Le pays s’achemine vers les premières élections législatives dont l’issue paraît incertaine et semble dire quelque chose de positif sur la vitalité démocratique du Sénégal dans son contexte sous-régional. Que nenni ! De toutes les coalitions qui font face au régime corrompu et quasi-despotique en place, celle à laquelle tu appartiens, par son caractère composite, me soumet de fait à une pelletée d’interrogations. Et comme elles sont toutes d’ordre politique, je me permets de les mettre sur la place, par goût du débat. Te concernant, si je ne doute pas une seconde, que ta trajectoire politique d’homme de gauche puisse te prémunir de toute velléité nationaliste réactionnaire -à rebours de l’appellation de ton mouvement Frapp/France dégage-, qu’en est-il des courants populistes qui ont, de fait, apporté leur soutien à ton camp, ou l’ont rejoint.
Ousmane Sonko, tête de liste empêchée par les moyens antidémocratiques et manipulatoires dont le régime de Sall est coutumier, vient d’annoncer, à l’occasion d’un meeting à Koupentoum, un paquet de quatre lois que votre coalition, en cas de victoire, souhaite faire adopter. En attendant d’en connaître davantage pour certaines, je peux d’ores et déjà dire qu’il y en a au moins une qui, rapportée aux principes ouverts et tolérants de la démocratie républicaine, marquera un recul.
Si ton mandat, que je souhaite ardemment, contribue à enlever des droits à un seul Sénégalais ou à un quelconque groupe minoritaire, il consacrera une capillarité idéologique définitive avec les forces rétrogrades, chariamen à peine déguisés, qui prolifèrent à longueur de médias, travaillent la société depuis plus de trente ans, engrangent tout doucement des victoires symboliques qui se transformeront en vraies victoires. C’est ce qui paraît inscrit dans un paysage gros de dangers. Qu’en est-il de ces forces ? Qu’en est-il des hommes de progrès ?
Ceux qui animent le premier courant portent explicitement, sous des dehors religieux étriqués, un message de rétrécissement des espaces de liberté. Ils commencent par les féministes, les francs-maçons, les homosexuels et autres boucs émissaires diaboliques de leur imagination. Ensuite ils traqueront toutes formes d’expressions hétérodoxes. L’alliance tactique de la gauche à laquelle tu appartiens avec ces courants dans Yewwi, si elle gagne, est annonciatrice de leur première victoire politique.
Faut-il te rappeler les purges criminelles subies par ceux de la gauche iranienne. La révolution théocratique de 1979 à laquelle ils ont apporté leur seing les a dévorés en premier. Les survivants ruminent encore amèrement le coût de leur lâche alliance tactique passée. Atomisés, les hommes et femmes de progrès de cette vieille et belle civilisation, errent de par le monde ou dans quelques expressions artistiques marginales, pris en tenaille entre un bloc occidental qui ne veut pas du bien à leur pays et un régime despotique. Bien sûr, cher Guy, que le Sénégal n’est pas l’Iran, mais c’est l’étude méthodique sans concession des expériences politiques présentes ou passées, sous toutes les latitudes, qui affûtera la contribution politique des hommes de progrès au nécessaire bond en avant de leurs sociétés.
Si les lois nouvelles, au lieu d’affronter les questions d’inégalités, de corruption, de réarmement républicain, de construction panafricaine, s’exemptent de toute portée générale pour prendre la pente de la morale, elles consacreront l’avènement d’une gauche entriste -ce qui n’est pas nouveau- et moralisatrice. Celle-ci aura, à force de tactique et à ses dépens, servi des courants conservateurs dont le rôle historique a consisté à empêcher toutes formes d’émancipation des masses populaires. J’ai bien peur, cher ami, que Anne ait raison en pointant le fascisme rampant sénégalais dans un article du 1er juin dernier. De tous ces sujets, j’espère avoir l’occasion de discuter avec toi prochainement. Bonne fin de campagne.
Alassane DIAGNE
Dalassane70@yahoo.fr
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