Monsieur,
Je me permets de réagir à votre article intitulé «Compte à 1000 milliards. Le Pm me donne 100% raison», publié sur Opera News. Il n’est pas interdit d’enquêter, de questionner ou de dénoncer. C’est d’ailleurs même un devoir civique. Mais comme l’écrivait Albert Camus : «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.» Et c’est malheureusement ce que votre texte semble faire, par manque de rigueur, de discipline et de respect du lecteur.
Vous avancez l’existence d’un «compte Cap de plus de 1000 milliards», sans la moindre prevue, parce que vous ne fournissez aucun document, aucune banque, aucun relevé, aucune identité, aucune source vérifiable. Une accusation d’une telle ampleur ne peut être lancée comme un slogan. Les scandales financiers réels, eux, ont toujours été étayés par des faits. Les exemples édifiants dans ce sens ont plus existé que les Panama Papers, les malversations de la Bcci ou, plus près de nous, les détournements révélés par la Cour des comptes. Dans tous ces cas, les journalistes ont produit des preuves tangibles, pas des affirmations.
Toute globalisation est abusive, et on ne peut transformer une rumeur fragmentaire en vérité totale. Dire «1000 milliards ont transité dans un compte caché» sans éléments vérifiables, c’est confondre enquête et récit imaginaire. Montesquieu avertissait déjà : «Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois.» La confusion que vous entretenez fait précisément cela, car vous créez l’apparence d’une vérité qui n’a pas encore atteint le seuil de la réalité.
Le Sénégal, lui, a des comptes exsangues. Les écoles manquent de tables-bancs, nos hôpitaux de médicaments, nos collectivités de moyens, nos universités d’équipements numériques, et les bourses sont pour le moment impayées. Dans un tel contexte, si vous croyez réellement qu’un tel argent a été détourné, votre devoir moral n’est pas de provoquer, mais ce serait d’aider à retrouver ces fonds, de fournir des preuves, de saisir les autorités, d’appuyer une enquête. Le rôle d’un journaliste n’est pas de jeter des chiffres dans l’espace public, mais de les démontrer.
Georges Clémenceau disait : «La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera.» Encore faut-il que ceux qui prétendent la défendre ne l’entravent pas.
Votre écriture témoigne aussi d’une indiscipline préoccupante. Vous vous autorisez à traiter l’ancien régime de «deums», un terme renvoyant à l’anthropophagie. Quel journaliste professionnel peut se permettre de qualifier un gouvernement par un mot relevant du cannibalisme symbolique ? Ce n’est plus de la critique, c’est une barbarisation du langage. Victor Hugo rappelait : «Les mots sont les passants mystérieux de l’âme.» Les vôtres ne passent pas car ils agressent. Et ils abaissent votre propre crédibilité.
Lorsque vous écrivez ainsi, vous vous placez hors du cadre du débat républicain. N’importe quel étudiant en journalisme sait que le langage détermine l’horizon de la pensée. Employer un vocabulaire aussi violent, c’est confesser implicitement un manque d’arguments solides. Un journaliste ne doit pas saccager la langue pour masquer l’absence de preuves. Les insultes ne sont jamais des démonstrations.
Vous affirmez ensuite que le Premier ministre vous donne 100% raison. Mais un journaliste sérieux ne s’autoproclame jamais vainqueur d’un débat. Il démontre. Il prouve. Il confronte ses sources. Tant que vous ne produisez aucun élément concret, autrement des relevés bancaires, identités, procédures, documents officiels, votre texte ne relève pas de l’enquête, mais du monologue. Comme le disait Emile Zola : «Une seule preuve, et tout s’éclaire. Sans preuve, tout s’écroule.»
Le Sénégal mérite mieux. Il mérite une presse exigeante, disciplinée et honnête. Il mérite des lanceurs d’alerte rigoureux, pas des polémistes improvisés. La vérité ne se proclame pas, mais elle se construit, patiemment, méthodiquement, avec respect pour les faits et pour la Nation. La discipline n’est pas une contrainte, c’est la condition de la dignité.
En espérant que vous saurez revenir à une écriture plus digne, plus cohérente et plus responsable.
Respectueusement,
Amadou MBENGUE dit Vieux
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque
Membre du Comité central et du Bureau politique du Pit/Sénégal

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