Monsieur le Premier ministre,
Permettez-moi de vous adresser mes vives félicitations à la suite de votre remarquable discours prononcé lors de l’ouverture de l’Ecofest. Votre intervention, qui a su mettre en lumière avec clarté et conviction l’importance stratégique de la culture et des Industries culturelles et créatives (Icc), témoigne d’une vision lucide et ambitieuse pour le Sénégal.
Vous avez rappelé, avec justesse, que la culture constitue un levier essentiel de développement, un moteur d’innovation et un espace de rayonnement pour nos sociétés. A cet égard, votre engagement en faveur d’une revalorisation des Icc ouvre des perspectives nouvelles et prometteuses pour l’ensemble du secteur culturel national.
Dans cette dynamique porteuse, il me paraît opportun d’attirer respectueusement votre attention sur la nécessité de revisiter le positionnement et l’organisation de la Biennale de Dakar. Depuis plus de trente ans, la biennale -en particulier dans sa dimension artistique- représente l’un des instruments les plus puissants de la diplomatie culturelle sénégalaise. Elle offre à notre pays une visibilité internationale exceptionnelle, attire chercheurs, artistes, curateurs et institutions du monde entier, et contribue à inscrire durablement Dakar dans la cartographie mondiale des capitales culturelles.
A cet égard, il est important de rappeler qu’une biennale ne se reporte pas. Par nature, elle repose sur une périodicité fixe et sur une visibilité calendaire stable. Les professionnels du monde entier planifient leur présence à Dakar deux ans à l’avance, et réservent systématiquement le mois de mai pour participer à la biennale. Vue l’importance de cet événement, il ne faudrait surtout pas qu’il soit éclipsé par d’autres manifestations majeures comme l’Ecofest ou les Joj. Modifier ou reporter cette date compromet non seulement la crédibilité de l’événement, mondialement connu, mais risque également d’affecter la confiance des acteurs internationaux qui en ont fait un rendez-vous incontournable.
Mais il est légitime de s’interroger : l’Etat considère-t-il désormais la biennale comme une charge financière trop lourde ? A-t-il fini par en minimiser la portée ? Tout pourrait le laisser penser -or ce serait une profonde erreur. Il ne faut surtout pas croire qu’investir un milliard de francs Cfa dans un événement d’une telle envergure serait excessif. Les retombées culturelles, diplomatiques, touristiques et économiques de la Biennale de Dakar dépassent très largement son coût. Il serait même opportun de procéder à une évaluation statistique rigoureuse de ses impacts afin de démontrer, chiffres à l’appui, sa contribution réelle à l’économie nationale. La biennale renforce la notoriété internationale du Sénégal en tant que capitale africaine de la création contemporaine, dynamise l’écosystème culturel, stimule le tourisme et participe au rayonnement du pays.
Si, à terme, l’Etat ne souhaite plus assurer la charge institutionnelle et financière de la biennale, il serait alors pertinent d’en revoir les statuts et d’en faire une fondation de service public, avec une gouvernance mixte public-privé, tout en maintenant une subvention pérenne à chaque édition. A l’inverse, si vous souhaitez valoriser pleinement cette manifestation internationale comme un véritable levier de souveraineté culturelle et économique, il faudra nécessairement engager des réformes structurelles. Dans la sous-région et ailleurs -du Masa d’Abidjan au Fespaco de Ouagadougou, en passant par la Biennale de la Photographie de Bamako-, les grandes institutions culturelles se sont adaptées au contexte actuel en s’appuyant sur un organigramme clair, dirigé par un Délégué général nommé par décret présidentiel et soutenu par une équipe d’experts. Aujourd’hui encore, l’organisation de la Biennale de Dakar repose presque exclusivement sur la personne morale du Secrétariat général, directement rattaché au Cabinet ministériel en charge de la culture, ce qui limite son efficacité, sa lisibilité et son rayonnement.
Revaloriser et repenser la biennale, tant sur le plan institutionnel qu’organisationnel, permettrait ainsi de renforcer son impact, de consolider son attractivité et de l’inscrire davantage encore dans les orientations stratégiques que vous avez brillamment exposées à l’ouverture de l’Ecofest. Une biennale repensée, mieux soutenue et plus en phase avec les ambitions du Sénégal, pourrait constituer un pilier déterminant de notre diplomatie culturelle, un outil majeur de soft power et un vecteur significatif de retombées économiques, touristiques et académiques.
Je suis convaincu qu’une réflexion approfondie autour de cet événement emblématique, menée dans l’esprit visionnaire que vous avez insufflé dans votre discours, contribuerait à renforcer la place du Sénégal comme référence incontournable dans le paysage culturel africain et international.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.
Babacar Mbaye DIOP
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Flsh-Département de Philosophie
Directeur de l’Institut Supérieur des Arts et des Cultures (Isac)
Ancien Sg de la Biennale de l’art