Il y a quatre ans de cela, j’avais soulevé une réflexion intitulée «Transport de marchandises conteneurisées : un secteur en sursis». Dans cet article, je réclamais la nécessité de tenir des états généraux sur ce secteur d’activité d’une importance capitale eu égard à son rôle de prolongement du transport maritime, mais aussi par le fait marquant relatif à l’adage selon lequel la bataille maritime se gagne sur terre. Ce maillon du transport, à travers les opérations de pré et post-acheminement, est aujourd’hui le parent pauvre du transport dans sa généralité. Et pourtant, son rôle sur le plan économique, son impact dans les échanges commerciaux à travers la circulation des marchandises sont d’une importance capitale.

En marge de la prochaine rencontre initiée par le ministère des Infrastructures et des transports terrestres et aériens sur les états généraux du transport public, je  réitère encore cet appel, en mettant en exergue les difficultés qui continuent de miner ce secteur d’activité et dont l’élément fondamental n’est ni plus ni moins que la concurrence déloyale exercée par les compagnies maritimes qui, en plus d’assurer le transport principal, la consignation maritime, veulent enlever de la bouche des transporteurs locaux le service de livraison de marchandises conteneurisées.

Si ce n’est pas une violation flagrante de la règlementation, ça y ressemble fort, car les compagnies maritimes sont passées par des subterfuges pour contourner  les règles, en créant des filiales qui exercent l’activité de transport de conteneurs sans en avoir ni le droit ni la légitimité.

Cette concurrence plus que déloyale a fini de plomber ce secteur en faisant disparaître plusieurs entreprises de transport qui évoluaient dans ce domaine. Si on n’y prend garde, ce maillon du transport maritime pourrait revenir entièrement et totalement aux mains des compagnies maritimes au détriment des entreprises sénégalaises.

Dans le cadre du Jubbanti, l’autorité compétente a les moyens de faire cesser ces pratiques, en révisant le cadre juridique et réglementaire permettant aux entreprises sénégalaises d’assurer exclusivement ce maillon du transport.
Ceci est d’autant plus pertinent, et envisageable, car au nom du contenu local, le secteur des hydrocarbures a eu à disposer d’un cadre juridique lui permettant de promouvoir l’utilisation des biens et des services nationaux, ainsi que le développement de la participation de la main-d’œuvre, des technologies et des capitaux locaux dans toute la chaîne de valeur de l’industrie pétrolière et gazière. Le même procédé peut s’appliquer dans le transport et la livraison de marchandises conteneurisées.

C’est regrettable de noter que ces entreprises sénégalaises sont livrées pieds et poings liés dans la «gueule» des compagnies maritimes qui exercent sur elles l’ordre d’airain à travers des contrats où l’une des parties (le transporteur) est lésée sur tous les plans, mais qui se résigne à l’accepter afin d’exercer son activité.

Des contrats de mise à disposition de la flotte, contrairement au contrat d’affiliation qui est légal, sont négociés avec certains transporteurs avec des prix dérisoires qui sont loin des tarifs applicables et que le transporteur accepte malgré lui : une belle illustration de la «servitude volontaire».

Du point de vue de la tarification, certaines compagnies armatrices font fi des tarifs en vigueur et imposent directement leurs propres barèmes alors que d’autres exigent une ristourne de 20% sur le tarif en vigueur. Pendant ce temps, le carburant fluctue au détriment du transporteur alors que les prix applicables sont fixés depuis  longtemps et ne connaissent jusque-là aucune révision.

En janvier 2018, l’arrêté interministériel N0675 avait procédé à un réaménagement des tarifs sur les détentions de conteneurs en y ajoutant la problématique relative à l’immobilisation des ensembles routiers.

Dans la pratique, force est de noter que  cette mesure rame à sens unique au profit des armateurs qui ne tardent pas à imposer au transporteur le paiement de leur dû en cas de surestaries sur les conteneurs, tout en refusant de se soumettre au règlement des frais relatifs à l’immobilisation de l’ensemble routier. Car eux ont les moyens de contraindre le transporteur, alors que ce dernier n’en dispose pas.

Au regard de ce qui précède, la banqueroute des entreprises de transports spécialisées dans la livraison de conteneurs se justifie largement, les carences récurrentes qu’elles affichent ont conduit à la disparition de certaines entreprises et maintiennent celles qui résistent dans une situation de précarité quasi permanente, pour ne pas dire maintenues sous perfusion économique par les armateurs.

Je me permets d’adresser cette correspondance ouverte au ministre des Infrastructures et des transports, pour attirer son attention sur la précarité du métier, et j’ose espérer avoir une oreille attentive sur la question, pour l’avoir connu à travers sa rigueur, sa compétence et sa connaissance du milieu. Un homme du sérail qui connait mieux que quiconque ce secteur d’activité et qui peut y apporter des correctifs.

Vivement que le balai du Jub, Jubal, Jubanti puisse marquer de son empreinte ce secteur, afin que le calvaire des transporteurs de marchandises conteneurisées puisse être un vieux souvenir.
BABOU Bamba
Logisticien
Pastef Grand-Yoff