoyen qui clame la cherté de la vie, qui dégrade son environnement, gaspille de l’eau, de l’électricité, détruit les infrastructures et pollue les rues. Aujourd’hui, nos valeurs d’hier s’effacent, nos repères disparaissent pour laisser place à l’indiscipline, l’incivisme et la médiocrité. Les fossoyeurs de notre développement ne constituent pas uniquement ce conglomérat précité, mais aussi les jeunes, les vieillards, les hommes et les femmes. En réalité, c’est nous qui refusons le développement, pour parler comme Axelle Kabou. Faisons une introspection, nous nous rendrons compte que les facteurs qui nous enferment dans le carcan du sous-développement sont internes. Là où doit débuter la «rupture», c’est d’abord dans les comportements, les esprits, les mentalités, avant de faire recours aux urnes que l’on pense, à tort, être la première issue. La société peut être le baromètre de notre situation. Elle est révélatrice de nos acquis et nos failles. Les transitions démocratiques sont bonnes, mais les actions constructives de la part de chaque citoyen sont mieux. A défaut, on sera toujours dans une impasse au lieu de léguer un meilleur pays à la postérité. Toutefois, il est de notre devoir de transmettre nos principes, nos cultures, nos valeurs à cette grande Nation bâtie sous les cendres de la paix, de l’harmonie, du dialogue et de la fraternité. La seule richesse qui nous appartient tous et que nous partageons avec tout le monde, est le Sénégal. Il transcende les clivages politiques, les intérêts égoïstes, nos divergences culturelles et religieuses.

Medoune SALL
Etudiant en Master 1 Droit public, Ugb