Il est minuit mes enfants…
La terre s’assoupit doucement. Les bruits s’estompent progressivement et les sonorités évanescentes s’évanouissent dans la profondeur des ténèbres. Alors dans mon esprit qui vagabonde en ces moments-là, s’imprime fortement le souvenir de votre présence. Je me souviendrai toujours. Je n’oublierai jamais les circonstances qui ont conduit au drame qui a coûté à la Nation plus d’un millier de morts. Et il est toujours utile de rappeler qu’à ce jour, c’est la plus grande catastrophe maritime au monde.
Depuis des décennies, je ne comprends toujours pas nos hommes politiques. Peut-être sont-ils plus politiciens que politiques ? Ou peut-être ont-ils une autre vision de la politique très éloignée des préoccupations des braves populations ? Des vagues de politiciens se sont illustrés de manière dégradante, faisant fi et de façon délibérée des préoccupations légitimes des populations.
Les élections présidentielles ont toutes révélé, chez certains, et ils sont nombreux, des postures bassement scandaleuses. Pour eux, seule la fin justifie les moyens. Cette fébrilité, outrageuse et non contrôlée, en plus de donner de nos hommes politiques une image négative, abaisse le débat politique à un niveau jamais connu au Sénégal. La pratique de la «politique politicienne» est devenue le terreau fertile des profiteurs en tous genres.
Mes enfants, vous êtes parties parce que nos institutions, taillées sur mesure, n’ont pas su vous garantir plus de sécurité. Vous êtes scandaleusement placées, vous et les milliers d’autres personnes, dans une rubrique «pertes et profits». C’est proprement honteux dans une République de droit qui se respecte. Le manque de sécurité est toujours actuel et nous nous y confrontons tous les jours. Les spécialistes en législation soutiennent que nous avons une très bonne Constitution. Et pourtant, sa cadence de révision est époustouflante. Non pas compte tenu de l’évolution de la société, avec ses cas non prévus dans les rapports entre ses membres ou même dans les rapports entre cette société-là et l’extérieur, mais essentiellement parce que chaque Président qui s’installe cherche à pérenniser son pouvoir par ce moyen. C’est connu, un Président élu consacre tout son temps à préparer les conditions lui permettant de remporter la prochaine élection présidentielle. A ce rythme, les dossiers de l’Etat et ceux politiques risquent de s’emmêler, au point que les premiers n’auront pas la réflexion urgente et profonde que nécessite leur traitement. L’on constate aussi, pour le déplorer, que chaque parti politique qui s’installe reconduit les mêmes errements, pourtant fortement combattus et décriés alors que ceux du parti précédent. Quand prendra-t-il donc fin ce regrettable jeu de dupes ? Je vois trois axes de réflexion qui peuvent conduire à ces tristes égarements : la cupidité et le désir de pérenniser le pouvoir, l’influence néfaste de l’Europe sur la gestion du pays, et l’incompétence des acteurs politiques.
Mes enfants, je vous disais aussi par ailleurs que «les institutions léguées par le colon, si efficaces qu’elles soient au demeurant, leur pertinence n’est pas toujours évidente au regard de notre environnement social et culturel. Il nous faut des institutions fortes, adaptées à notre milieu, solides, acceptées et respectées par tous. Des institutions qui reflètent notre culture, donc faites pour servir le Peuple. Et qu’aucun parti au pouvoir ne puisse modifier à sa guise au profit d’une minorité. Du reste, de la force de ces institutions dépendra aussi, en grande partie, celle de nos dirigeants». L’application tatillonne et ciblée de nos lois et règlements actuels les rend si versatiles que l’on se pose souvent la question de leur pertinence. Et pourtant, que de milliards dérobés ou engloutis dans des dépenses de prestige ou simplement dans les grands travaux, surfacturés le plus souvent ! Ces sommes énormes auraient pu nous épargner bien des déboires dans beaucoup de domaines, notamment au plan de la sécurité en faisant de celle-ci l’affaire de tout le Peuple.
Comme je l’ai soutenu dans un autre article, «l’aspect sécuritaire du commun vouloir de vie commune», le maillon le plus important de la prévention pour tous ne nous préoccupe pas de manière responsable. Pourtant, avec le Mémorial qui peine à sortir de terre et la Place du Souvenir inutilement encombrée, toutes les conditions auraient pu être réunies pour faire de cette date du 26 septembre un grand moment d’hommages à nos disparus et plaider pour un système de sécurité qui réprime fortement le désordre (un Pacte social consensuel pour la sécurité). C’est un défi à relever avec la participation de toute la population. Le Prophète Mohammad (Psl) a dit : «Dieu ne change l’état d’un peuple que si ce peuple change ce qu’il a en lui-même.» Alors la «fatalité» que nous évoquons à tout moment et dans les circonstances pénibles n’est donc pas d’essence divine. L’espèce humaine est sacrée et nous avons l’obligation de l’honorer et de la sauvegarder. Dès lors, avons-nous le droit de fermer, sans suite et à jamais, une page aussi douloureuse de l’histoire de notre pays ? Oui, le Sénégal est un beau pays de douceurs qu’il faut renouer avec ses vertus. Que nulle situation de profits ne nous oblige à transgresser les règles élémentaires de sécurité. Aussi, nous invitons l’Etat, les guides religieux et toutes les personnes qui ont une parcelle d’autorité, à œuvrer pour une émergence d’un nouveau type de Sénégalais.
Mes enfants, malgré le développement des médias qui aurait dû quelque peu tempérer les ardeurs destructives de nos politiciens, la mal-gouvernance, le népotisme, la corruption sont toujours en œuvre et le Peuple, qui attend la satisfaction des promesses faites, assiste plutôt à l’affaissement de l’éthique et du sens moral. Comment donc se retrouver quand les repères semblent perdus ? Le Sénégal a raté le grand tournant de son évolution depuis l’ère du socialisme démocratique africain de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia. Avec Mamadou Dia, Senghor s’était donné la liberté de revenir de temps en temps à ses premiers amours, l’écriture et la poésie. Il laissa ainsi la présidence du Conseil à Mamadou Dia, donc, le soin d’exécuter les orientations économiques du pays. Pendant qu’il sillonnait le monde pour la défense et l’illustration du monde noir, Mamadou Dia lavait, écurait, bref, s’échinait aux travaux «domestiques» pour rendre le Sénégal vivable, attrayant et doté d’une bonne moralité de vie. Mais ce duo sera vécu cependant avec beaucoup de difficultés. L’étau colonial était pressant et permanent. Le Sénégal en avait souffert dans ses principales orientations politiques, économiques, sociales et culturelles. Depuis, les populations ne se retrouvent plus dans aucun schéma de développement structuré et viable, car cet étau colonial est toujours là, permanent, pernicieux, revêtu d’autres attraits et d’une puissance redoutable.
Nos dirigeants successifs, malgré toute leur volonté déployée en offre politique, en des termes engagés et rassurants, en dehors du Président Wade qui avait donné quelques espoirs malgré son âge avancé, ne nous ont, au final, servi que de tristes spectacles d’accaparement des ressources du pays et que les journaux relaient chaque jour. Je souffre pour mon pays. Je souffre pour tous ceux de ma génération, des années 1940 à 1950, séniles, mais pleins d’expériences vécues et qui, au lieu de se disputer l’arène politique avec des jeunes, auraient plutôt gagné à les encadrer correctement dans le sens des intérêts du pays. Cependant, je garde toujours l’espoir en sa brave et laborieuse jeunesse.
A cette jeunesse-là, je dis ceci : «L’Afrique ne doit plus être la curiosité de l’Occident. Elle est capable de s’intégrer dans le concert des grandes Nations du monde, à sa manière, à travers ses valeurs. Elle en a les moyens politiques, culturels et économiques. Mais la volonté politique lui fait actuellement cruellement défaut. Elle peine encore à se relever de son long et lourd passé colonial et elle doit, pour survivre et s’imposer au monde, opérer une rupture d’avec les schémas dépassés et entretenus par l’Occident. Notre patrimoine, imparfaitement connu, a besoin d’être, de ce point de vue, maîtrisé et valorisé afin que le regard de l’autre en notre endroit ne soit plus chargé d’exceptions. Je n’ignore point, aussi, l’énorme capacité de perception, d’analyse et d’assimilation de cette jeunesse qui nous observe, et pour laquelle nous continuons à penser que le travail abattu aujourd’hui préfigure l’héritage d’espérance de demain.»
Prions tous pour notre pays ! Il est minuit, je suis fatigué de tous ces bavardages inutiles, car je ne m’intéresse plus aux dires des hommes, mais à leurs actes.
El Hadj Ibrahima NDAW
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