Monsieur le Président, par cette présente, je viens, pour une deuxième fois, vous entretenir des problèmes urgents auxquels le pays est confronté de nos jours, sans revenir sur le détail des faits, mais juste pour rappeler les quelques suggestions que j’avais faites dans la première note pour y remédier, afin d’éviter à notre pays la «malédiction du pouvoir». Mais avant tout, je voudrais vous adresser mes vives félicitations, pour avoir pris la noble décision de ne pas être candidat à la prochaine élection présidentielle du 25 février 2024. Par cette décision qui a participé à la décrispation du climat sociopolitique caniculaire de ces derniers temps, vous avez su placer l’intérêt de la Patrie très au dessus de celui de votre parti et de votre propre personne.
Votre décision de ne pas vous présenter à une troisième candidature, prise en toute liberté, sans demander l’avis de qui que ce soit, est la preuve de votre grand amour pour la Patrie, et dévoile la face cachée de votre dimension de véritable homme d’Etat. Elle montre, à suffisance, que vous avez brisé maintenant toutes les chaînes de contraintes qui vous liaient à la nécessité de promouvoir des partisans ou de se plier à la pression d’un certain lobby pour obtenir un autre mandat présidentiel. Alors vous êtes totalement libre de faire tout ce qui rentre dans l’intérêt exclusif de la Nation sénégalaise et tout le bonheur de ses habitants.
Je précise que cette lettre, Monsieur le Président, est la seconde, mais sûrement la dernière que je vous aurais écrite en tant que chef d’Etat. C’est pourquoi j’y accorde un intérêt particulier, d’autant qu’elle faisait suite, comme indiqué ci-dessus, à une première lettre que je vous avais adressée au lendemain de votre réélection en 2019, et dont elle vient rappeler ici les aspects essentiels, portant notamment sur l’évaluation de votre premier magistère, qui a été marqué, certes, par de grandes réalisations et par des mesures «curatives» hautement pragmatiques, mais aussi, il faut oser le dire, par de nombreuses insuffisances qui ont valu au régime Bby des critiques encore vivaces. Et, justement, c’est par rapport à ces problèmes cruciaux que je vous avais fait des suggestions que je trouvais absolument vitales pour stabiliser le pays et provoquer le progrès économique et social.
La première lettre, cher Président, je sais que vous l’aviez lue, mais je reste convaincu qu’il vous avait été très difficile d’appliquer ses recommandations à cause de vos préoccupations politiques partisanes. Maintenant que vous n’êtes pas candidat, je trouve que vous êtes dans les dispositions de pouvoir les prendre en considération et les appliquer afin de «révolutionner» le pays dans tous les domaines et le mettre à l’abri de l’ouragan dévastateur que sont les «révoltes populaires» contre les élites au pouvoir qui se «trament» dans les Etats africains et la vague de coups d’Etat militaires qui sévit actuellement dans la sous-région. Le Sénégal est le dernier rempart de protection contre la vague déferlante de ces scénarios «révolutionnaires populaires» contre l’ordre constitutionnel établi.
Monsieur le Président, en 2012, les Sénégalais vous avaient donné leurs suffrages sur la base de vos promesses de restaurer l’Etat de Droit en combattant l’injustice sous toutes ses formes, en mettant fin à l’impunité, en asseyant une gestion sobre et vertueuse et en rationalisant la vie politique par des réformes structurantes aux plans politique et institutionnel. Le Peuple a estimé que rien de tout ce qui a été promis et déclamé sur tous les toits, n’a été respecté. Vous avez opté pour la continuité en perpétuant le «système» particulièrement pernicieux d’une gouvernance orientée vers la «politisation» outrancière de la société et la politique «politicienne», avec son corollaire de clientélisme, de combines, de gaspillage des ressources de l’Etat dans le folklore des manifestations «politiciennes», qui bloquent le pays et maintiennent la population dans la misère et le désespoir.
Monsieur le Président, pour moi, le Sénégal n’a pas de problème économique, et la société ne souffre d’aucun problème lié aux clivages socio-ethniques ou religieux susceptibles de générer un conflit majeur de la dimension d’une guerre civile qu’on voit dans d’autres pays. Le problème du Sénégal, comme évoqué ci-dessus, est essentiellement «systémique», lié à notre façon de faire de la politique et notre système électoral, au fonctionnement des partis politiques et à la mafia des élites politiques. L’hyperpolitisation du pays et l’utilisation de la politique comme moyen de promotion sociale et d’enrichissement personnel, constituent la source transversale de tous les maux du pays et l’explication maîtresse des difficultés que rencontre l’Etat du Sénégal à atteindre ses objectifs et obtenir la satisfaction des populations, malgré les investissements dans le social et la réalisation d’infrastructures de développement de toutes sortes.
Il ne vous reste plus que six mois à la tête de l’Etat du Sénégal. Je vous suggère de consacrer ce temps à l’application de mesures fortes à caractère «réformiste» visant, d’abord, à «dépolitiser» complètement la société sénégalaise en faisant de sorte que l’activité politique cesse d’être la voie privilégiée qui mène au salut et, ensuite, d’essayer d’adapter nos institutions déphasées, extraverties et surannées à nos réalités pour qu’elles puissent répondre aux aspirations du Peuple sénégalais. Le premier acte à poser, dans cette direction, est de démissionner de l’Apr pour être à l’aise de prendre des décisions qui, inéluctablement, iront à l’encontre des partis politiques dont tout le monde sait que les intérêts sont en porte-à-faux avec les préoccupations des populations. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte où le Peuple a pris conscience de l’urgente nécessité de se libérer de ce système («politicien») aussi pernicieux que la dictature stalinienne. Votre action doit aller dans le sens de susciter de l’espoir chez les jeunes. En quoi faisant ? En mettant fin à la «dictature politicienne» par la démolition de l’«Etat-politicien» qui, par ricochet, fera disparaitre cette classe politique hypocrite, incompétente, prédatrice et injuste, ayant pris tout le pays en otage.
Le Peuple vous a expliqué la manière dont il voudrait que le pays soit dorénavant gouverné et défini le profil que doit avoir un homme politique appelé à le diriger. Le profil du nouveau type d’homme politique doit obéir à une sorte de «cursus honorum» de l’individu, indépendamment de son niveau d’études. En effet, il est préférable de confier des responsabilités politiques à un ouvrier consciencieux, honnête et travailleur qu’à un haut cadre ou universitaire malhonnête, insoucieux et corrompu, qui agit en contre-sens des intérêts du Peuple. Vous savez que le temps vous est compté, c’est pourquoi il faudra agir très vite. Convoquez illico presto les «Etats généraux de la gouvernance au Sénégal», qui doivent réunir, non les soi-disant «Forces vives de la Nation», que de politiciens encagoulés, mais ce que j’appelle le «substratum» de la société sénégalaise.
Il s’agit des chefs religieux et coutumiers, d’anciens hauts fonctionnaires, les hauts responsables (apolitiques) de l’Administration, les Forces de défense et de sécurité (Fds), les syndicats, les représentants des différents corps de métiers du secteur informel, les intellectuels, les élèves, les étudiants, les Ong et des observateurs étrangers. Les partis politiques seront d’office exclus de ces concertations, car étant la source profonde de tous les problèmes du pays. Tout sera décidé par le Peuple. Le Peuple, ainsi représenté en miniature, va se réunir en conclave pendant des semaines, voire des mois au cours desquels sera fait un diagnostic profond et sans complaisance des problèmes politiques et institutionnels du pays, afin de dégager des voies de solutions appropriées, en réponse aux doléances répertoriées et discutées en matière d’organisation de l’Etat, de structure gouvernementale, de gestion des affaires de l’Etat, du statut des partis politiques, de la configuration des parlements, de la Justice, de l’économie, de l’éducation-formation, etc. Il serait dangereux, voire suicidaire d’aller à 2024 dans les conditions actuelles.
Dans la foulée, pour rationaliser davantage la vie politique au Sénégal, il sera envisagé un retour au «multipartisme limité» à deux, trois ou quatre grandes formations politiques, en procédant à la fusion de la foultitude des partis politiques que compte le pays, regroupés en fonction de leurs affinités idéologiques ou alors selon leurs similitudes programmatiques. Le but recherché dans ce vaste mouvement fédératif partisan serait, à mon avis, de parvenir à la mise en place de grands partis politiques à caractères intellectuel, technique et scientifique, aseptisés de tout folklore, de la politique «politicienne», et dont les activités seront orientées non pas uniquement vers la conquête du pouvoir, mais vers la formation citoyenne, le militantisme de responsabilité et vers la réflexion aux grands défis à relever pour prévenir des malheurs à la société et raccourcir au pays le chemin du développement.
Prenez votre courage à deux mains et convoquez le Peuple à ces «Etats généraux» qui me paraissent vitaux pour l’avenir de notre cher Sénégal, au sortir desquels vous effectuerez un vaste remaniement ministériel pour la formation d’un «Gouvernement populaire de transition» (Gpt) à caractère «techno-politique», débarrassé des transhumants et des politiciens «carriéristes». Par la suite, vous procéderez à la réactivation de tous les dossiers de Justice impliquant ces politiciens accusés de détournements de deniers publics ou épinglés par les différents rapports (Cour des comptes, Ige, etc.). Je vous assure, Monsieur le Président, qu’en agissant ainsi, vous aurez débuté une véritable «révolution» politique et sociale au Sénégal qui fera tache d’huile et inspirera les autres Etats.
A partir de ce moment, on verra que la politique, dès l’instant qu’elle deviendra une activité à haut risque, n’offrant aucun avantage matériel particulier à l’individu, écartera les opportunistes et mettra fin à la transhumance vers le pouvoir. L’activité politique deviendra la chasse gardée d’une certaine élite patriotique et républicaine, composée d’hommes et de femmes de valeur sérieux, formés, disciplinés, inspirés et prêts à mettre gratuitement leurs savoirs et savoir-faire au service de l’effort de construction nationale. Elle cessera d’être une sinécure et deviendra un sacerdoce, une activité laborieuse et sacrificielle, un don de soi gratuit à la Patrie, au nom de laquelle l’on se «tue» tel un kamikaze, rien que pour le bien de la Nation et pour tout le bonheur de ses habitants, avec comme seule contrepartie, de l’honneur et une «stèle d’immortalité».
Pas de temps à perdre, cher Président. Allez-y sans détour ! Démissionnez de votre parti, devenez «despote» si vous voulez, attribuez-vous des pouvoirs d’un démiurge pour avoir la force de rendre au Peuple, par des moyens extrêmes, ce que la politique et les politiciens lui ont volé : sa souveraineté. Je suis entièrement persuadé, mon cher Président, que c’est de cette manière qu’il sera possible d’éviter que le Peuple ne soit tenté d’«arracher» sa souveraineté par une «révolution violente», comme ça a été le cas dans plusieurs pays de la sous-région. En Afrique d’aujourd’hui, rien ne peut plus être comme avant. C’est fini l’ère des dirigeants qui s’abreuvent dans la rivière de la misère de leurs peuples ! Les Africains sont prêts à se libérer de toutes formes d’exploitation, qu’elles soient le fait des dirigeants ou d’une quelconque puissance extérieure. Très bientôt, vous verrez, les jeunes, qui tentaient de partir, resteront, pas pour travailler, mais pour en découdre avec leurs dirigeants auxquels ils imputent, par leur incurie et leur prédation, la responsabilité des malheurs du continent et du désespoir de la jeunesse.
Et dans cette volonté de changement par la «révolution violente» contre les pouvoirs, déjà entamée, notre pays doit jouer un rôle primordial. En tant que porte d’entrée de la civilisation occidentale en Afrique et exemple cité de démocratie réussie, le Sénégal a le devoir de donner une autre orientation à cette nouvelle «révolution» en substituant à la violence une méthode réformiste et «scientifique». Cette révolution salvatrice pour le changement «révolutionnaire» du continent doit débuter chez nous par la suppression de l’Etat-politicien afin de débarrasser le pays des «maladies» sociales provoquées par le «virus» de la «politique-business» et d’éviter ainsi la «guerre du pouvoir» qui enflamme la sous-région de l’ouest africain.
Moustapha Camara
Professeur d’histoire et de géographie
mcamara57@yahoo.fr
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