J’apprends en ce vendredi 26 janvier, loin du Sénégal, par le frère Massamba Guèye, la mort de Abasse Ndione ! Quel écrivain ! Quel talent !
Sa disparition à Bargny qu’il chérissait tant et qu’il a tant chantée, m’a bouleversé et mis dans une colère tenace ! Qui, parmi les jeunes écoliers, lycéens, étudiants, professeurs même, connaissent l’un des romanciers sénégalais les plus audacieux, les plus novateurs, l’auteur, entre autres, de La vie en spirale, celui qui a donné à notre pays les premières œuvres à thématique osée aux côtés de Ken Bugul ? En effet, La vie en spirale «parle, comme cela est écrit dans la page wikipedia.org de l’auteur, de la consommation et du trafic de yamba, nom local du cannabis, aussi bien par les jeunes sans emploi, par les officiers de police ou par les Blancs présents au Sénégal». Et quelle plume ! Quel entrain !
Son autre œuvre, Mbëke mi, «parle de l’émigration des jeunes sénégalais en pirogue pour rejoindre les Canaries puis l’Europe». Il y a bien longtemps que Abasse Ndione avait sonné l’alerte, lui qui n’a jamais quitté Rufisque et Bargny, ses refuges de toujours et pour toujours !
Ma colère est celle-ci : mais où sont donc les œuvres de nos meilleurs écrivains contemporains dans nos écoles et cycles scolaires ? Que fait donc le ministère de l’Education nationale ? Elles sont là, les œuvres majeures qui devraient longtemps figurer dans nos manuels et cycles scolaires auprès de Cheikh Hamidou Kane pour qui nous prions de vivre encore et encore très longtemps, feu Birago Diop, Ousmane Sembène, feue Mariama Ba, Aminata Sow Fall et qu’elle vive longtemps encore.
C’est d’abord l’école, la référence. Pour ma part, j’ai lu et connu à l’école, avant de les rencontrer, de les côtoyer, de vivre un peu ou beaucoup avec eux : Senghor, Sembène Ousmane, Birago Diop, Bernard Dadié, Mongo Béti, Tati Loutard, Tchicaya U’Tamsi, Ahmadou Kourouma, Henri Lopez, Wole Soyinka, Amadou Hampaté Ba que Aminata Sow Fall avait fait venir au siège de l’Association des écrivains du Sénégal alors qu’elle en était la présidente, Ayi Kwei Armah, Djibril Tamsir Niane.
Dieu Seul est capable de fabriquer et d’organiser de telles rencontres entre des générations. Ce fut mon cas avec mes compagnons inoubliables d’alors : feu Mamadou Traoré Diop, Alioune Badara Bèye, feu Ibrahima Sall, Nabil Haïdar, feu Amadou Guèye Ngom le surdoué, Ken Bugul, si libérée, talentueuse et affectueuse, feue Mariama Ba, si attachante et qui m’aimait tant, Aminata Sow Fall la force de l’éthique, Annette Mbaye d’Erneville l’inspirante fouettarde, feu Abdou Anta Ka le génial insurgé, feue Aminata Maïga Ka, Cheikh Aliou Ndao le maître exigeant, feu Mbissane Ngom dont les œuvres sont à revisiter, feue Fatou Sow Ndiaye ma seconde maman, feue Mame Seck Mbacké, Nafissatou Dia Diouf, Sokhna Benga, dense en créativité, Ramatoulaye Seck Samb, Louis Camara, Mariama Ndoye, Seydi Sow encore très jeune, feu Hamidou Dia, l’affectueux Amadou Moustapha Wade, frère aîné du Président de son nom, Alioune Badara Coulibaly, feue Nafissatou Niang Diallo trop tôt disparue, Fama Diagne Sène, et tant d’autres si chers au cœur du très jeune poète que j’étais dans les années 70.
Abasse Ndione, qui vient de nous quitter, était un homme particulier, un Sénégalais invincible pétri de morale et d’éthique, courageux, convaincant, affable, tendre et si affectueux si vous aviez la chance d’être dans son cœur. Il était infirmier. Nous avons vécu avec lui des moments inoubliables. Il était beau. Il avait un éclat de rire contagieux. Il était généreux, droit, attentif, inflexible. Avec sa barbe blanche, il était devenu l’incarnation du sage africain. Le vrai, pas comme tous ces faux barbus au chapelet de cannabis, comme il aurait lui-même dit et écrit.
Lisons-le un peu : «A une époque qui se perd dans la nuit des temps, où l’homme et la bête se parlaient, un chasseur trouva un jour un lion blessé à la patte sous un tamarinier. Il ne le tua pas, mais le soigna, chassa et lui apporta à manger. Les jours passèrent, le lion guérit : « Tu m’as sauvé la vie, fit-il. En signe de reconnaissance, je vais t’indiquer l’herbe qui sert de tabac aux génies. Si tu es intelligent, elle te rendra plus intelligent encore ; si tu es courageux, elle te rendra plus courageux encore ; si tu es fort, elle te rendra plus fort encore… (Abasse Ndione, 1984).»
Ramata, une des œuvres romancières de Abasse Ndione, sera portée au cinéma. Un long métrage réalisé par Léandre-Alain Baker, en 2007, tourné à Dakar, principalement à l’île de Gorée.
Repose en paix mon cher, si cher frère, mon ami et pour toujours
Nous nous battrons, le peu de temps qui nous reste sur ce sol tant aimé, pour que nos enfants et arrières petits-enfants te lisent, te découvrent, t’aiment. Oui, une fois encore, l’école est le premier refuge d’un écrivain. Puisse le premier, le Président Macky Sall, demander à son ministre de l’Education nationale de veiller à renouveler et à inscrire les meilleurs écrivains sénégalais dans le répertoire des manuels scolaires, sans oublier les autres auteurs africains qui rayonnent par la puissance et la beauté de leurs œuvres. Il faut que la jeunesse sénégalaise, qui aura 20 ans en 2044, découvre, connaisse, lise les meilleurs des écrivains sénégalais, africains et du monde. Sans la lecture, la culture au sens large, la formation, nous hériterons d’une jeunesse muette de l’esprit, fragile par la pensée, une jeunesse boiteuse mais toujours debout, car ce pays est le leur !
Abasse, tu as fait ton job !
Moustapha Tambadou, l’ami d’hier et d’aujourd’hui, m’écrit qu’il est présent à ton enterrement ce vendredi 26 janvier. Il est 16h ! Moi aussi, même si je suis si loin !
Nous rigolions ensemble quand je te disais que tu ne mettais jamais deux «r» à «fourrure», puisque tu n’en portais et n’en porterais jamais, mais que tu n’avais jamais, jamais froid ! Tu étais magnifique, Abasse !
Amadou Lamine SALL Poète