Monsieur le président de la République, ces mots viennent d’un ancien conseiller à la Présidence qui n’a pas toujours eu l’occasion de pouvoir faire passer ses idées à cause de l’extrême politisation de l’environnement présidentiel, qui a beaucoup gêné ceux dont la technique était la principale motivation pour être auprès de vous en 2012. Cependant, à l’heure du bilan, nous nous sommes efforcés d’écrire cet article comme notre dernière brique à l’édification du Séné­gal sous votre magistère. Au cours de notre courte histoire en tant que République, nous avons eu des présidents qui se sont succédé à la tête du pays avec chacun, une mission tacite à accomplir, qu’elle soit comprise ou non.

Le Président Senghor avait pour mission de mettre en place un Etat, et il l’a bien réussi malgré l’établissement d’un système de règne sans partage du pouvoir. Certains historiens diront que c’est un des passages obligés dans la construction d’un Etat-Nation. Le Président Diouf a parachevé l’ouverture démocratique en permettant le multipartisme intégral et la liberté de la presse, deux éléments fondamentaux à la mise en place d’une République démocratique.
L’aboutissement de son œuvre a signé sa perte du pouvoir en mars 2000.
Par ailleurs, le Président Wade, en dépit de son enthousiasme pour le développement économique de son pays et la renaissance africaine, était un peu moins conscient de sa mission. Il n’a pas été en mesure de placer notre pays dans son contexte d’évolution vers une vraie République, et de comprendre à quelle étape nous nous situions sur l’échelle de construction d’un Etat-Nation, pour emprunter à l’économiste américain Rostow, sa théorie du phasage, en économie du développement. Il lui appartenait de mettre en place des institutions fortes et consolider l’Etat de Droit. Les conséquences de cet état de fait ont, cependant, failli nous plonger dans une déstabilisation sans précèdent, et dont nous aurions pu passer au moins cinquante ans avant de nous en remettre. Enfin, votre ère est donc celle des infrastructures et des projets de grande envergure, votre Plan Sénégal émergent (Pse) nous montre que vous en avez été conscient. Le fait que vous soyez ingénieur n’y est sans doute pas étranger.

Monsieur le Président, cette lettre vous est destinée pour vous aider à mieux prendre conscience du fait qu’après la vie, l’immortalisation est l’ultime récompense aux hommes de sagesse absolue. Nous n’avons pas vu le Prophète Mou­hamed (Psl), mais il demeure omniprésent parmi nous. Les Américains n’ont pas vu Abraham Lincoln et pourtant le Lincoln Memorial fait aujourd’hui face à l’obélisque sur le bassin du Potomac à Washington Dc. Les Turcs n’ont pas vu Moustapha Kamal, mais ils sont aujourd’hui redevables à Atta Türk grâce à la renaissance de l’Anatolie après la dislocation de l’empire Otto­man.
Monsieur le Président, nous vous exhortons de procéder à une dernière réforme institutionnelle en profondeur avant de quitter la magistrature suprême. D’aucuns diront qu’il n’y a pas assez de temps pour sa mise en œuvre d’ici les échéances électorales prochaines. Je pense le contraire. Car il s’agira tout simplement de mettre en place un système de contre-pouvoirs, à l’instar de ce que les Américains appellent les Checks and Balances. Avec ce système, vous jetez les bases d’une véritable démocratie. Il fait référence à un mécanisme conçu pour limiter le pouvoir d’un seul individu ou organe de gouvernement et assurer l’interrelation harmonieuse entre le Peuple et tous les organes du gouvernement ou d’autres institutions sociales. Les freins et contrepoids au pouvoir commencent par l’hypothèse que toute personne peut abuser du pouvoir et que tout bon leader peut devenir mauvais. Selon Thomas Jefferson, «une démocratie peut cesser d’exister. C’est pourquoi l’arbre de la liberté doit être rafraîchi de temps en temps avec le sang des patriotes et des tyrans». Toutefois, les conclusions des Assises nationales (2008-2009) pourraient servir de point de départ d’une telle initiative. Dans un système de Checks and Balances, des mesures sont établies pour garantir que toutes les personnes potentiellement affectées par les décisions d’un seul individu ou d’un groupe ont une contribution à la décision, un droit de veto contre la décision ou une protection juridique contre les conséquences résultant de la décision. La première Répu­blique romaine était gouvernée par de riches propriétaires terriens qui formaient la classe dirigeante comme sénateurs la plupart du temps. Toutefois, les gens ordinaires ou plébéiens servaient la classe dirigeante en tant qu’ouvriers ou soldats. Cependant, le Sénat a fréquemment adopté des lois favorables aux intérêts de la classe dirigeante aux dépens de la plèbe. Ce qui a conduit à une révolution qui a mené à la création d’un ensemble de lois connues sous le nom des Douze Tables qui gouvernaient tous les citoyens romains de manière égale. En Angleterre, la Magna Carta (Grande Charte) a été l’influence ayant abouti à la naissance de cet Etat de Droit constitutionnel contemporain. Il exigeait du Roi qu’il renonçât à certains droits et que sa volonté eût pu être soumise à la loi. Au-delà de l’Angleterre, l’influence de la Magna Carta est perceptible dans la Constitution et la Déclaration des droits de l’Homme des Etats-Unis. Presque tous les pays de «Common Law» ont été influencés par la Magna Carta, ce qui en fait l’un des documents juridiques les plus importants de l’histoire de la démocratie. Finalement, Mon­sieur le Président, dans un système de Checks and Balances, aucune branche du gouvernement ne pourra faire ce qu’il voudra sans recevoir l’approbation ou le contrôle d’au moins l’une des deux autres branches. De cette façon, l’équilibre des pouvoirs sera obtenu. Nous suggérons quelques exemples pertinents que voici :
Les Tribunaux pourront dé­clarer inconstitutionnels certains actes du Président ou de ses subordonnés. (Indépen­dance de la Justice) ;
Le Parlement pourra également contrôler les Tribunaux. Il aura le pouvoir de révoquer un juge de ses fonctions ;
Le Président détiendra le pouvoir de nomination aux fonctions civiles et militaires, cependant, le Parlement devra absolument les confirmer pour qu’elles soient entérinées. (Décision conjointe sur les nominations) ;
Si le Parlement adopte une loi que le Président n’approuve pas, il peut la bloquer ou y mettre son veto. Cependant, le Parlement peut lever le veto, à condition que les deux-tiers de l’Assemblée votent contre le Président ;
Il faudra abroger la loi sur la parité et exiger le niveau du Bac (arabe ou français) pour le législateur pour les audiences devant les commissions parlementaires.
Ces quelques suggestions constituent le fondement de ce que les Américains appellent «The Jeffersonian Demo­cracy» qui leur a permis en 234 ans d’existence des Etats-Unis, d’expérimenter 46 alternances démocratiques à raison de changement de Président tous les cinq ans, en moyenne. Voilà, à notre avis, ce qui constitue la recette principale de la success story démocratique américaine.

Monsieur le Président, voilà ma modeste contribution pour, au moins, sécuriser notre pays et notre démocratie à l’ère de la production du pétrole et du gaz. Toute autre alternative, à notre humble avis, ne fera que maintenir le spectre de l’incertitude et de l’insécurité institutionnelle sur le pays alors que d’autres défis majeurs l’interpellent.

Alors, dans de telles conditions, après avril 2024, vous serez exposé, votre famille ainsi que votre postérité et tous les autres Sénégalais aux aléas politiciens liés à l’exercice du pouvoir. Enfin, si vous réussissez à mettre en place cette réforme historique, vous entrerez dans l’histoire, probablement comme étant le père-fondateur de la Vraie République du Sénégal et votre Alliance pour la République (Apr) trouvera sa plénitude de sens pour toujours.
Ibnou SOUGOUFARA
Economiste de l’Energie_